Oran

150 000



Abdelhak BENELHADJ, Le Quotidien d'Oran, mercredi 05 janvier 2005





C'est à peu près à ce chiffre terrible que l'on estime le nombre de victimes du séisme qui a ébranlé le 26 décembre dernier le nord de l'île de Sumatra, et du Tsunami qui l'a suivi.

Le monde a vu depuis se mobiliser une action de solidarité de dimension historique. Une multitude de nations, aussi pauvres que riches, aussi grandes que minuscules, s'associent pour venir en aide aux pays dévastés par cette catastrophe naturelle, dans une compassion universelle que la seule disparition de quelques centaines de touristes occidentaux ne suffit à expliquer.

Chirac met la France en berne. Jean-Paul II, au bord de l'apoplexie, trouve le souffle pontifical pour lâcher des bénédictions urbi et orbi. Bush, après moult calculs stratégiques, réunit les antiquités qui ont occupé avant lui le Bureau Ovale et fait le tour des ambassades endeuillées.

150 000, c'est aussi à ce chiffre, tout aussi abominable, que l'on évalue le nombre de victimes du déchirement qui a ensanglanté l'Algérie pendant environ une décennie.

Le peuple algérien a lui aussi subi en quelque sorte un séisme, une catastrophe qui a ébranlé les fondements de ses certitudes et a menacé l'existence même de son Etat.

Personne n'est venu à son secours. Au contraire. Autour de lui les nations ont tissé un cordon de sécurité pour s'isoler d'un pays de pestiférés, un pays belligène mis en quarantaine. Longtemps, il ne fut question de l'Algérie qu'à la rubrique nécrologique. Son avenir avait la cote de risque la plus élevée sur l'échelle déplafonnée de la COFACE. Et pour faire peur aux enfants bien nés, on disait le loup de nationalité algérienne.

Une commisération mondiale d'un côté, une sourde défiance de l'autre. Et pourtant le même nombre incommensurable de regrets et de larmes.

Parmi d'autres, une différence essentielle cependant avec un Tsunami.

Cette affliction, l'Algérie ne la doit ni à un Dieu, ni à la nature, ni au hasard. Et même si nombreux furent ceux qui se réjouissaient (donnant parfois le « coup de pouce » nécessaire) et applaudissaient à nos « performances », nous ne devons pas davantage nos malheurs à de belliqueux voisins du nord, du sud, de l'est ou de l'ouest.

Mais en vérité seulement à nous-mêmes.

Pendant au moins dix ans, l'Algérie n'avait plus besoin d'ennemis. Nous faisions nos affaires nous-mêmes.

En sorte que personne n'est venu à notre secours parce que personne ne vient secourir une nation qui s'adonne, avec entrain, application et délire enthousiaste, à un suicide collectif.

Notre deuil est de ce fait plus long et plus pénible à faire. Car pour faire un deuil, il faut un « reste » et il n'est pas sûr que nous ayons tous une conscience exacte de ce que nous avons perdu.

La honte est rarement photogénique.




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