Naama - Hommage

Hommage au Professeur Khaled Benmiloud



Hommage au Professeur Khaled Benmiloud
"La Psychiatrie Algérienne perd son précurseur"

Par le professeur M. Tedjiza Chef de service à l’hôpital psychiatrique universitaire Drid Hocine - Kouba – Alger 26 juillet 2005

Du père terrible de la psychiatrie algérienne au digne représentant de l’authentique humanisme algérien

"Je suis un fils de paysan", aimait à répéter souvent cet enfant de propriétaire terrien, issu d’une lignée de notables de l’oasis de Tiout, près de Aïn Sefra, descendant de l’émir Benyoucef, l’illustre conquérant qui, en son temps, avait islamisé les tribus berbères de la Saoura. A la remémoration de ces espaces infinis semi-arides, où les vastes étendues de alfa ondulaient à perte de vue sous le vent du Sud, et à la simple évocation de la beauté grandiose des nuits sahariennes, il était parcouru d’une singulière émotion esthétique mêlant ravissement et fierté, nostalgie et mélancolie.....
Professeur Khaled Benmiloud

Le père de la psychiatrie algérienne
"Je suis un fils de paysan", aimait à répéter souvent cet enfant de propriétaire terrien, issu d’une lignée de notables de l’oasis de Tiout
De gauche à droite : les professeurs Khaled Benmiloud et Mahfoud Boucebci



Hommage au Professeur Khaled Benmiloud

Par ses élèves et amis BAKIRI, KACHA, RIDOUH, Amine Khaled

Khaled BENMILOUD est décédé vendredi 25 juillet 2003. Il fut le premier psychiatre de l'Algérie indépendante, en 1962.

La psychiatrie algérienne a hérité au lendemain de l'indépendance de 6000 lits à travers le pays et pas un seul médecin psychiatre. A cette époque, on voyait dans les hôpitaux psychiatriques, une sorte d'asile de fous furieux. Benmiloud a humanisé la discipline. Il a réussi à se défaire des trois pavillons Charcot, Pinel et Broussais tombant en ruine, de l'arrière ban de l'hôpital Mustapha et remonter l'allée jusqu'au bout pour refonder la clinique universitaire de psychiatrie d'Alger dans des locaux clairs, humainement viables, le pavillon Ibn Imrane.

Benmiloud était un homme de culture, un ami et compagnon proche de M'hamed Issiakhem, Kateb Yacine et Malek Haddad. Benmiloud était brillant, remarquable quand il évoquait les problèmes sociologiques du pays. Il avait une profonde connaissance de son peuple. La certitude de sa mémoire, les évocations historiques, les références gréco-romaines, mais surtout arabes, en faisait un homme qu'on aimait écouter. Il a été l'instigateur du premier congrès de psychiatrie tenu à Jijel en 1969.

Il était aussi derrière la première promotion de psychiatres dans l'histoire de l'Algérie qui a investi, dès 1971, les différentes cliniques et hôpitaux à travers le pays.
Tous les professeurs exerçant actuellement ont été ses élèves de Kacha à Bakiri en passant par Tedjiza, Boudef et Ridouh. Au cours du séminaire sur la réforme de la justice, l'homme à la blouse blanche avait subjugué son auditoire, composé de robes noires, magistrats, avocats et juristes, par sa connaissance du terrain carcéral.

Personnalité puissante, esprit clair, mais connu et redouté aussi pour sa fermeté et son courage lorsqu'il s'agissait de ne pas concéder une parcelle de son honneur ; il l'a démontré (malheureusement pour la psychiatrie) lors de son opposition au ministre de la santé de l'époque, avec une démission extrêmement prématurée. Il rejoint son village natal, Ain Sefra pour une vie intellecto-pastorale et trouver le repos dans ce désert qui le fascinait



Hommage au Professeur Khaled Benmiloud

Par le professeur M. Tedjiza Chef de service à l’hôpital psychiatrique universitaire Drid Hocine - Kouba – Alger 26 juillet 2005

Du père terrible de la psychiatrie algérienne au digne représentant de l’authentique humanisme algérien

"Je suis un fils de paysan", aimait à répéter souvent cet enfant de propriétaire terrien, issu d’une lignée de notables de l’oasis de Tiout, près de Aïn Sefra, descendant de l’émir Benyoucef, l’illustre conquérant qui, en son temps, avait islamisé les tribus berbères de la Saoura. A la remémoration de ces espaces infinis semi-arides, où les vastes étendues de alfa ondulaient à perte de vue sous le vent du Sud, et à la simple évocation de la beauté grandiose des nuits sahariennes, il était parcouru d’une singulière émotion esthétique mêlant ravissement et fierté, nostalgie et mélancolie.

Cet enfant du pays ressentait un attachement quasi charnel à sa terre natale et vouait un culte profond et sincère à la mémoire de ses ancêtres. C’est que n’ayant point connu sa mère, décédée à sa naissance, il se prit d’affection de tout cet amour laissé intact qu’il transposa sur eux, dont le symbole restait la demeure familiale dans son cadre naturel, véritable mère idéale, sublimée et désincarnée. Ce fut, semble-t-il, un enfant difficile, doué et révolté, qui posa bien des problèmes à son père, Si Khelladi. Les souvenirs d’enfance, qui revenaient souvent dans ses propos, étaient les interminables vacances d’été passées à étudier le Coran dans la zaouïa de ses aïeux, en tenue traditionnelle et les cheveux coupés à ras, ponctués toutefois de séjours bien plus agréables et divertissants dans leur résidence secondaire de Tlemcen. Puis ce fut l’internat au lycée d’Oran, période austère, dont il n’a pas gardé un souvenir particulièrement heureux, marquée par une scolarité pas toujours très studieuse, la pratique du football et l’éveil de la conscience nationaliste. Viendront ensuite les années de médecine à Paris, les farces de carabins chez cet étudiant frondeur et espiègle, friand de littérature et de philosophie, ami d’artistes tels Issiakhem le peintre ou Malek Haddad le poète, ses compagnons d’infortune.

Les camarades d’études, dont il parlait souvent et avec lesquels il était lié par une amitié sans faille qui durera toute sa vie, étaient Omar Boudjellab, Mohamed Redjimi et Saddek Bedali-Amor, tous trois futurs professeurs en médecine de l’Algérie indépendante. Il avait été attiré un temps par la mouvance politique d’extrême gauche, avant de céder au réalisme politique et à l’exigence historique du nationalisme. Durant les années de la Révolution, ce fils et petit fils de bachagha s’était fait un point d’honneur de s’exiler hors de la terre de la puissance coloniale. Ce fut en Suisse qu’il s’en alla suivre sa formation de psychiatre, à la clinique Bel Air de Genève, sous la férule de son maître, J. de Ajuriaguerra, tout en étant secrètement affilié au FLN, pour le compte duquel il militait discrètement.

Qu’il était grand l’espoir, ce jour de l’été 1962, quand le lauréat, fraîchement promu, promis à un avenir radieux, rentrait au pays triomphalement à bord d’une grande Mercedes flambant neuve, pour laquelle il avait mis jusqu’au dernier centime de ses économies afin d’offrir à son père la voiture dont il était digne, et que ce dernier, grand seigneur, lui cédera à son tour. Tel Prométhée ravissant le feu sacré aux dieux de l’Olympe, l’enfant de Aïn Sefra rentrait chez lui après un exil dur et forcé mais fécond, car il ramenait avec lui la science quêtée en terre d’Occident. Et pour cause, il n’était rien moins que le premier psychiatre algérien, celui qui allait être à l’origine d’une descendance prolifique et presque tous les praticiens de la spécialité lui seront redevables, directement ou indirectement, de cette filiation patrilinéaire.

