Abdelaziz Ghermoul, président de l’Union des écrivains algériens, au Quotidien d'Oran: Intellectuels, cette élite hors-sol
Interview réalisée en marge de la Foire du livre du Caire pour laquelle l’écrivain algérien était invité. L’évènement littéraire égyptien de l’année s’est clôturé le 4 février.
- Le Quotidien d'Oran: Lors de vos interventions, vous n’avez cessé de faire allusion au projet culturel algérien. Ce projet culturel algérien existe-t-il ?
Abdelaziz Ghermoul: Disons que ce projet culturel est en construction. C’est une chose qu’il n’est pas aisé de bâtir car c’est l’affaire de tous et pas seulement celle des intellectuels. On peut noter à notre actif qu’aujourd’hui, l’élite intellectuelle algérienne est certainement la plus dynamique et ouverte parmi toutes les élites arabes. Nous avons de grands penseurs, de grands hommes de lettres et même de grands universitaires, sans oublier aussi le nombre important d’associations à vocation culturelle.
Cependant, les efforts sont dispersés. Ce qui ne nous permet pas aujourd’hui de parler d’un projet culturel bien établi, même si nombre de mouvements en gestation sont en train de le construire. Ce projet bute en effet encore sur des problèmes de fond tels que celui des cultures minoritaires de l’Algérie, dont la richesse culturelle nous apporte beaucoup. Je parle ici des cultures berbères, dont l’héritage historique, culturel et artistique doit s’insérer naturellement comme une composante essentielle et à part entière de ce qui doit être défini comme la culture algérienne. Malheureusement, sans volonté politique forte, ce projet perdra du temps dans sa mise en oeuvre car il demande la synergie d’efforts multiples.
- Q.O.: En parlant des élites algériennes et en particulier des intellectuels, croyez-vous qu’elles soient à la hauteur de la tâche que vous décrivez ? Ne croyez-vous pas que la société algérienne pâtit justement d’une élite intellectuelle que l’on pourrait qualifier d’élite «hors-sol» ?
A. G.: C’est une question très pointue. Laissez-moi vous dire tout d’abord que ce n’est pas l’intellectuel algérien qui est déconnecté de la réalité algérienne, mais la politique culturelle de ce pays qui est erronée. Une politique dont je considère (si vous me le permettez) qu’elle continue à regarder l’Algérie avec des oeillères jusqu’à aujourd’hui. La culture algérienne n’est pas une abstraction, elle est dans la rue, dans les oeuvres des jeunes écrivains et penseurs. Les intellectuels de leur côté ne sont pas déconnectés de cette réalité mais leurs efforts et leurs contributions sont dispersés. Néanmoins, l’on constate aujourd’hui que s’il persiste encore une voix assez forte pour exprimer l’Algérie au-delà de ses troubles politiques, c’est bien celle de ses écrivains et de ses intellectuels.
J’ai d’ailleurs une remarque à faire à ce propos. C’est de voir combien notre système politique ne cesse d’encourager une culture de la médiocrité à travers des promotions douteuses. Comme si nous n’avions pas assez d’éléments brillants et positifs parmi nous. A l’écrivain qui parle du terroir algérien ou de la réalité nationale dans sa complexité, l’on préférera d’obscurs poètes au message servile et ambigu. J’en veux pour preuve «Alger, capitale de la culture arabe», où l’on fait totalement abstraction des intellectuels arabes algériens, comme si la culture arabe était étrangère à notre pays et était devenue l’apanage exclusif des pays du Moyen-Orient. Cela alors que nous disposons de grands écrivains et intellectuels tels que Tahar Ouattar, Rachid Boudjedra, Merzak Baktache, Amin Zawi, Achour Fenni et bien ‘autres encore qui portent haut la voix de l’Algérie dans l’espace arabe mais aussi dans le reste du monde.
- Q.O.: Cette situation n’est-elle pas paradoxale alors que c’est notre grand intellectuel algérien Malek Bennabi qui, bien avant Edward Saïd, a décrit les enjeux liés à la culture et auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés dans l’ensemble du monde arabe ? Les Algériens n’auraient-ils pas tiré suffisamment d’enseignements de l’oeuvre de Bennabi ?
A. G.: Il n’y a aucun intellectuel qui n’ait été pris au sérieux en Algérie. Malek Bennabi, c’est l’idole de plusieurs générations en Asie. C’est par ses pensées qu’un pays comme la Malaisie est devenue non seulement une puissance économique mais surtout un pays qui a réussi à résoudre les questions sociales dangereuses posées par les mutations de son corps social.
Dommage qu’en Algérie on n’ait pas voulu comprendre le message de Malek Bennabi, tout comme celui du regretté Mostafa Lacheraf. Même au niveau des hommes de lettres en Algérie, on ne rend honneur qu’aux auteurs importés. On tue nos talents chez nous et on essaie de récupérer ceux qui ont réussi à percer à l’étranger.
- Q.O.: Vous pensez à Yasmina Khadra quand vous dites cela ? C’est l’exemple typique d’un écrivain de dimension mondiale à qui on continue de tourner le dos en Algérie, alors qu’il est courtisé par les rendez-vous littéraires les plus prestigieux de la planète.
