Oran - Arzew

Le tremblement de terre d'Arzew (1) Du 24 juillet au 4 août 1912.



Un peu d'histoire.

La plaine, le port et les environs d'Arzeu ont toujours été convoités (2) malgré son eau au goût salé. (3) De nombreuses citernes en ciment pour recueillir l'eau de pluie attestent encore du manque d'eau. Il faudra attendre les années 1860 et le génie organisateur du général Deligny, commandant de la Province pour avoir de l'eau potable en abondance.

Ptolémée célèbre géographe d'Alexandrie nomme Arzeu: Théon-Limen c'est-à-dire le port des Dieux. (4) Pour Pline il s'agit d'Arsenaria. Les Arabes appelaient ce lieu Arzéou qu'ils étendent à tout le canton. Les Européens appelèrent cette ville antique, le Vieil Arzeu, puis Saint Leu lorsque le centre de population se forma à l'Ouest près des ruines des restes de la cité romaine.

Ces lieux furent toujours habités, d'abord par les Ben Bet't'ioua (Botoula) une tribu berbère descendante d'immigrés du Rif marocain, puis aussi par des demi nomades, les Hamian. Ceux-ci confectionnaient leurs " maisons " de débris de toutes sortes qu'ils trouvaient alentour, si bien qu'il n'était pas rare de découvrir dans cet amas confus de matériaux hétéroclites, une stèle ou une colonne sculptée en guise de porte, vestiges émouvants des anciens occupants des lieux. Berbrugger (5) écrit en 1857 qu'un magnifique chapiteau de l'ordre corinthien et de marbre de Paros servait de piédestal à l'enclume du maréchal du village.

Arzeu occupée par les Français (6) le 4 juillet 1833, est une charmante petite ville côtière située à 37 km au Nord-Est d'Oran et à 44 km à l'Ouest de Mostaganem. En partant d'Oran, il fallait emprunter la route nationale N°4 qui traversait les villages d'Hasi (7) bou Nif, Hasi ben Okba, Saint Cloud, Renan puis Arzew. La route continuait jusqu'à Orléansville.



Dés 1837, quelques établissements s'y étaient déjà formés et un plan d'alignement fut tracé, des édifices furent construits. Le 12 Août 1845, une ordonnance royale y créa une ville de 1.500 à 2.000 âmes sur un territoire de 1.800 hectares. Le peuplement n'eut lieu qu'à la fin de 1846.

Arzew se développe rapidement grâce à la pêche et à l'attrait de son port nautique, mais comme à Oran bien plus tôt, le choléra éprouve cruellement la population. De plus, Oran et Mostaganem les deux villes voisines, développent leurs trafics portuaires bien plus vite en attirant à elles le commerce avec la métropole. Le gouvernement général favorise la création des routes vers les plaines intérieures favorisant la colonisation de la Macta, du Sig et de l'Habra, qui viendront redonner vie à son commerce d'exportation.

La vaste rade est sûre, elle offre un débarcadère abrité. Les Turcs l'avaient bien compris; ils avaient ouvert des magasins pour entreposer des grains destinés à l'exportation. Au début du XIXème siècle, partira du port d'Arzew, une importante flottille chargée de grains pour l'armée anglaise stationnée en Espagne.




El Gran " Sousto " (8)
Le tremblement de terre.

C'est la fin de l'après-midi, ce n'est pas encore l'heure de l'anisette, la chaleur est tombée, les enfants jouent dans la rue, les femmes préparent le repas. Des portes mal gardées par des rideaux en tissus, s'échappent des odeurs de frita (9) aux côtelettes d'agneaux. Les bars sont pleins de joueurs de " Briska ". (10) Il est environ dix-huit heures. Rien n'annonce la catastrophe imminente.

Tout-à-coup un bruit formidable retentit, la ville entière est frappée de stupeur. Un bruit assourdissant comme la détonation d'un obus effraie la paisible cité. Une violente explosion venait d'ébranler tout Arzew, accompagnée de grondements souterrains, pendant que des ondes vibrantes traversaient les rues et fissuraient les immeubles. Dans les maisons, les meubles se mirent à bouger et les tables avancèrent toutes seules. Tous les objets qui se trouvaient sur des étagères furent précipités au sol.

Dans la rue les gens s'arrêtèrent, d'abord étonnés puis inquiets, d'autres s'assirent par terre en attendant que ça passe. Les promeneurs virent éberlués la grosse lampe qui était suspendue au plafond de la mairie être projetée hors de son support et traverser par la fenêtre jusque dans la rue.