Chef de service des urgences psychiatriques du CHU Mustapha à Alger-Centre qu’il créera pratiquement ex-nihilo, il était également médecin-chef de l’hôpital Drid Hocine de 1967 à 1976, et depuis médecin-directeur jusqu’au début de l’année 1984, régnant ainsi en despote éclairé sur toute la psychiatrie de l’Algérois. Il était secondé par son fidèle complice et ami de toujours, le professeur Pierre Laborde, Bordelais de naissance, Algérois d’adoption et Algérien de cœur, décédé peu de temps avant celui qu’il considérait toujours comme son maître, bien que son cadet de deux ans. Du reste, ce dernier le lui rendait bien, par le respect et l’estime qu’il lui a toujours manifesté, mais également par la protection dont il l’avait constamment entouré, ainsi que la confiance qu’il avait en lui, lui accordant même un statut privilégié par rapport à celui de ses autres collaborateurs, ressortissants nationaux.


Durant cette période, outre qu’il avait mis en place toutes les modalités fonctionnelles du dispositif psychiatrique de l’Algérois, avec son intersecteur comprenant un service d’urgence, un hôpital avec son centre de jour et ses dispensaires à la rue Horace Vernet et au boulevard Victor Hugo à Alger-Centre, à El Biar, à Oued Ouchaïah, à Kouba et à La Haute Casbah, mais également deux services de dégagement aux deux points cardinaux de la wilaya, à Thénia et à Koléa, pour les longs séjours en post-cure. Il avait reconstruit pour cela Drid Hocine de fond en comble en l’agrandissant et en le réaménageant totalement pour le rendre conforme aux exigences de son modèle de fonctionnement idéal. De la modeste clinique l’Ermitage, petit établissement colonial privé, il avait fait un grand hôpital universitaire, l’institution-mère et le premier centre de formation psychiatrique de la jeune République algérienne.

Lui, l’élève de J. de Ajuriaguerra, grand maître de la pédopsychiatrie, il avait créé le premier service d’hospitalisation à temps plein pour les enfants, à Drid Hocine, avant de se raviser et de transférer ses activités dans une structure de jour, à temps partiel. Dans cette tâche gigantesque, il sera aidé par son ami de toujours, le professeur Omar Boudjellab, promu au rang de ministre de la Santé et qui s’avérera être un authentique bienfaiteur de la psychiatrie et de la santé mentale. Il bénéficiera également des conseils avisés et du soutien d’un de ses autres amis, Tahar Hocine, ex-directeur du CHU Mustapha, actuellement en retraite.
On lui doit de la même façon, la création de la clinique de Chéraga sur les décombres d’une ancienne clinique de pneumophtisiologie dynamitée par l’OAS, et qui a longtemps fonctionné comme centre de cure psychiatrique et de repos de la Casoral, l’ancienne caisse de sécurité sociale siégeant à Alger, avant de devenir l’hôpital universitaire de psychiatrie que l’on connaît.

De la même façon, c’est à lui que revient le mérite d’avoir conçu et inspiré l’institutionnalisation, du premier CES de psychiatrie, à la faculté de médecine d’Alger en 1969, en s’inspirant de l’exemple français après les événements de mai 1968 et la scission entre neurologie et psychiatrie, et en s’aidant de relations privilégiées qu’il entretenait avec le ministre en charge des Affaires de l’époque. Cela n’a pas été une mince affaire, loin s’en faut, car il a fallu d’abord s’imposer dans un espace laissé vacant puis occupé par une pléthore de coopérants techniques, affronter l’adversité et surmonter bien des embûches, dues aux convoitises des uns, à la jalousie des autres, maintenir le cap et persévérer dans l’entreprise jusqu’à amarrer le navire à bon port. Cela lui avait du reste valu une solide réputation de bagarreur farouche et ombrageux qui, jointe à une facilité déconcertante à résoudre des problèmes techniques ou administratifs, une certaine virtuosité dans l’expression écrite et l’éloquence avaient fini par agacer plus d’un et faire grincer bien des dents.
C’était en ces temps-là qu’il recevait régulièrement le philosophe français Francis Jeanson, de ses amis, qui animait un séminaire sur la réhabilitation des patients en milieu urbain, selon une approche transdiciplinaire, ainsi que maints autres conférenciers de renom.
Je garde en mémoire une de ses interventions, parmi tant d’autres, à l’occasion de laquelle et pour les besoins du débat, il avait improvisé une conférence cursive sur la phénoménologie de la conscience, petit chef-d’œuvre du genre, digne de figurer dans la meilleure anthologie.

C’était également l’époque où habitant Drid Hocine et étant mon voisin, il lui arrivait d’armer son fusil de chasse et de décocher des tirs de sommation pour faire fuir chèvres et ânes qui, venant de l’ex-bidonville du plateau des Anasser, là où se dresse l’actuel Palais de la culture, défonçaient la clôture supérieure et s’infiltraient à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital pour y paître, en toute quiétude. Une fois, je me rappelle même qu’il s’en était allé chez ses amis Puciers de Oued Kniss, car la brocante et les antiquités constituaient une de ses autres passions, acheter des pièges à loups, et qu’il m’entraîna avec lui pour les poser sur les lieux de passage du bétail. Nous ne les revîmes jamais, car les propriétaires des bêtes, qui nous guettaient discrètement pendant tout ce temps-là, eurent beau jeu de les désamorcer et de les déterrer allégrement, sitôt que les lieux quittés.

Par ailleurs, une des caractéristiques essentielles de cette personnalité attachante et fidèle en amitié était cette érudition incommensurable qui portait, à peu près, sur tout ce que l’esprit humain était en mesure d’embrasser. Critique d’art pictural à l’occasion, fin connaisseur et collectionneur lui-même, il savait, le cas échéant, conseiller ses amis artistes. Ainsi, un jour de passage en voiture par le boulevard Amirouche, à hauteur du restaurant universitaire, il s’était fait héler par son ami Issiakhem qui en sortait. Ce dernier lui montra sa dernière toile et sans descendre de voiture s’en saisissant à bout de bras et en en renversant deux à trois fois de suite la perspective, il lui conseilla de l’appeler Oceano Nox, la nuit océane, d’après le célèbre poème de Victor Hugo, et cela du fait de la forte dominante bleutée baignant toute la toile, lui conférant un aspect aquatique.

De la même façon, à l’improviste, il était capable de réciter de mémoire des tirades entières de la chanson du Mal-aimé d’Apollinaire ou du Cimetière marin de Valéry, ainsi que des pages entières du Quai aux fleurs ne répond plus de son ami Malek Haddad, ainsi que de tant d’autres, modernes et classiques. Dans un registre voisin, il lui arrivait d’écrire assez fréquemment, des articles dans la presse. Il passait alors, avec un égal bonheur, du langage des fleurs et de ses subtiles significations dans les règles du savoir-vivre à la prodigieuse épopée de la mystique musulmane, le Tassawûf, de sa première aurore et de son envol originel à son essor universel actuel, en passant par une étude de l’intellectuel algérien, de sa fonction sociale et de ses rapports à la culture, l’idéologie et l’ordre sociopolitique, un de ses premiers écrits journalistiques. A un moment, fortement impressionné par le film de Luchino Visconti Le Guépard, et m’en étant ouvert à lui, il me parla longuement de l’œuvre de Tomaso Di Iampeduzza, lui-même authentique prince de rang, qui avait servi à l’adaptation cinématographique, de la dynastie normande des princes de Sicile, qu’ils prirent aux Arabes au XIIe siècle. Quelques jours plus tard, il m’offrit l’unique exemplaire qu’il possédait du livre.