A. G.: Oui et non, pas en particulier. Vous remarquerez aussi bien que moi que dans les pays du Nord, on fait la chasse et la promotion de talents en tout genre, que ce soit dans le domaine intellectuel, artistique, etc... Non seulement pour enrichir leur culture mais aussi pour embellir leur image à l’extérieur. D’ailleurs, ce qui reste d’une nation tout au long de l’histoire, ce sont ces noms qui font d’une patrie une nation de grande civilisation. Il faut dire pour nous, malheureusement, que notre système politique est pauvre en idées. On ne sait faire dans les médias et dans notre administration aussi que la promotion des éléments les plus dociles. Ce qui ne rime pas avec compétence et intégrité... Les conséquences de cette politique seront de toute façon visibles dans les prochaines années.
- Q.O.: Passons à la Foire du livre du Caire qui vient de clôturer. On a pu constater une faible présence algérienne eu égard à ce que demandait la promotion du rendez-vous «Alger, capitale de la culture arabe». A quoi l’attribuez-vous ?
A. G.: Tout simplement parce qu’en réalité, il n’y a pas une vraie volonté de présence de l’Algérie dans le monde arabe et surtout dans la culture arabe.
- Q.O.: Comment avez-vous été reçu par vos collègues égyptiens ?
A. G.: Je suis venu au Caire pour y donner des conférences sur la culture arabe et la questions des nouvelles technologies. J’ai participé à des tables rondes intéressantes. L’une était consacrée à «Alger, capitale de la culture arabe», l’autre aux nouvelles éditions dans le monde arabe. Pour être franc avec vous, j’ai été ébloui par la manière dont j’ai été reçu en tant qu’intellectuel algérien et surtout par la qualité et le niveau des débats que j’ai pu suivre. J’ai donné un nombre important d’interviews à des journaux, des télévisions et radios d’Egypte ainsi que du monde arabe. J’ai été sollicité longuement sur l’Algérie et l’état de la littérature et des écrivains. J’ai pu constater malheureusement que la culture algérienne est absente mais surtout que l’Algérie, avec toutes ses richesses, son histoire et l’audace politique du peuple algérien, était très mal connue. Ceci relève principalement de notre faute car nous ne sommes pas présents en Egypte. En vérité, c’est de toute une politique culturelle dont notre pays a besoin. Quand on voit le gouffre qui nous sépare en matière de production d’un pays comme l’Egypte, qui dispose encore d’un grand cinéma, on ne peut que rester perplexe.
- Q.O.: Justement, le cinéma algérien est-il mort ?
A. G.: Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’on a l’impression qu’il y a une volonté de tuer tout ce qui peut fleurir dans notre pays. L’histoire du cinéma algérien est glorieuse et reconnue dans le monde, tout comme celle des arts plastiques, de la littérature et autres... On en arriverait à croire que la situation que nous traversons est voulue. Pourtant, nous avons des potentialités et des richesses extraordinaires dont ne dispose aucun autre pays arabe. Nous avons des acteurs talentueux, des metteurs en scène compétents, des romans et des histoires prêts pour le cinéma. Nous avons aussi beaucoup d’argent endormi dans les tiroirs. Nous devrions l’investir dans une vraie production cinématographique nationale plutôt que de laisser des étrangers produire des films algériens catastrophiques pour notre image.
- Q.O.: Passons aux livres. Quels sont les projets de l’Union des écrivains algériens dont vous êtes le président ?
A. G.: J’ai été élu à la tête de l’Union des écrivains algériens alors que cette association était à l’arrêt. Non seulement dans son fonctionnement mais aussi dans les idées. A vrai dire, au moment d’arriver, c’était une organisation vieillie. A part les sentiments et la sincérité de ses adhérents, il n’y avait plus rien de vraiment sérieux. Maintenant, on essaie de mettre à profit la volonté de changement et l’enthousiasme de beaucoup de jeunes écrivains algériens qui essaient de relancer le rôle de l’union des écrivains.
- Q.O.: Comment voyez-vous l’avenir de l’édition algérienne ? Sachant que durant l’année 2005, l’Algérie n’a publié qu’une centaine d’ouvrages, alors qu’au même moment la France publiait près de 30.000 livres, la Turquie environ 12.000, la Grèce 3.000 et un pays comme l’Iran la bagatelle de 500 ouvrages par semaine !
A. G.: Voilà la preuve de tout ce que j’ai dit dans cette interview. Nous avons au moins 1.000 écrivains en Algérie et j’ai plus de 100 manuscrits chez l’union des écrivains qui ne demandent qu’à être publiés. Malheureusement, nous ne trouvons pas de financement pour publier ces manuscrits, dont certains sont de véritables chefs-d’oeuvre. Plutôt que d’investir pour relancer la publication, on préfère gaspiller notre argent.
- Q.O.: Cette crise que nous traversons ne serait-elle finalement pas liée à un problème d’identité, voire d’histoire ? L’Algérie ne souffre-t-elle pas d’une absence de véritable histoire, c’est-à-dire d’un repère que représenterait une histoire écrite par d’authentiques historiens algériens ?
