Naama - HISTOIRE

Les Chorfa de Sfissifa



Les Chorfa de Sfissifa
Sfissifa est un ksar situé à 150 kilomètres au nord-est de Figuig, à 30 kilomètres de Aïn-Sefra. Elle fait partie de cette grande région pré-saharienne où l'habitat d'adobe est omniprésent. Son peuplement est exclusivement composé de familles chérifiennes, divisées en Ouled-Azzouz, Ouled-Ziane, Ouled-Anane, Ouled-Khaled et Ouled-Nehar. Ce sont les quatre premières qui nous intéresserons ici.


K. Benamara compare une fois de plus les récits de la fondation du ksar pour tenter de déterminer une hypothèse plausible qui tiendrait compte de la tradition.
Le Kitab En-Nassab est laconique sur la question: "Les Ahl Sfissifa et les Ouled-Azzouz tirent leur origine de Figuig. Ils descendent de Khaled ben Anane qui fut égorgé par son serviteur, lequel l'attaqua deux fois avec une troupe de cavalier dans la nuit de jeudi à vendredi. Il laissa trois enfants: Anane ben Anane ben Khaled, Mohammed ben Khaled et Khaled ben Khaled." Suit l'ascendance de ce Khaled ben Anane jusqu'à Ali ibn Abou-Taleb.

La Monographie 49 (déjà citée dans un billet précédent) donne un récit très détaillé de l'arrivée des chorfa Oudghiri dans la région, ainsi que de la fondation du ksar.
"Les habitants de Sfissifa viennent d'El-Oudaghir, l'un des ksour de l'oasis de Figuig et descendent de Moulay Idriss qui fonda Fez en 807 J.-C.... Ils possèdent en effet des sedjara (arbres généalogiques) établissant qu'ils sont d'origine chérifienne...
Vers le XIIIe siècle de notre ère, une famille de pasteurs d'El-Oudaghir est venue dans la région du ksar actuel de Sfissifa où elle s'est fixée. Le chef de cette famille était un nommé Ziane fils d'Azzouz. Il a laissé trois enfants mâles: Mohammed ben Ziane, Ahmed ben Ziane et Khaled ben Ziane. Les habitants du ksar de Sfissifa, lequel s'appelait alors Takelkoult et était situé en face du ksar actuel, sur la rive droite de l'oued qui arrose ses jardins, voyaient d'un mauvais œil ces étrangers venir camper dans leur voisinage. Dans l'espoir de les éloigner, ils leur faisaient subir toute sortes de vexations: ils insultaient leurs femmes qui venaient puiser de l'eau aux sources de l'oasis; ils leur volaient du bétail....
Fatigué de ces procédés, Ziane ould Azzouz résolut de se venger. Trop faible pour lutter seul contre ses adversaires, il alla réclamer l'appui de ses frères d'El-Oudaghir. Ceux-ci, répondant à son appel, arrivèrent en nombre devant Takelkoult qu'ils détruisirent de fond en comble...
Les Oudaghir, après avoir vengé Ziane ould Azzouz en chassant les habitants de Takelkoult et en ruinant leur ksar, s'en retournèrent à Figuig, laissant leur frère susnommé et sa famille dans le pays conquis... Ces gens jetèrent les fondations du ksar appelé Aïn-Sfissifa (la source du petit peuplier ou du petit tremble). Ce ksar est bâti sur l'ancien cimetière de Takelkoult sur la rive gauche du cours d'eau qui arrose leurs jardins."

Il en reste jusqu'à aujourd'hui, quatre lignages de cette souche, les Ouled-Ziane, les Ouled-Azzouz, les Ouled-Khaled et les Ouled-Anane, regroupés autour d'une place nommée Tachraft, comme la place principale de Zenaga. L'on apprendra donc au passage l'étymologie du nom, qui est achraf ("noble", autre forme du mot chorfa) berbérisé avec des t au début et à la fin.

Cependant, les recherches menées sur place par Y. Iliou et par K. Benamara n'ont rien donné quant à un hypothétique ksar de Taqelqoûlt qui aurait été situé à un emplacement différent de la Sfissifa actuelle. Il en ressort tout de même que l'emplacement aurait été peuplé de très longue date (présence de tumuli dans le secteur) et que le nom du ksar aurait été arabisé relativement tôt. Ainsi, Yahya Ibn Khaldoun (frère de l'auteur du Kitab El-Ibâr, et auteur d'une histoire des rois de Tlemcen) nomme Sfissifa en parlant du passage que l'émir Abou Hammou II y aurait effectué en 1371. De plus, Khelifa Benamara distingue les Ouled-Ziane et les Ouled-Azzouz (et leurs branches de Khaled et Anane), car ils sont issus de deux lignes bien distinctes chez E. A. Hilali.
Il nous propose donc la datation suivante:
Antiquité: la région est peuplée de Gétules puis de Zénètes Ouacîne
VIIIe siècle: islamisation d'une population qui s'est cristallisée autour du ksar de Taqelqoûlt
XIIIe siècle: arrivée des Ouled-Ziane
XIVe siècle: arrivée des Ouled-Azzouz, Ouled-Khaled, et Ouled-Anane
fin XVe siècle: arrivée des Ouled-Nehar (ceci est une autre histoire)

Mélangés avec les Ouacîne, les chorfa Oudghiri se seraient donc berbérisés, ce qui expliquerait l'usage généralisé du tamazight à Sfissifa. Le récit de la destruction de Taqelqoûlt ferait peut-être écho à un mouvement qui se serait déroulé à la fin du XIIIe siècle, qui fut une époque de bouleversements pour la région. L'auteur relève:
le départ des Beni-Yaâqoûb (Beni-Amer-ben-Zoghba), expulsés par le roi de Tlemcen
la faiblesse des Ouled-Hamid (Beni-Amer-ben-Zoghba) et des Hamyan restés sur place et sollicités régulièrement pour monter combattre dans le Tell
sécheresse de deux années consécutives (1293 et 1294)
siège de Tlemcen par les Mérinides (1299) qui a perturbé le commerce et l'économie locale
Ce sont sans doute ces circonstances difficiles qui ont amené un exode sud-nord. Il ne serait pas étonnant que des Figuiguiens (ou autres) soient arrivés à Sfissifa, se substituant peu à peu à la population locale, ou bien prenant possession des lieux par la force.

Cela nous donne donc un autre ksar peuplé de cousins éloignés du côté algérien. Cette population s'est radicalement vidée entre 1847 et 1881, années durant lesquelles les deux-tiers de la population ont migré afin de ne pas vivre sous la domination française. Il en reste (du moins ce que j'ai vu en photos) un beau village, à l'architecture préservée.

Vous pourrez trouver des informations sur le Blog de Sfissifa
et de superbes photos anciennes sur un fil du Forum Aïn-Sefra

Pour clôre ce billet, voici les généalogies des Ouled-Ziane et des Ouled-Azzouz telles qu'il en ressort de cette lecture:
Les Ouled Ziane descendent de Ziane ben Mahrez ben Ahmed ben Abdallah El-Chérif ben Ali ben Abdelhamid ben Omama ben Menasser ben Aïssa ben Abderrahmane El-Oudghiri.
Les Ouled Azzouz descendent de Khaled ben Anane ben Mohammed ben Anane ben Azzouz ben Mohammed ben Abdellah El-Chérif ben Ali ben Abdelhamid ben Omama ben Menasser ben Aïssa ben Abderrahmane El-Oudghiri.



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