Très exigeant, d’abord envers lui-même, il l’était également envers les autres et sans être un forçat du travail, il aimait à se définir lui-même, non sans humour et avec un certain sens de l’autodérision, comme un « cossard ». Néanmoins, cette discrète tendance à la paresse était servie par un esprit méthodique, perspicace et sagace, mais surtout terriblement efficace et il avait donc largement les moyens de cultiver sa petite faiblesse. Il savait être, par moments, un génial improvisateur, capable de fulgurations d’esprit éblouissantes et de réparties cinglantes.
Une fois, invité par son maître à Genève en 1973, à l’occasion d’un congrès de psychiatrie légale, et ayant eu à exposer ses positions doctrinales et sa praxis sociale sur les mesures d’internement et la défense sociale, il fut vivement pris à parti par Franco Basaglia, de l’hôpital Gorizia de Trieste, le célèbre chef de file du courant politichiatrique de l’anti-psychiatrie. Le débat qui s’ensuivit fut, semble-t-il, un moment d’une rare densité intellectuelle.
On lui doit également une œuvre de la maturité, conçue après son départ en retraite, la raison paramagique, qui peut être considérée tout simplement comme un traité d’histoire de la philosophie naturelle de l’esprit, d’admirable facture et donnant la pleine mesure de sa parfaite connaissance des grands classiques. On ne saurait terminer sans évoquer K. Benmiloud, l’auteur du scénario du film d’Akiki, L’Olivier de Boulhilet, sorte de conte populaire moderne se basant sur une réalité sociologique, culturellement et historiquement déterminée, animée d’un lyrisme exalté et mystique, en faisant une œuvre d’une souveraine beauté.

Quoi dire d’autre sinon que le professeur K. Benmiloud est mort deux fois. Il est d’abord mort prématurément à la psychiatrie à l’âge de 53 ans, lors de son départ forcé en retraite anticipée, à la suite d’un sérieux différend l’opposant au ministre de la Santé de l’époque, et alors que son sens de l’honneur ne lui permettait pas de rester en fonction. Il est mort également, mais pour de vrai cette fois-ci, ce triste jour de l’été 2003, alors que rien ne le laissait présager, fermant ainsi une double parenthèse, celle de sa vie ouverte 72 ans plus tôt, et celle de la maturité professionnelle après son retour d’exil, ouverte 40 ans plus tôt, et qui n’aura pas tenu toutes ses promesses.

Quand ce jour de juillet 2003, on m’informa juste avant son enterrement par un appel téléphonique presque anonyme, pendant ses obsèques, je ne pus m’empêcher de penser qu’il était parti comme il avait vécu, dans la discrétion la plus pudique et la résignation la plus stoïque, en essayant, comme toujours, de ne déranger personne. Adieu l’artiste, le philosophe, le poète et le mystique, vous, le médecin-psychiatre qui ne se prenait jamais vraiment au sérieux, et qui à la fin de sa vie portait sur le monde ce regard à la fois lourd d’insistance et perçant d’application, d’une lucidité sans complaisance, mais avec une sympathie pleine d’indulgence, dénuée de toute amertume et rancœur, qui l’avait amené à cette sérénité intérieure et à cet apaisement extérieur, et qui lui faisait envisager la perspective de sa propre finitude, sans angoisse ni désespoir métaphysique. Puissiez-vous, cher maître, en votre dernière demeure, trouver le sommeil du juste, vous qui en aviez été tant privé de votre vivant, et puissiez-vous également, là où vous êtes, parvenir à la certitude à laquelle vous aspiriez tant, ici-bas.

Par le professeur M. Tedjiza Chef de service à l’hôpital psychiatrique universitaire Drid Hocine - Kouba – Alger 26 juillet 2005


Santemaghreb.com



Le Professeur Khaled Benmiloud est né en 1930 à Ain-Sefra (Sud-ouest de l'Algérie). Il a fait le collège à Tlemcen et le lycée à Oran. Il a obtenu le Doctorat en Médecine à Paris, le Diplôme de Psychiatrie à Genève et l'Agrégation de Médecine à Alger. Il a été Professeur à la Faculté de Médecine d'Alger et Médecin-chef de la Clinique Universitaire de Psychiatrie d'Alger.

DISPARITION DU PROFESSEUR KHALED BENMILOUD / LA PSYCHIATRIE ALGÉRIENNE PERD SON PRÉCURSEUR
Auteur : Amine Khaled

Khaled Benmiloud est décédé le vendredi 25 juillet 2003. «Il est parti dans une grande discrétion, comme il a vécu», témoignent ceux qui l’ont connu. Il fut le premier psychiatre de l’Algérie indépendante, en 1962. Sa vie professionnelle, il l’a vouée à la psychiatrie hospitalière, d’une part, et à la psychiatrie universitaire d’enseignement et de formation de praticiens spécialisés, d’autre part. «La carrière de Benmiloud était intense : elle a été prématurément et délibérément interrompue par une retraite souscrite bien avant le terme réglementaire», a indiqué le professeur Abdelfettah Bakiri, un de ses disciples. La psychiatrie algérienne a hérité au lendemain de l’indépendance de 6000 lits à travers le pays et pas un seul médecin psychiatre. «A cette époque, on voyait dans les hôpitaux psychiatriques une sorte d’asiles de fous furieux. Benmiloud a humanisé la discipline», rappelle Farid Kacha, président de la Société algérienne de psychiatrie. Parmi les mérites du précurseur de la psychiatrie algérienne, ceux qui consistaient surtout à «rattraper l’héritage absent des psychiatres français». «Ils avaient vite fait d’abandonner à leur sort les "indigènes paléophrènes, criminels-nés", à leurs obscures dérives… La gageure a consisté, en premier lieu, à se défaire des trois pavillons, Charcot, Pinel et Broussais, plus ou moins cellulaires, tombant en ruine, de l’arrière ban de l’hôpital Mustapha Bacha et remonter l’Allée, jusqu’au bout pour refonder la clinique universitaire de psychiatrie d’Alger, dans les locaux clairs humainement viables, le pavillon Ibn Amrane, le symbole et le programme», témoigne Abdelfettah Bakiri. Khaled Benmiloud était un homme de grande culture, ami et compagnon proche de M’hamed Issiakhem, Kateb Yacine et Malek Haddad. «Issiakhem a été formé comme Malek Haddad et Kateb Yacine à l’école de la solidarité avec le peuple. Nous étions tous à dix douze ans des nationalistes. On découvrait que notre ennemi était le colonialisme et la misère. On découvrait un peu plus tard le marxisme, Mao, la grande marche... On chantait même la misère», avait écrit Benmiloud au lendemain de la mort d’Issiakhem. C’était justement pour rappeler, pour ne pas oublier, que des hommes comme eux étaient forts surtout par leur attachement à leur peuple, à leur terre. Benmiloud était aussi derrière la formation, à partir de 1968, de la première promotion de psychiatres dans l’histoire de l’Algérie. Une promotion de porteurs de Certificat d’études spécialisées (CES), qui a investi, dès 1971, les différentes cliniques et hôpitaux à travers le pays. «Elle s’est dès le départ démarquée, séparée de la neurologie qui avait jusque-là exercé, dans le modèle français notamment, une certaine tutelle gênante sur notre discipline à travers le classique certificat de spécialité de neuro-psychiatrie», écrit Bakiri, sur la teneur de cette formation. En 1969, un premier congrès de psychiatrie est tenu à Jijel. Benmiloud était son instigateur. Et ce n’était pas rien, vu les priorités de l’époque et le manque accablant de cadres spécialisés. Avant de s’en aller, Si Khaled (comme l’appelaient ses proches) a rejoint son village natal, à l’extrême-ouest du pays, pour cultiver la terre et faire pousser des arbres, et trouver le repos dans ce désert qui l’avait toujours fasciné. «Un désert qui le fascinait par son temps et son espace.» Il est parti chercher le repos éternel.

