Oran - Autres quartiers

M’dina Jdida change de mains



En face de la place Sidi Blel, en plein coeur de M’dina Jdida, une clôture de fortune cache mal un terrain nu. Les traces

de démolition de la petite maison qui s’y trouvait sont encore visibles.

Les murs en maçonnerie et l’aspect extérieur des maisons mitoyennes témoignent de la vétusté des lieux. Dans peu temps, un immeuble flambant neuf sera érigé sur le même lieu. Les autres immeubles de la place qui porte le nom du vénérable cheikh subiront sans doute le même sort: ils seront rasés et remplacés par des constructions modernes dédiées au commerce.

La place est proche du quartier des bijoutiers, un endroit à forte valeur commerciale. Les bijoutiers de la Ville Nouvelle attirent chaque jour des milliers de personnes, en majorité des femmes, avec souvent beaucoup d’argent dans les sacoches et dans les poches. L’avenir du commerce de l’or est garanti par les mariages et la tentation éternelle de porter toujours de beaux et nouveaux bijoux.

Comme chaque jour, la place Tahtaha grouille de monde. Les voitures, les piétons circulent difficilement. Les trottoirs sont occupés par des commerçants qui vendent toutes sortes de produits: vêtements, chaussures, livres, CD, gâteaux... Sur la droite, en regardant vers le Plateau, un immeuble de plusieurs étages est en construction. Ce sera un hôtel. Les bruits des marteaux et des bétonnières ne sont pas audibles. Les alentours du futur hôtel débordent d’activités commerciales. Un peu partout dans M’dina Jdida, le vieux bâti laisse la place à des immeubles modernes. Des hôtels, des centres commerciaux sont érigés à la place de vieux immeubles datant pour la plupart des premières années de la colonisation. M’dina Jdida est en train de changer de mains. Dans le coeur commercial d’Oran, le vieux bâti vaut de l’or. En quelques années seulement, tout ce qui est en dur a pris de la valeur: immeubles en ruine, vieilles maisons. Les nouveaux riches achètent sans regarder l’état de la bâtisse.

Peu importe. L’essentiel, c’est le terrain. Les vieux immeubles sont rasés et rapidement remplacés par des centres commerciaux à plusieurs étages. Tout se vend à M’dina Jdida. Les prix sont les moins chers de toute la ville. On y trouve de tout et pour toutes les bourses. Riches et pauvres y trouvent leurs comptes et leurs goûts. C’est tout l’intérêt et le secret de M’dina Jdida. Le développement du commerce exacerbe l’appétit des nouveaux commerçants. «Ils débarquent avec des milliards, achètent de vieilles maisons, les rasent pour y construire des commerces», raconte un commerçant. Debout devant son magasin de produits électroménagers, il jette des regards méfiants à gauche et à droite. «Une fille d’une agence immobilière de Choupot est venue me voir et m’a laissé sa carte de visite. Au cas où je décide de vendre mon local, elle veut que je la contacte.

Mais, pour le moment, je n’envisage pas vraiment de partir d’ici», dit-il. Son petit magasin d’une vingtaine de mètres carrés vaut beaucoup d’argent. Plus d’un milliard.

La location, c’est aussi chaud. Les prix commencent à partir de 50.000 dinars par mois le petit local. Dans les quartiers les plus commerçants comme près du marché, il faut payer le double ou le triple. Les nouveaux commerçants sont prêts à payer des fortunes pour s’installer à la Ville Nouvelle, qui devient vraiment une nouvelle ville. Même les trottoirs sont loués. «Ces gens gagnent beaucoup d’argent. Pour eux, un milliard c’est deux fois rien du tout», ajoute le commerçant. La flambée de l’immobilier est une aubaine pour les propriétaires des vieux immeubles qui valent des milliards. Les agents immobiliers, les courtiers guettent la moindre information sur la vente du vieux bâti. Ils connaissent le profil des nouveaux commerçants qui cherchent à acheter de vieux immeubles dans la Nouvelle Ville. «Il y a surtout des Chaouis, des Kabyles et des Tlemcéniens. Généralement, ce sont des gens qui sont déjà installés à Oran et qui cherchent à développer leur commerce. Ils ont fait fortune dans le commerce. Ce sont aussi des gens originaires de ces régions qui possèdent des commerces à M’dina Jdida depuis longtemps», confie un courtier. Pour lui, servir d’intermédiaire dans la vente d’un vieil immeuble peut rapporter une fortune. Car les ventes se font en milliards et les remises parfois se chiffrent en milliards ! Un R 1 avec deux façades et quatre locaux, le tout sur une centaine de mètres carrés, c’est plus de 2,5 ! Comprendre deux milliards et demi. Dans le milieu, on ne prononce pas les milliards. «Le vendeur peut demander cinq ou six milliards pour deux cents mètres carrés. Avec une bonne négociation, le prix peut descendre d’un milliard ou deux», affirme un agent immobilier.

L’origine des acheteurs n’intéresse ni les vendeurs, ni les agents immobiliers. L’essentiel, ce sont les dinars. M’dina Jdida change de mains. Les anciens commerçants, sans moyens, cèdent leur place aux nouveaux riches. M’dina Jdida garde sa vocation commerciale, mais perd son architecture et un peu de son histoire, de son âme. La démolition et la construction de nouveaux immeubles se font dans l’anarchie, sans respect des règles de l’urbanisme.


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