La première secousse sismique qui n'avait duré que quelques secondes venait de se produire. Elle n'avait pas provoqué de panique. C'était trop court, très violent, sans pertes de vies humaines, mais elle avait disloqué toutes les maisons, creusé des lézardes profondes dans les murs et les plafonds. Les habitants de ce charmant port près d'Oran, ne pensaient pas à cet instant que le cauchemar qui venait à peine de commencer, allait durer douze jours.

Quelques jours plus tôt, la ville entière frémissait de joie et se donnait entière à sa fête, les fameuses fêtes d'Arzew qui duraient plusieurs jours amenant leurs cargaisons de " touristes " Oranais et des environs; les " Cassuelas " d'Oran aux souliers pointus et bicolores (11) qui feront danser les belles filles des pêcheurs espagnols et italiens.




Les boulevards près du port, se chargeaient dans la soirée d'une jeunesse turbulente et gaie, et les jeunes gens savaient contourner la difficulté de l'approche des jeunes filles aux robes fleuries par des " piropos " (12) bien sentis qui n'avaient rien à envier à ceux que l'on aurait pu entendre sur les ramblas de Barcelone ou les paseos de Malaga.

Tous les fêtards partis, les " employés " (13) de la mairie s'occupèrent une journée entière à mettre de " l'ordre " dans la ville. C'est à la fin de l'après-midi que débuta le tremblement de terre. Les vieux pêcheurs italiens dirent par la suite que la main divine de Saint Michel avait voulu protéger leurs enfants en reculant le moment de l'explosion.

Dans la nuit suivante, et surtout le lendemain, six autres secousses moins violentes que celles de la veille secouèrent encore les maisons. Le cauchemar allait durer jusqu'au 4 août où l'on ne compta pas moins de 25 secousses. Toutes ont été plus ou moins semblables: d'abord on entendait une explosion puis un grondement souterrain et enfin des vibrations dans tous les sens. Ce qui a été remarquable, c'est que seule la première secousse a provoqué les formidables dégâts constatés, les autres n'ont fait qu'élargir ou accentuer les fissures et les lézardes mais sans en créer d'autres.

Les pauvres habitants d'Arzew ne savaient plus à quel saint se vouer. Les détonations et les secousses se produisaient de manière anarchique, tantôt la nuit tantôt le jour, il n'a jamais été possible de prévoir une heure ou une autre. La seule indication, mais on l'a constaté plus tard, c'est que les secousses survenaient à peu près toutes les deux heures.

Pourtant l'activité n'a pas cessé et bien que les grondements et les mouvements touchassent aussi la mer, les pêcheurs ont continué de sortir. D'ailleurs ce sont eux qui les premiers ont senti le tremblement dans la mer, il s'est produit une aspiration, comme si leur barque touchait le fond. Ils racontaient que de la mer ils ont vu les maisons bouger puis disparaître derrière un nuage de poussière, ce qui vous l'avez compris était très exagéré.

La plupart des immeubles et maisons avaient été touchés et bien que l'on pouvait encore y vivre, il fallait se rendre à l'évidence, tout devait être sinon reconstruit du moins reconsolidé. Les techniciens de la mairie et les experts dépêchés d'Oran, estimèrent que les maisons et bâtiments avaient perdu plus de 30 à 40 % de leur solidité et par là de leur valeur marchande. Comme les tremblements ne cessaient pas, la panique a commencé à naître chez certains qui n'arrivaient pas à calmer leur angoisse.

Rien n'y faisait, les encouragements, les conseils, les déclarations des scientifiques. La plupart des habitants ont résolu leur peur en dormant dehors à la belle étoile, l'époque le tolérait bien, les nuits étaient splendides. Il faudra attendre le 26 juillet pour constater que les secousses s'espaçaient dans le temps et qu'elles devenaient moins violentes. Malgré cela plus de 15.000 personnes quittèrent Arzew, et beaucoup s'installèrent à la suite de cette catastrophe dans d'autres villages.

La fin du séisme peut être datée sérieusement du 4 août 1912. Plus rien, plus de grondements, plus de peur, enfin dormir tranquilles. Il a fallu attendre quelques jours pour en être sûr. Les habitants recommencèrent à regagner leurs maisons pour évaluer les dégâts, ils étaient sérieux.



Mais que s'était-il passé au juste ? un tremblement de terre ! d'accord, mais les explosions ? des détonations extraordinaires qui n'ont pas eu les répercussions auxquelles on aurait pu s'attendre. La première secousse d'un rayonnement de 50 kilomètres s'est à peine faite sentir à Oran, comme à Perrégaux. Par contre tous les villages alentour, Damesme, Saint-Leu, Renan ont été un peu plus éprouvés, mais moins que Kléber, qui se situe au pied des pentes de l'Orousse. Monsieur L. Lapparent avait déclaré à l'époque qu'Arzew se trouvait sur l'épicentre des ondes sismiques.