El Watan



PSYCHIATRIE / À la mémoire du Pr Khaled Benmiloud

La Société algérienne de psychiatrie a honoré la mémoire du professeur Khaled Benmiloud jeudi dernier à l’hôtel Sofitel. Reconnu comme l’un des pères fondateurs de la psychiatrie algérienne, plusieurs professeurs et médecins sont venus témoigner de cet homme «d’une extrême honnêteté et d’une extrême intransigeance».

Ils sont venus se remémorer les instants passés auprès de l’ami, le psychiatre et l’homme de cœur qu’il fut. C’est lui qui a organisé pratiquement la psychiatrie moderne dans notre pays. C’est encore lui qui a créé la première spécialité, confectionné le premier programme et sorti la première promotion de psychiatres maghrébins. Il a en outre organisé la formation de psychologues cliniciens dans les hôpitaux psychiatriques en modernisant cette discipline dans notre pays. «On ne voulait pas que son nom soit oublié, on voulait organiser cette journée pour essayer de faire comprendre son œuvre, sa pensée et faire le bilan de sa vie professionnelle», a déclaré le président de la Société algérienne de psychiatrie. Deux propositions ont été faites pour immortaliser son œuvre : donner son nom à un service de psychiatrie et organiser un prix annuel Khaled Benmiloud pour récompenser les travaux les plus intéressants. Le moment fort de cet hommage a été la présentation succincte de son livre La Raison paramagique, un essai philosophique exempt de banalités qui tente d’expliquer la mentalité du sous-développé. Le temps est vécu comme une astreinte et pas comme une possibilité de changer, d’avancer et d’agir sur le monde. Le passé est réduit à un souvenir sans consistance. La vie du tiers monde, c’est une destinée qui n’a rien à son horizon. A ses yeux, il n’y a pas de progrès partiel. Le développement est possible si tout l’environnement suit l’évolution. Il constate «un vide sentimental» malgré la richesse des rapports humains. La raison paramagique n’a pas de cachet d’universalité. L’homme sous-développé vit dans un univers «d’oubli, de fausses reconnaissances et de fabulation». Dans ces pays, on évite de penser, de se rappeler ou plutôt, il est permis de penser à condition qu’on pense tous la même chose et qu’on a tous un seul idéal. Une analyse qui trouve toute son acuité dans l’actualité. L’identification se fait par rapport à la famille, à la tribu ou au lieu de naissance, «ce qui peut expliquer en partie par exemple la crise identitaire en Algérie», commente un participant. Il était l’ami de Kateb Yacine, de Malek Haddad et du peintre M’hamed Issiakhem. Il avait écrit le scénario du film L’Olivier de Boulhilet de Mohamed Bouamari, tourné dans les années 1970. La certitude de sa mémoire, les évocations historiques, les références gréco-latines et arabes, en faisaient un homme qu’on aimait écouter.

Par Kamel Benelkadi

El Watan 28 février 2004





De gauche à droite : les professeurs F. Kacha, K. Benmiloud et M. Tedjiza (Décembre 1983)



LE PROFESSEUR KHALED BENMILOUD N'EST PLUS / Requiem à un grand esprit

Ainsi va notre régression. Il n'y a pas lieu de nous écrier comment se peut-il ? C'est normal. Dans le déluge de notre procession inconsciente vers les ténèbres, nous avons été dupes, cyniques ou lâches lorsque nous avons plié l'échine devant la fatalité de notre destin. Il est donc normal que le professeur Khaled Benmiloud nous quitte pour le royaume des cieux dans une indifférence quasi générale.