A. G.: Il existe une histoire algérienne ! Sinon nous ne serions pas là. Cependant, l’histoire algérienne depuis 25 ans a déserté sa place scientifique et culturelle au profit de fins politiques. Nous sommes bercés depuis presque 25 ans par une histoire officielle portant sur des périodes précises hautement politiques. Plus précisément, il y a une focalisation exagérée sur les périodes de la révolution nationale et l’antiquité. Entre ces deux périodes, un vide énorme aux conséquences lourdes pour la jeunesse de notre pays. Je crois que c’est là la raison du vide identitaire de l’Algérie. On ne laisse aux Algériens que le choix de se reconnaître dans la lutte anticoloniale ou dans l’identitarisme berbériste sectaire. Cela, alors que l’identité algérienne a commencé à se forger et à se construire depuis le 10ème siècle grâce aux berbères qui ont fondé les grandes dynasties musulmanes du Maghreb. Le mépris de cette période de l’histoire, de notre moyen-âge correspond exactement au projet colonial français visant à polariser la population algérienne entre entités arabes et berbères à travers, entre autres, son fameux mythe kabyle. Nous poussant de fait à oublier la composante essentielle de notre identité qui est l’islam. C’est pour cela que l’Algérie se trouve dans cette situation de blocage culturel, politique et économique.
- Q.O.: A partir de ces éléments, comment réhabiliter un vrai projet culturel algérien ?
A. G.: Ce n’est pas chose aisée de bâtir un projet culturel national car, je le répète, c’est l’affaire de tous. Depuis les années 40, les intellectuels de la révolution ont cherché un consensus identitaire pour l’Algérie. Depuis l’indépendance, beaucoup d’intellectuels ont pensé et repensé ce sujet. Rappelons-nous les oeuvres de Mostafa Lacheraf, Abdelkader Djaghloul, Cherriat et d’autres encore. Cependant au même moment, l’élite intellectuelle a été marginalisée, surtout depuis Chadli Bendjedid où il n’y a même plus de projet de société. Au contraire même concernant certains éléments positifs de l’ère Boumedienne où existait un véritable encouragement à l’instauration d’une identité officielle arabiste et musulmane d’Etat. Cette vision avait, bien sûr, de nombreux défauts mais elle avait au moins le mérite d’exister.
Le grand malheur de cette période reste néanmoins le fait que cette identité officielle que l’on folklorise aujourd’hui s’est constituée contre l’identité historique des Algériens. Pour mon cas, je suis arabophone né d’un père chaoui et d’une mère kabyle de la région de Béjaïa. Je suis musulman et je suis né culturellement dans le berceau des grands écrivains et penseurs arabes. Où dois-je me situer avec cet héritage et ces cultures ?
Pour tout dire, c’est à l’âge de 35 ans que j’ai découvert combien l’identité que je véhiculais a été mal évaluée dans le projet identitaire algérien de l’époque. J’ai été obligé à cet âge de commencer une vraie recherche identitaire. J’ai relu les grandes oeuvres de la pensée arabe, j’ai redécouvert la culture amazighe et j’ai jeté un regard rétrospectif sur l’islam, non pas seulement comme religion mais surtout comme identité. C’est pour cela aujourd’hui que je lutte contre le passé décomposé et la falsification de notre histoire, qu’on laisse encore se faire écrire par l’ancienne puissance coloniale, ou ceux que j’appellerai «les agents doubles de l’identité».
- Q.O.: Et en plus, vous répondez en arabe à un quotidien francophone !
A.G.: C’est ici la richesse de l’Algérie. C’est la preuve que les intellectuels et la société algérienne sont beaucoup plus avancés que le cadre politique dans lequel ils évoluent. Entre nous, reconnaissons qu’il existe bien un consensus, si je peux me permettre un historique entre les langues en Algérie. Il suffit d’étudier un instant notre dialecte. Cela, beaucoup de dirigeants ne l’ont toujours pas compris.
Repères biographiques :
Né à Sétif en 1948. Etudes secondaires à Sétif puis études universitaires à l’Institut des langues d’Alger. Abdelaziz Ghermoul a exercé la profession de journaliste, avant de s’adonner à l’écriture de romans. Co-fondateur du quotidien El-Khabar en 1990.
Principaux ouvrages (en langue arabe)
Le hameau en lisière de ville (1990)
Le messager de la pluie (1992)
Séance nocturne (1993)
Le ciel blanc d’Alger (1994)
Le leader de la minorité écrasante (2005)
L’année 11 septembre (2005)
Fada pour l’absence de Bakhti (mars 2007)
Descendance de la colère (septembre 2007).
bsr s'adressant a mr guermoul de m'orienter vers un éditeur spécialise sur les manuels ou recueil technique malgré plusieurs recherche pour avoir des adresses mais........? merci mes salutations. naas
naas abdelkader - artisan et concepteur - elmaleh w de a.temouchent, Algérie
04/06/2012 - 33363
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Posté Le : 12/02/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : Hichème Lehmici