Le docteur Bories auteur d'une étude sur le tremblement de terre d'Arzew émit l'hypothèse que l'explosion avait pu être produite par la pénétration subite d'eau de mer dans une poche de gaz hydrocarburés ou déplacement de gaz sous l'action d'une poussée d'origine profonde. Quoi qu'il en soit et malgré la terreur qu'inspire ces événements sur lesquels l'homme n'a aucune prise et qu'il ne peut que subir, ce tremblement de terre ne fut qu'une pâle réplique de ceux qui ravagèrent en 1908 les villes italiennes de Messine et de Reggio.

Quelques jours plus tard, le 18 septembre, à huit heures moins le quart, la population qui s'était remise peu à peu au travail a été de nouveau frappée de stupeur. Une violente secousse suivit de deux détonations très rapprochées presque aussi fortes que les premières du mois de juillet a semé la panique.

Les grondements souterrains et les vibrations ont fini de lézarder plus profondément les immeubles et les pêcheurs occupés à réparer leurs filets sur leurs barques, ont ressenti des mouvements venant du fond marin sur une mer d'huile.

Allait-on recommencer ? allait-on subir le même sort que celui d'Oran, qui on s'en souvient fut détruite presque entièrement le 9 Octobre 1790 ensevelissant plus de 3.000 personnes ? (14) Heureusement non ! cette secousse et ces détonations furent les dernières et les Arzeuwois se mirent à l'ouvrage, il n'en manquait pas.

Il fallait reconstruire et consolider cette petite ville qui fut pendant un certain temps un simple poste militaire et qui maintenant est devenue un formidable port méthanier.

Entre les deux, nous y fûmes heureux.

En souvenir d'Arzew et de ses heureux habitants.

J.P. BADIA (janvier 2000)

-1- C'est un Anglais, le docteur Shaw voyageur au 17ème siècle qui a transcrit Arzeu avec W pour ses lecteurs anglais.
-2- Pour les salines qui se trouvent aux alentours.
-3- La nappe se trouve au-dessous du niveau de la mer.
-4- Henri-Léon Fey - Histoire d'Oran p.30 (réédition de 1982).
-5- Berbrugger né à Paris en 1801, décédé en 1869 à Alger. Vient en Algérie en 1835 où il devient Secrétaire du Gouverneur général Clauzel en 1835. Fondateur en 1835 et Conservateur de la bibliothèque d'Alger. Sur les instructions du gouverneur Randon, il fonde en 1865 la société historique algérienne et son bulletin trimestriel: " La Revue Africaine ".
-6- Dirigés par le général Desmichels.
-7- Hasi = Le puits
-8- La Grande peur.
-9- Frita: Succulent plat méditerranéen, composé de poivrons, de tomates, d'oignons, mijotés dans de l'huile d'olive, aromatisée d'épices rares, et du savoir-faire pied-noir. Se mange chaud ou froid, même sur " la tête d'un teigneux ". Le goût est rarement retrouvé ailleurs.
-10- Briska: jeu de cartes très prisé dans l'Oranais. Se joue avec des cartes " espagnoles " très différentes des cartes françaises. Le jeu comporte 4 séries de 4 couleurs: El Palo, La Copa, El Oro, La Espada.
-Il- Le chic, c'était de porter des souliers de couleur noir et blanc, pointus et biens serres. Un talon bien marqué, et surtout la semelle lisse, obligatoire pour les valses et les tangos.
-12- Les " Piropos " sont des compliments que lançaient les garçons aux filles qu'ils rencontraient dans la rue ou comme c'est le cas ici en les croisant dans les boulevards. Faire le boulevard, c'était arpenter le boulevard ou l'avenue dans sa longueur par groupe de deux, trois ou quatre amis. l~ y avait des groupes montants et des groupes descendants. D'une manière générale, les filles étaient ensembles et lorsque les garçons les croisaient, ils leur lançaient les fameux "piropos" qui devaient être toujours positifs, exagérés et bien sentis pour être appréciés et ultime bonheur d'avoir la chance de recevoir une réponse aimable. Beaucoup de ces piropos étaient dits en oranais véritable, mélange de Français et d'Espagnol chapourao (approximatif), comme par exemple: " Ay ! que guapissima ! jamais j'ai vu la même ", etc... La qualité du " Piropo " se mesurait immédiatement, à la réaction. Celle-ci était multiple et bien codifiée. On pouvait alors savoir si on avait fait " Choufa " ou si on avait une " touche ". Mais attention au mariage.
-13- Los basureros
-14- A la suite de ce tremblement de terre, les Espagnols décident d'abandonner la ville. Mohamed el Kebir l'occupe en 1792.




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