Car le professeur Benmiloud fut, d'un point de vue symbolique, l'exact contraire des chimères que sont devenues hélas nos valeurs. L'intelligence contre l'opportunisme. La générosité contre le tribalisme. La science à l'odeur de jasmin contre le gain indu nauséabond. Mais lamentation et amertume face à l'ingratitude sont les pièges à éviter. Car en y cédant, on dénie de nouveau au défunt la reconnaissance qui a le plus cruellement fait défaut après son décès. Seul l'optimisme, ou, pour ne pas tomber dans les travers de la naïveté et en reprenant le terme lucide d’Émile Habibi, seul le pessimisme, c'est-à-dire seul l'optimisme tempéré par le pessimisme que nous impose notre réalité, peut nous guider afin d'atteindre, ne serait-ce que sur le plan discursif, les multiples objectifs que nous fixe le décès d'un homme de valeur : l'hommage le plus révérencieux, certes, mais aussi et peut-être surtout une réflexion, aussi modeste soit-elle, sur notre réalité et l'esquisse d'une trajectoire orientée vers une Algérie meilleure, une Algérie où la médiocrité cesserait d'être une valeur de fait et deviendrait le pire des anathèmes. La sagesse de notre culture elle persiste, à peine visible, voilée par les ombres de notre médiocrité me fait dire traduit de l'arabe : «Que celui qui m'a appris une lettre soit assuré de ma sollicitude ma vie durant.» On l'aura compris, mon hommage n'est pas celui d'un ami chagrin de la perte d'un être cher à son cœur. Je n'ai jamais eu le plaisir de connaître le défunt autrement qu'à travers ses textes et les quelques écrits disséminés çà et là, qui m'ont permis de connaître certains aspects de sa personnalité dont, par-delà tout le reste, son amour des lettres et de l'art. Mon hommage se doit d'être par conséquent en résonance avec une attitude qui cela relève de l'évidence était la sienne, celle du questionnement. Ce qui m'amène à poser la question et à m'inviter ainsi que les lecteurs à la méditer : pourquoi le professeur Benmiloud fut un psychiatre différent ? Je ne dis pas meilleur ou pire, mais différent. Une certaine idée de la modernité a doté la psychiatrie de sa grandeur et de sa misère à la fois. Sa grandeur, en ce qu'elle a fait de la folie une maladie comme les autres en la soustrayant aux schèmes interprétatifs mythiques de la prémodernité qui, souvent, la confinaient dans une sorte d'immanence à des forces paranormales, voire sataniques. Sa misère, car en faisant de la folie une maladie comme les autres, la modernité a longtemps circonscrit la thérapie psychiatrique à la médication chimique, les progrès en biopharmacologie aidant. Le milieu du malade mental, en tant que source potentielle de la maladie et en tant que facteur possible de thérapie, est tout simplement ignoré, légué aux confins du fantaisiste, du non-scientifique, du peu rigoureux. Obnubilé par ces certitudes dogmatiques, le psychiatre est devenu un administrateur de pilules. Sans nier l'amélioration de la thérapie qui en a découlé, force est de constater aussi qu'en agissant de la sorte, la psychiatrie s'est privée elle-même d'un précieux outil de compréhension et d'intervention. D'autant plus que la psychiatrie a nié la persistance, quand bien même sous forme d'une trace mnésique, des croyances populaires assimilant la folie à des facteurs maléfiques. On comprend dès lors pourquoi le psychiatre n'est psychiatre que s'il est en même temps un ethnologue, précisément un ethnopsychiatre. L'universalité de la thérapie n'a donc plus de sens, du moins pas le sens plein qui fut le sien à un moment donné. Le professeur Benmiloud l'a tôt compris et en a mesuré la portée : sa science ne devait en aucun cas se limiter aux lésions organiques, quelles que fussent les progrès des neurosciences. L'objet de sa science ainsi ouvert, le professeur pouvait adhérer à la réhabilitation du milieu du malade comme partie intégrante du malade lui-même. Et c'est dans cette perspective précisément qu'il a pu insister dans l'un de ses textes sur l'abîme qui sépare la connaissance scientifique (essentiellement biomédicale) de la folie et les croyances populaires qui l'entourent et qui assimilent la folie à «la possession démoniaque» et son soulagement à «l'exorcisme». Et le professeur de relever : «La psychiatrie en tant que science et action médicales, demeure souvent impuissante à dissiper ce préjugé qui constitue un véritable handicap dans son exercice. C'est que pour agir à des fins thérapeutiques, elle a besoin de ce milieu humain qui est à la fois, son instrument et sa finalité.» Il est vrai que la psychiatrie serait de loin plus efficace, si elle ne devait pas composer avec cet aspect contingent des choses. Or, il n'en est rien et n'en sera rien longtemps encore, quoi qu'en pensent les puristes. Car le rapport des sains d'esprit à la folie des autres est empreint de façon indélébile d'une angoisse existentielle relevant presque de l'ontologie humaine : «La folie de l'autre, écrit le professeur, celle qui est devant nous, réveille celle que l'on craint être en nous, ou qui est connue de nous comme étant en nous. Cette angoisse de la folie en nous entretient cette peur de la maladie mentale, peur qui à l'origine, reposait sur la croyance en l'immanence d'esprits maléfiques.» L'une des erreurs de Descartes relevée avec force par Michel Foucault dans Histoire de la folie à l'âge classique fut d'avoir professé une négation mutuelle nette et radicale entre «raison et folie».
Entre raison et folie
La «raison» définie comme le contraire irréductible de la folie et vice versa, même si elle a le mérite et l'audace indéniables de faire de la folie une maladie non une malédiction, souffre cependant d'un simplisme porteur de deux abstractions abusives concomitantes : une abstraction de la complexité de la maladie mentale et une abstraction de notre rapport à la folie lorsque nous n'en sommes pas atteints. Un point fondamental rapproche le professeur Benmiloud de Michel Foucault : l'évidence de la frontière floue entre «raison» et folie. Un flou qui gagne un surcroît d'opacité dès l'ajout du facteur environnemental. Le parricide de Pierre Rivière remontant à l'an 1836 dont Michel Foucault a redécouvert le mémoire et l'a publié un siècle et demi plus tard sous le titre Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, mon frère et ma sœur en est un cas d'école. Aucun psychiatre scientiste ne peut dire avec certitude que le malheureux Rivière aurait été pris du même accès de démence et aurait commis son triple crime odieux de la même manière qu'il le fit s'il n'était pas né dans la famille Rivière, s'il n'avait pas eu les parents qu'il a eus, s'il n'avait pas surtout vécu dans la province française à une époque où les gazettes populaires exaltaient de fait le même genre de forfaits immondes en les ressassant ad nauseam. Il en est de même des actes barbares commis dans notre pays depuis le début des années 1990. Que l'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je ne veux pas attribuer ce point de vue au professeur Benmiloud directement. Je crois seulement qu'un tel point de vue concorde avec la psychiatrie telle qu'il la concevait. Là, le facteur structurant étant le martelage de récits macabres par les gazettes, ici une «raison» paramagique où le mythique l'a emporté pour différentes raisons sur le rationnel. Cela me semble cohérent. En revanche, ce qui sépare le professeur Benmiloud d'un Michel Foucault est bien plus profond. Outre le fait évident que le premier fut psychiatre et le second philosophe, et comme l'a souligné le grand Edward Saïd dans Culture et impérialisme en comparant Foucault à feu Franz Fanon (l'un des pionniers de la psychiatrie algérienne), Fanon ne laisse pas son lecteur sans l'espoir d'un avenir meilleur fondé sur ce que l'être humain a de meilleur, d'où son humanisme et sa modernité, alors que Foucault fait aboutir sa pensée intentionnellement à une impasse aporétique où le nihilisme se dispute le terrain à une sorte d'anarchisme individualiste profondément cynique, d'où son antihumanisme viscéral. Contrairement à Foucault dont le style baroque flamboyant et l'apparence anticonformiste qui cache mal l'ésotérisme rétrograde de sa pensée et qui a malheureusement séduit jusqu'à l'assujettissement bon nombre de chercheurs jeunes et moins jeunes, y compris dans notre pays, le professeur Benmiloud, à l'instar de Franz Fanon, croyait en la possibilité et en la nécessité de l'émancipation collective des sociétés pour peu que les conditions nécessaires soient réunies par les êtres humains eux-mêmes. On comprend donc mieux pourquoi Khaled Benmiloud le psychiatre s'est éloigné des sentiers battus de la réflexion techniciste, avatar de l'économisme, lorsqu'il s'est employé à réfléchir sur l'épineux thème du sous-développement. Or quel est le trou noir qui a caractérisé hier notre rapport au socialisme et aujourd'hui au capitalisme si ce n'est celui de l'économisme ? ! Voilà en somme pourquoi je n'hésite pas à croire que s'il y a quelqu'un à plaindre, ce n'est pas le professeur Benmiloud à qui nous avons dénié l'ultime reconnaissance, mais bien nous-mêmes car à bien y voir nous nous sommes insultés nous-mêmes en manquant de décence au moment de l'adieu que nous lui devions. Si nous venions un jour à comprendre que ce n'est nullement du culte de la personnalité que de rendre l'hommage qu'ils méritent à des esprits comme celui du professeur, en les lisant attentivement, en les reconnaissant, voire en les critiquant, mais une manière sans doute la plus efficace d'institutionnaliser l'intelligence dans notre pays, eh bien, ce jour-là nous aurions compris quelque chose de simple mais ô combien fondamental. L'hommage posthume au professeur Benmiloud serait injustement incomplet sans l'évocation de son amour des belles lettres et des arts. Quitte à ne rappeler qu'une seule de ses amitiés mais pas la moindre, celle qui l'a lié à M'hamed Issiakhem, cet autre géant bien de chez nous dont l'art n'a rien à envier à celui d'un Picasso, mais que notre bêtise, toujours elle, nous a fait oublier. Nul autre que le professeur Benmiloud n'a fourni une clé aussi précieuse pour comprendre la peinture d'Issiakhem que celle qu'on retrouve sur les colonnes d'Algérie Actualités (12 décembre 1985) dans l'hommage rendu par le professeur à son ami l'artiste quelque jour après son décès. Un hommage qu'il concluait en ces termes : «M'hamed Issiakhem est mort, mais il reste son œuvre. Il reste aussi tous les autres peintres qui ont besoin, comme M'hamed de son vivant, d'être aidés, d'être compris et surtout, de vivre.» «Le professeur Benmiloud a vécu presque vingt ans après ce texte. Il a eu l'occasion de constater à quel point il avait raison de croire à la persistance de l'art plastique dans un pays où l'art est pourtant une malédiction pour l'artiste. Et c'est sans doute avec amertume qu'il a dû se rendre à l'évidence que nous dévorons sans merci nos propres artistes qui ont besoin, aujourd'hui plus qu'à l'époque, d'être soutenus, d'être reconnus pour pouvoir vivre.» La bête l'a-t-elle emporté en nous définitivement ? Sa victoire est indéniable, il suffit de voir où nous en sommes, le reste se passe de commentaire. Mais une victoire temporaire. Elle durera cependant aussi longtemps que nous n'aurons pas compris que les mères algériennes mettent au monde des Khaled Benmiloud tous les jours. Et que, hélas, tous les jours nous ajoutons une pierre à cette muraille hideuse édifiée par nos soins pour la dresser contre ces Khaled Benmiloud qui grandissent, s'engagent sur le sentier escarpé de la connaissance dans l'amour et l'empathie envers les leurs sans jamais pouvoir s'intégrer à une dynamique dans laquelle ils accordent et reçoivent la reconnaissance. Que Dieu ait pitié de nous, car nous n'en avons visiblement pas pour nous-mêmes.

