Oran - PERSONNAGES

Caïda Halima (1859-1944), une personnalité légendaire et proverbiale..



Caïda Halima (1859-1944), une personnalité légendaire et proverbiale..
Caïda Halima, est connue à Oran pour ses qualités humaines, mais aussi pour son courage et sa probité. Sa personnalité légendaire et proverbiale est ancrée dans la mémoire collective oranaise où elle est souvent citée comme un exemple de bravoure et de générosité. Fière et altière, cette grande dame s‘est imposée dans le cercle très fermé des grands exploitants agricoles quand elle narguait les colons européens sur leur propre terrain en faisant fructifier ses terres de magnifiques vignobles et de céréales dans le Témouchentois et la région des Hachem.

C’est en épousant Ould Kadi Ali, issu d’une famille de Bachaghas, que H’lima s’attribuera le qualificatif de Caïda. Précisons que ce statut est exclusivement masculin. Il est fort probable qu’elle s’était inspirée du cas de l’épouse du célébrissime colonel Bendaoud qui se faisait appeler 'madame la colonelle'. Ce qui réconforte cette hypothèse, c’est le lien de parenté par alliance existant entre les Bendaoud et les Ould Kadi. Mais pour se convaincre que Caïda H’lima était une dame de pouvoir, il suffit juste de consulter des photos d’elle encore conservées par certaines familles oranaises. On la voit trôner majestueusement, avec sa tenue traditionnelle, parée de bijoux d’époque, au milieu d’assemblées d’hommes, dont des colons et responsables civils et militaires français. A son époque, elle avait sa propre voiture avec son chauffeur personnel. Son secrétaire particulier, qui n’était autre que son neveu, était comme son ombre, ne la quittait jamais. Il devait être imposant de corpulence et assistait pratiquement à toutes ses entrevues avec les autres hommes avec qui elle traitait les affaires. Il était à ses côtés notamment les jours de fêtes religieuses quand les cadis et notables de toute la région des environs d’Oran venaient carrément lui prêter allégeance. On raconte qu’elle a renvoyé de chez elle un caïd qui n’a pas su se tenir correctement en sa présence. Elle se permettait de saisir de jour comme de nuit un certain Morant, patron du bureau arabe qui faisait et défaisait les caïds.

Habitant dans une ferme aux fins fonds des terres agricoles de la région de Lourmel, elle avait son téléphone dès 1895. Pour la gestion des biens de son mari, elle avait placé deux de ses frères comme précepteurs, l’un dans la région de M’lata. En arrivant chez les Ould Kadi, elle mettra pratiquement tout le monde au pas, notamment ses beaux-frères. Quand elle s’est installée dans la région de Lourmel (El-Amria), elle faisait travailler la main-d’oeuvre espagnole spécialisée dans le vignoble. c’est elle qui décida le morcellement de la propriété familiale en des exploitations de dix hectares chacune, entourée par des oliviers servant aussi comme brise-vent. Ses décisions se rapportant aux affaires familiales étaient incontestées, pourtant elle s’était liée à une famille de bachaghas très gros propriétaires fonciers, puisque les biens de leur arrière-grand-père étaient estimés à 13.000 hectares. Chez elle, elle disposait de toute une cour de femmes qui étaient à son service, Il y avait même des Espagnoles qui se chargeait de ses soins corporels

Elle a aussi su gérer les biens familiaux avec énergie et dévouement. Caïda Halima est née en 1859 à Sig (ex- Saint-Denis-du-Sig) dans la wilaya de Mascara, dans une famille de lettrés. Son père, Mohamed Benyoussef Ziani, est l’auteur d’un précieux ouvrage sur l’histoire d’Oran et un outil de travail pour les chercheurs et historiens, intitulé Dalil El-Hayrane oua Anis Essahrane fi Akhbar Madinat Wahran. Halima est l’unique fille d’une famille de cinq enfants : Mohamed, Ahmed, Kada et Benyahia. Elle aura une autre sœur, Zohra, née d’un autre lit.

Caïda Halima était aussi une dame qui venait au secours des orphelins et des déshérités. Elle fit don d’une parcelle de terre à Lourmel qui servira de cimetière au lieu-dit «M’sissi». Cette généreuse dame fit construire une mosquée à l’emplacement de la maison familiale de Médina Djédida, baptisée «Djamaâ Benkabou», du nom de l’imam qui dirigeait la prière dans ce quartier mythique surnommé par dérision «Village nègre», par l’administration coloniale. Dame charitable, elle encouragea les associations de bienfaisance et aida matériellement à la promotion des rares médersas. D’ailleurs, pour la remercier, l’association musicale de chants religieux Mouloudia lui décerna un diplôme d’honneur au cours d’une grande cérémonie qui s’est déroulée en 1933.

Caïda Halima était membre de la section oranaise de la Croix Rouge Française. C’est en cette qualité qu’elle fut invitée, en mai 1939, à rencontrer Mme la maréchale Lyautey, déléguée d’honneur pour l’Afrique du Nord de la CRF.

Caïda Halima, retenue dans une de ses propriétés, lui fit envoyer une gerbe de fleurs. Elle contribua financièrement à la construction du dispensaire de la SSBM (Société de secours aux blessés militaires), à Saint-Antoine, en face de sa maison.

Elle accomplira le pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam, accompagnée de dix personnes prises entièrement en charge par ses soins, en 1938. Cette grande dame de cœur, qui est également la petite-petite-fille de cheikh Abdelkader Ziani, illustre savant théologien, reste dans la mémoire collective le symbole de la femme active, laborieuse et profondément humaine. De nos jours, ses nobles qualités morales sont citées en exemple. Pour l’histoire, elle est la mère de Setti Ould Cadi, (1904-1965), une moudjahida qui fut arrêtée en 1957 après le démantèlement du «Réseau Abdelwahab» durant la guerre de Libération nationale. Jugée par le tribunal des forces armées dans le cadre du fameux «Dossier 3/83», elle fut incarcérée à la maison d’arrêt d’Oran jusqu’en 1961. Sortie de prison très affaiblie, des suites des séquelles de la torture que lui ont fait subir ses geôliers, elle mourut en 1965.

Elle s’est fait construire à l’identique deux superbes demeures: l’une à Oran dans le quartier de Saint Antoine et la seconde à Lourmel dans la wilaya de Aïn Témouchent. Une rue d’Oran porte son nom qui continue de corroborer mythes et phantasmes. Sa trajectoire reste à découvrir. Dans ce cadre, les responsables ont évoqué la construction d’un musée où on pourra exposer notamment ce qui reste de ses objets personnels que détiennent certaines familles. Un premier pas pour restaurer la véritable dimension de cette dame, devancière de plusieurs décennies celles qui se sont réclamées du féminisme… d’importation.

Caïda Halima est tombée malade. Elle s’est éteinte le 22 août 1944, à Oran, dans sa résidence de la rue Mac Mahon, dans le quartier de Saint-Antoine, proche de Médina Djedida, à l’âge de 85 ans. Une foule immense l’accompagna à sa dernière demeure, la mosquée Benkabou, pour y être enterrée, selon ses dernières volontés.


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