Oran

Elisa Chelle (professeure en science politique à l'université Paris Nanterre et spécialiste des États-Unis) au «Le Quotidien d'Oran»: «Un certain nombre d'électeurs américains se décident à la dernière minute»



Elisa Chelle est professeure des universités en science politique à l'Université Paris Nanterre et membre de l'Institut universitaire de France (2022-2027). Ses recherches portent principalement sur les États-Unis, avec un intérêt particulier pour les politiques de santé et les élections. Elle est rédactrice-en-chef de la revue Politique américaine et «associate editor» de la revue French Politics. Elle est l'auteure notamment de Comprendre la politique de santé au États-Unis, paru en 2019. À l'occasion des Présidentielles américaines du 5 novembre, Elisa Chelle a accepté de répondre à quelques questions du Quotidien d'Oran.

Le Quotidien d'Oran : Les derniers sondages donnent le candidat républicain Donald Trump et la candidate démocrate Kamala Harris au coude à coude avec une légère avance pour cette dernière, y compris dans les fameux « swing states », ces 7 états clefs où se jouera l'élection américaine. Qu'est-ce qui, selon-vous, sera décisif pour faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre au bout de la dernière ligne droite ?

Elisa Chelle : Un certain nombre d'électeurs se décident à la dernière minute et ce n'est pas détecté par les sondages : ce sont les « électeurs fantômes ». Plusieurs groupes sont à suivre dans cette élection. Huit millions d'Américains auront le droit de vote pour la première fois cette année. Cette génération Z (la génération Z regroupe les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 qui ont grandi dans un environnement hyper-connecté. NDLR) si elle se rend massivement aux urnes, pourra peser dans la balance. De plus petites communautés, comme les « Arabes Américains » (façon américaine de qualifier la communauté musulmane) du Michigan sont aussi très regardés. Déçus par le soutien de Kamala Harris à Israël, ils pourraient être tentés de voter pour la candidate écologiste Jill Stein, qui a fait savoir sa volonté d'arrêter tout soutien à Israël, d'un cessez-le-feu immédiat à Gaza ainsi qu'un droit à l'auto-détermination du peuple palestinien. Enfin, les femmes joueront un rôle non négligeable avec la question du droit à l'avortement qui divise démocrates et républicains.

Q.O.: Est-ce que vous pensez que la candidate démocrate Kamala Harris pourra remobiliser tout le camp démocrate derrière sa candidature (notamment la moitié masculine des Latinos-américains réticents de voir une femme à la Maison Blanche) et quels sont d'après vous les autres défis qu'elle devra relever pour espérer être élue le 5 novembre ?

Elisa Chelle : Kamala Harris ne mobilise pas la totalité des électeurs démocrates et c'est là une faiblesse importante. Elle ne fait pas le plein de voix chez les minorités, traditionnellement acquises aux Démocrates mais se détournant de plus en plus vers le Parti républicain. Le principal défi à relever pour elle sera d'avoir une majorité au Congrès, afin de pouvoir faire voter les lois promises dans son programme (économie, avortement, etc.). Or le Sénat pourrait être à majorité républicaine cette année. Cela compliquerait grandement une éventuelle présidence Harris.

Q.O.: La violence verbale a pris une ampleur considérable lors de la campagne électorale, notamment du côté des Républicains. Est-ce que, à l'inverse d'il y a 4 ans, Donald Trump acceptera-t-il sans rechigner une éventuelle nouvelle défaite ?

Elisa Chelle : Donald Trump est resté très allusif sur son éventuelle acceptation des résultats du scrutin. Il a déclaré que si le processus électoral est juste, il concèdera. Mais qu'est-ce qu'un processus électoral juste selon Donald Trump ? On n'en connaît pas la définition. On s'attend que Donald Trump ouvre des contentieux dans les tribunaux dans les États clefs où il perdrait. Quant aux contestations plus violentes, la sécurité du Capitole a été renforcée pour parer à tout incident qui rappellerait le 6 janvier 2021. (Assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump. NDLR.)

Q.O.: Si elle est élue, en quoi l'Amérique de Kamala Harris sera-t-elle très différente d'une seconde mandature de Donald Trump, que ce soit au plan intérieur ou extérieur ?

Elisa Chelle : Il y a une différence très claire de style entre Kamala Harris et Donald Trump, mais les deux auront à coeur de défendre les intérêts de l'Amérique, tant sur le plan économique que géopolitique. En interne, ils devront tous les deux répondre aux préoccupations des Américains en matière de pouvoir d'achat. Leur politique au Proche-Orient pourrait être plus dans la continuité des deux mandats présidentiels précédents (Trump puis Biden). En revanche, sur l'Ukraine, Trump est davantage favorable à un arrêt du soutien militaire.

Q.O.: Une dernière question, si vous voulez bien : selon-vous, l'Amérique est-elle prête à élire à sa tête, pour la première fois de son histoire, non seulement une femme mais une personne de race noire ?

Elisa Chelle : Les Américains ont déjà élu un président noir en la personne de Barack Obama. Le fait que Kamala Harris soit une femme est un obstacle supplémentaire, notamment pour les hommes afro-américains ainsi que sud-asiatiques comme les enquêtes l'ont montré. C'est pour cette raison que Kamala Harris ne fait pas campagne sur le fait d'élire une femme noire à la tête de la Maison Blanche. Elle préfère une campagne plus centriste pour attirer davantage d'électeurs.




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