Par Miloud Chennoufi
Chargé de cours à HEC-Montréal
et candidat au doctorat à l'université de Montréal

El Watan 09 août 2003



Le Professeur Khaled Benmiloud a notamment écrit: " La raison paramagique. Sous-développement et mentalités " Editions Dahlab, Alger, 1993.

" La raison paramagigue est un type de rationalité dominant chez les peuples du Tiers-monde. Ses caractéristiques montrent et expliquent son inefficience sur la connaissance du monde, aussi bien que sur l'action dans ce monde. Avec elle, les croyances et les valeurs morales constituent l'essentiel d'une mentalité, ou de mentalités, particulières. Produit du sous-développement, ces mentalités en sont aussi une cause, majeure parmi les autres. La lutte contre le sous-développement exige donc en préalable une autre action sur ces mentalités, que seule l'éducation morale est en mesure de réaliser."



DISPARITION DU PR KHALED BENMILOUD : UN TOUCHE-À-TOUT MAGNIFIQUE
Amine Bouali

J’ai connu le professeur Khaled Benmiloud, psychiatre et écrivain, en 1982 comme patient. Atteint d’une dépression «artistique» carabinée, j’ai cherché son aide, attiré par sa réputation de médecin hors pair. Dans son petit cagibi de «concierge» de l’hôpital Mustapha à Alger, devant une table de cuisine qui lui servait de bureau, en blue-jean et tee-shirt, il était au téléphone, griffonnant sur un mur décrépi, qui était à portée de sa main et qui lui servait de bloc-notes, des phrases et des numéros de téléphone, demeurés pour moi à jamais mystérieux.

L’air malicieux, les yeux brillants d’intelligence, attentif sous un faux air distrait, il parcourut les quelques poèmes que je lui tendais et me proposa, à la fin de la séance, comme thérapie de m’aider à publier un article, qu’il m’invita à écrire sur le champ même, sur les indigènes d’Australie.

Je ne connaissais alors rien de cet homme, natif de Aïn Sefra, fils d’un notable de la ville, qui avait fait ses études de médecine à Genève et était considéré, avec feu Mahfoud Boucebsi et le professeur Laborde, comme l’un des pères fondateurs de la psychiatrie algérienne. Je l’ai vu, cette fin de matinée-là, quitter l’hôpital Mustapha, à bord de sa modeste Fiat 128 blanche, simple et tranquille comme un homme qui n’a de compte à rendre qu’à sa seule conscience.

J’ai appris par la suite qu’il était l’ami de Kateb Yacine, de Malek Haddad et du peintre M’hamed Issiakhem, qu’il avait écrit le scénario du film «L’olivier de Boulhilet» de Mohamed Bouamari, tourné dans les années 1970.

Le taquinant un jour, timidement, sur l’absolue nécessité de la présence de sa photographie en haut d’un article brillant, intitulé «Eloge de l’intellectuel-praticien» qu’il avait fait paraître dans les colonnes «d’Algérie-Actualités», il préféra, en souriant et sans discuter, me concéder le point. Lui qui débarquait parfois la nuit dans son service à l’hôpital Mustapha pour vérifier si tout allait bien. Lui qui n’hésitait pas à l’occasion de donner un coup de main, à titre, je suppose, d’ami de la poésie, à un jeune inconnu à côté de ses pompes, qui arrivait par train avec ses poèmes à la con!

Khaled Benmiloud publia plus tard deux livres: «Propos épars» aux éditions Enal et surtout son ouvrage majeur «La raison para-magique» qui révéla son immense et éclectique culture.

Homme libre, esprit ouvert et non conformiste, même dans la pratique de sa profession, touche-à-tout magnifique, il lui est même arrivé de croquer l’actualité et le comportement des Algériens dans des dessins de presse publiés vers la fin des années 60 par l’hebdomadaire «Algérie-Algérie» dirigé alors par le journaliste Mohamed Farhi.

Adieu Maître. Je paye ici modestement une dette que j’ai contractée un jour à votre égard et que la peine de votre disparition rend encore plus lourde. Votre vie n’aura pas été vaine.


Amine Bouali Le Quotidien d'Oran 6 août 2003



ÉVOCATION / L’hommage du Pr Ridouh à Khaled Benmiloud

Big Ben, comme ses élèves l’appelaient affectueusement, vient de partir. Rien ne nous préparait à sa disparition, et surtout pas sa robuste santé qu’il mettait à l’épreuve à Aïn Sefra dans des activités agricoles avec une austère simplicité de sa vie intellecto-pastorale.

Auparavant, j’avais eu avec lui, c’est le moins que l’on puisse dire, des rapports conflictuels d’une rare intensité, rapports à mettre sur le compte d’un homme à principes. C’est ainsi que lors de notre soutenance de thèse, le célèbre philosophe Francis Jeanson (principal responsable du réseau des porteurs de valises), ayant été évincé du jury par le recteur de l’époque, Benmiloud refusa de siéger en tant que directeur de thèse, avec les conséquences qu’on peut imaginer. Tous les professeurs, exerçant actuellement, ont été les élèves de Benmiloud : de Kacha à Bakiri, en passant par Tedjiza, Boudef et moi-même. Personnalité puissante, esprit clair, mais connu et redouté aussi pour sa fermeté et son courage lorsqu’il s’agissait de ne pas concéder une parcelle de son honneur ; il l’a démontré (malheureusement pour la psychiatrie) lors de son opposition au ministre de la Santé de l’époque, avec une démission extrêmement prématurée. Il avait des estimes et des sensibilités qu’il aimait évoquer (feu Seddik Benyahia, ministre de l’Enseignement supérieur), mais il avait également des antipathies tenaces…Big Ben était brillant, remarquable quand il évoquait les problèmes sociologiques du pays. Il avait une profonde connaissance de son peuple. La certitude de sa mémoire, les évocations historiques, les références gréco-latines, mais surtout arabes, en faisaient un homme qu’on aimait écouter. Au cours du séminaire sur la réforme de la justice, l’homme à la blouse blanche avait subjugué son auditoire, composé de robes noires, magistrats, avocats et juristes, par sa connaissance du terrain carcéral. La préface, que le professeur Benmiloud m’a affectueusement «dédiée» dans l’ouvrage sur Boumaârafi, est un reflet de cette personnalité entière, ciselée dans le roc, mais aussi généreuse, sensible, discrète, effacée, en un mot exempte de banalités. Benmiloud n’aurait pas aimé une quelconque éloquence funèbre à son sujet, mais on demandera à «Shab el baroud» une salve d’honneur pour Khaled Benmiloud, le père de la psychiatrie algérienne, notre maître.

Par Pr B. Ridouh


El Watan 11 août 2003



Hommage à Issiakhem

par le Professeur Khaled BENMILOUD - Psychiatre -

(Algérie Actualité N° 1052 - Semaine du 12 au 18 Décembre 1985)

Je l'ai connu dans les années cinquante, à Paris, moi j'étais étudiant en médecine et lui aux Beaux-Arts; il faut dire que, chez Issiakhem, il y a le personnage et l'artiste.

On dit que c'est le peintre de la figure, moi Je dis que ce n'était pas prémédité. Fatalement, au dernier moment, la figure ressortait. Il travaillait, à mon sens les teintes, puis avec un chiffon, il les effaçait, et finissait par obtenir une certaine harmonie entre elles. Issiakhem n'est pas un figuratif, c'est le roi de la teinte. Il la maîtrisait parfaitement par une sorte de multitude et de liaison. Il s'y balade presque et puis, brusquement, il y'a l'irruption de la figure. Il part dans une toile, sans savoir où il va. C'était la toile qui le menait; c'est pour cela qu'il n'était pas un commercial, Il ne pouvait pas faire de la commande.

Au niveau de la création, c'est un vrai artiste; il ne pouvait pas ne pas créer, sur n'importe quoi, sur du bois, un morceau de drap. C'était sa manière d'être au monde; la figure est un surcroît dans la toile. Il dominait les teintes, et la figure le dominait.

La peinture d'Issiakhem, c'est une richesse dans la matière. La figure, si l'on peut dire, calmait son angoisse. Quand, dans la toile, la figure apparaissait, il commençait à voir l'acte de création s'achever. L'irruption de la figure avait en quelque sorte un effet conjuratoire. C'est la fin de l'angoisse de la création. Parce que si la figure a une fin, comment peut-on finir les teintes? La figure, chez lssiakhem, c'est la possession.

Un type hanté par la création, tout le temps, tout le temps. On peut dire de lui qu'il était surréaliste, non dans sa peinture, mais dans sa personnalité. L'harmonie de ses teintes, c'est du talent simplement. Sinon comment l'expliquer? Mais il y'avait du travail dans ses toiles. Il n'aimait pas la facilité. Il considérait qu'une toile n'était jamais finie, sauf si la figure venait.

Sobre, c'est un type merveilleux, généreux. Il pouvait donner le meilleur de lui-même. Même quand il faisait des portraits-robots pour la police, c'était finalement lui qui créait le personnage. Très affectueux, très peu sûr de lui, inquiet, tourmenté...

J'étais un ami et je crois que j'étais sécurisant, parce que psychiatre. Je n'étais pas son psychiatre, M'hamed n'était pas un cas psychiatrique.

II avait une patte extraordinaire, un personnage marrant, bringueur, rigolo, moribond, II nous faisait rire. Un type qui se sait condamné et qui trouve le mot pour rire ? Il faut le faire.

Issiakhem a été formé comme Malek Haddad, Kateb Yacine à l'école de la solidarité avec le peuple. Nous étions tous à dix, douze ans, des nationalistes. On découvrait que notre ennemi c'était le colonialisme et la misère. On découvrait un peu plus tard le marxisme, Mao, la grande marche... On chantait même la misère. Mais ce qui nous a le plus marqué à l'époque c'était le formidable élan de solidarité avec le peuple.

M'hamed Issiakhem est mort, mais il reste son oeuvre. Il reste aussi tous les autres peintres qui ont besoin, comme M'Hamed de son vivant, d'être aidés, d'être compris et surtout, de vivre .

Pr Khaled Benmiloud - Psychiatre -
(Algérie Actualité N° 1052 - Semaine du 12 au 18 Décembre 1985)



Texte du Pr K. Benmiloud

"l'esprit humain, psychisme en relation"

Professeur Khaled BENMILOUD

"....Concernant la maladie mentale, il s'est aussi produit une "révolution pharmacologique", succès inattendu de la seule chimie industrielle, qui en a complètement transformé le traitement, le contrôle, la surveillance, l'évolution, le pronostic, les séquelles. Mais à un moindre degré, le statut social,c'est à dire la manière dont elle continue d'être perçue dans la société. Les taux de guérison, d'amélioration, de stabilisation, sont aujourd'hui équivalents et souvent plus élevés que dans les maladies des autres organes. Mais demeure encore une sorte d'inquiétude sceptique, souvent mêlée d'angoisse, lorsqu'on appréhende de près ou de loin cette maladie.
Pourquoi en est-il ainsi ?
Tout d'abord, la maladie mentale n'étant que rarement mortelle, ses echecs demeurent, debout et animés, incarnés dans des êtres qui ont perdu tout ou une partie de leur humanité, à témoigner des limites et contre les prétentions de la psychiatrie.
Ensuite, et malgrè l'absence de toute certitude scientifique ou même tout simplement expérimentale, l'idée de la "contagion" de cette maladie demeure une croyance confuse, à peine consciente. On croit cette contagion réalisable non par la transmission de ce qu'on a appelé un "agent pathogène" (virus ou microbe), mais par la transmission d'une sorte de vibration, comparable à la manière dont se transmet la chaleur, par la "conduction" qui est la transmission d'une agitation moléculaire. Cette vibration est ressentie devant le malade mental, non pas seulement parce qu'on se sait impuissant à contrôler des actes ou des réactions imprévisibles, et là on est dans la crainte, mais aussi, et c'est à ce moment là surtout qu'il y a vibration, parce que la folie de l'autre, celle qui est devant nous, réveille celle que l'ont craint être en nous, ou qui est connue de nous comme étant en nous. Cette angoisse de la "folie en nous", entretient cette peur de la maladie mentale, peur qui à l'origine, reposait sur la croyance en l'immanence "d'esprits maléfiques". C'était le temps, encore souvent présent chez les hommes, de la possession démoniaque et de l'exorcisme.
aujourd'hui encore, la psychiatrie en tant que science et action médicales, demeure souvent impuissante à dissiper ce préjugé qui constitue un véritable handicap dans son exercice. C'est que pour agir à des fins thérapeutiques, elle a besoin de ce milieu humain qui est à la fois, son instrument et sa finalité. La psychiatrie pourrait beaucoup plus dans sa pratique quotidienne, si on cessait de voir la maladie mentale comme contagieuse et porteuse de danger pour autrui, parce que c'est de moins en moins vrai, et qu'on la regarde enfin comme une maladie ordinaire....."

Editions MARINOOR - REVUE N°11- 1998



Extrait d'un texte sur le Soufisme du Pr Khaled Benmiloud paru en plusieurs parties dans La Nouvelle République en octobre et novembre 2002 :

"... cela parce qu’il n’est qu’un commentaire et une nouvelle manière de lire et de vivre le Coran. En effet, dès ses débuts, le soufisme se présentait comme un retour à la pureté primitive, à la vie intérieure des croyants. Il reposait sur une interprétation toute spirituelle et ésotérique du Coran. C’est donc aussi qu’il y puisait sa source.

Il faut envisager de la même manière les rapports du Tassawouf avec le Prophète Mohamed (slam). Cela, à travers ses propos, ses actes et sa conduite. Nous avons vu qu’il avait parlé des Soufis en affirmant : "Celui qui entend la voix des Ahl Ettassawouf et ne dit pas Amen à leur prière est compté devant Dieu au nombre des incroyants."
Mais si le Tassawouf (Soufisme) a été d’abord une attitude et un comportement mystiques aussi anciens que l’Islam, il faudra cependant attendre plusieurs siècles (XIIe) pour qu’il se développe et s’organise en confrérie (Ta’ifa). Mais depuis les premiers temps, l’enseignement oral et la Baraka du Prophète se sont transmis de maître à disciple, trait essentiel du Tassawouf. Et toutes les filiations initiatiques (silsila) comme l’affirma le maître soufi Al Basri (VIIe - VIIIe siècles) remontent à Mohamed (slam).

D’ailleurs, le Tassawouf a pris naissance dès le premier siècle de l’Hégire (VIIe siècle chr.), en réaction contre l’Islam officiel qui, dans la course aux biens matériels à conquérir, ne s’occupait plus de sa propre vie.

Pour Ibn Arabi (XIIIe s.) : "L’acte créateur commença avec Mohamed (slam) et s’acheva avec lui. Car, d’une part, il était prophète, alors qu’Adam était entre l’eau, l’argile, et d’autre part, il fut dans son existence terrestre le sceau de tous les prophètes." Mohmed (slam) était considéré par les Soufis comme le meilleur des prophètes, le seul digne d’être admis dans l’union intime avec l’esprit divin, mais qui n’avait aucune connaissance des "choses cachées" et ne possédait aucun secret mystérieux. Ils rappelaient à ce sujet ses propos : "Si je savais ce qui est caché, je m’approprierais le bien, et le mal ne me toucherait plus" (VII, 188). Et puis : "Je ne vous dis pas que l’on trouve auprès de moi les trésors d’Allah, je ne sais pas davantage ce qui est caché, je ne prétends pas non plus être un ange." (VI, 50)

Le Prophète (slam) a-t-il vu son Seigneur lors de son voyage nocturne ? (XVII, 1 et LII, 4 à 18). Conformément à la tradition remontant à Aïcha, le Soufisme affirme : "Qui prétend que Mohamed (slam) a vu son Seigneur a menti." Mais selon un autre Soufi, le Prophète "l’aura (Dieu) vu avec son cœur". Il s’appuyait pour dire cela sur l’indication scripturale : "Le cœur n’a pas menti sur ce qu’il a vu." (LIII, 11)

Le Soufi se plaçait en quelque sorte au-dessus des prophètes, et par son enseignement extatique s’élevait au-dessus de l’humanité, pour devenir un être surnaturel et merveilleux, tandis que Mohamed (slam) se considérait comme un simple mortel, ignorant les mystères de l’avenir, et n’ayant aucun pouvoir de faire des miracles. On comprend bien tous les ennuis qu’ont eus avec leurs communautés les Soufis et, par exemple, le destin tragique d’El Hallaj (Xe siècle), mis à mort parce qu’il se proclamait "divinisé".

Mais le Soufisme ne se considérait pas comme hérésiarque. Par la tradition qu’il avait su assimiler à ses principes, il avait, par la voix de ses docteurs, fait remonter au Prophète la source son enseignement auquel il donnait une source à la foi divine et mohamédienne. Dhou L Noun (IXe siècle) dit : "Dans la course au galop à laquelle se livrent les âmes des prophètes dans la lice de la connaissance de Dieu, c’est celle de notre Prophète Mohamed (slam) qui les a devancées toutes, vers les jardins fleuris de l’union intime (avec Dieu)."
Dans son élaboration de l’ordre du cheminement et des étapes des itinérants vers Dieu, le soufisme s’est constamment référé à des paroles du Prophète. Ce qu’il a appelé étapes ou stades se comptent au nombre de trois. La première étape ou premier stade consiste en la mise en route (Bidaya) de celui qui a fait le propos d’avancer. Le Hadith concernant le sens de ce stade dit : "Marchez ! les esseulés arriveront les premiers !" On demanda à Mohamed (slam) : "Ô envoyé de Dieu ! qu’est-ce que les esseulés ?" Il répondit : "Ce sont les frémisseurs qui frémissent à la pensée de Dieu ; la pensée de Dieu enlèvera leurs fardeaux de sorte qu’ils viendront légers au Jour de la Résurrection." Le deuxième stade de l’itinérant vers Dieu est celui de son entrée dans l’expatriement (Ghurba) qui, selon le Hadith, est "la recherche de Dieu". Le troisième stade, c’est l’arrivée à la contemplation (mushahada), qui attire vers l’essence même de l’unification (tawhid), dans le chemin de l’anéantissement (fana). Le Hadith concernant le sens de l’arrivée à la contemplation dit : "Dans la tradition rapportant la question posée, Gabriel dit à l’envoyé de Dieu : "Qu’est-ce que le bien-agir ?" Il répondit : ‘’C’est que tu rendes ton culte à Dieu, comme si tu Le voyais, et si tu ne Le vois pas, Lui du moins te voit.’’" Nous voyons là un exemple de la référence régulière aux Hadiths que faisait le soufisme pour mieux affirmer et convaincre. Un autre exemple est celui où Dhu L Nun (IXe siècle) parle de l’assiduité (ilzaza) dans l’invocation (dou’aa). Il cite la parole du Prophète (slam) : "Soyez assidus (alizzu) dans l’invocation : ‘’Ô toi qui détiens la majesté et la magnificence’’."

Il semble bien que le Prophète a eu très tôt une affection particulière pour les Ahl Ettassawouf des premiers temps, qu’on appelait alors les pauvres (fouqara), et que cela reposait sur l’admiration qu’il avait pour cette pauvreté volontaire par renoncement (zuhd). C’est ainsi qu’il a dit, rapporte Abul el Qacim el Qebiri : "Il existe une clef pour toute chose. La clef du paradis est l’amour des malheureux et des pauvres." Anes ben Malek a rapporté cette autre parole du Prophète : "Les pauvres entreront au paradis, une journée avant les riches, ce qui représente une avance de cinq cents années." Ibn Ameur rapporte le Hadith : "Ô mon Dieu, fais-moi vivre et mourir pauvre, et ressuscite-moi dans la phalange des malheureux." Et la pauvreté par renoncement, c’est-à-dire l’ascétisme, est un caractère capital de la pratique du Tassawouf.
Il apparaît donc que les rapports de Mohamed (slam) avec le Tassawouf semblent bien être des rapports basés sur l’affection et l’admiration. Admiration pour le renoncement (zuhd) et la piété dans la pauvreté. C’est ainsi que Rouin rapporte ce Hadith : "Le pauvre (faqir) doit avoir trois qualités : conserver ses pensées intimes, s’acquitter des obligations de la loi divine et protéger sa pauvreté contre toute atteinte."

Si réciproquement, les Soufis ont eu pour Mohamed (slam) des attitudes retenues et parfois critiques, ils ont, pour sa Tradition, observé une sorte d’orthodoxie sans faille. C’est ainsi que Ghazali (XIe s.) affirme : "Notre science, le Soufisme, est régulée par le Coran et la Sunna." Et puis : "Le parfait est celui qui se conforme à la Sunna, non le scissionniste-chiite (al mutachyy’u), ni celui qui s’écarte (el mu’tazilu), ni l’innovateur (el mubtad’ii)."
Les Soufis ont surtout suivi Mohamed (slam) comme modèle. Pour eux, il offrait "l’image la plus parfaite du monde. Et comme tout maître spirituel, il présentait "une double face, l’une tournée vers Dieu, l’autre vers les hommes". Ghazali recommandait d’"observer le modèle mohamédien" et de "suivre le Prophète (slam) dans ses comportements, ses actes, ses ordres et sa Sunna". Enfin, rappelons-le, le modèle de la confrérie (ta’ifa) était inspiré directement du comportement du Prophète avec ses compagnons (Suhaba). En effet, c’est le compagnonnage (suhba) qui a précédé les confréries au temps du Soufisme ancien et médiéval. Dans une de ses invocations, Mohamed (slam) s’est adressé à Dieu en ces termes : "Tu es le Compagnon durant le voyage." Et ses derniers mots ont été : "Compagnon suprême." Et pour le Compagnon, le Maître importe plus que la voie, qui, elle, se fonde dans le Maître. Ainsi donc, les confréries n’ont été que l’extension dans le temps et dans l’espace du lien entre le premier maître (Mohamed, slam) et ses Compagnons.

Nous connaissons l’existence du rite hanafi, mais nous n’avons qu’une très vague idée de ce que sont les autres rites orthodoxes-sunnites (hanbali, chafi’i). Et nous avons une idée encore plus vague de ce qu’est l’Islam qualifié d’hérésiarque. Selon Kitab el Maouaqiff de A’d houd-el-Mella, Abderahman ben Mohamed el-Idji el-Cadi le présente en huit classes : les Kharédjites (Kharidjia), les Mo’tazélites (Mo’tazla), les Mordjites (Mordjia), les Nadjarites (Nadjaria), les Djabrites (Djabria), les Mochabbihites (Mochabbiha), et les Nadjites (Nadjia).
Mais la huitième classe, la plus importante, et celle des Chi’ites (Chi’a). Ce sont les partisans de Ali, le quatrième Khalifa (656), après Abou Bekr (632), Omar (634) et Othmane (644) qui lui avait été préféré. Demis par Mou’awiya en 657 parce qu’il refusait la discorde, Ali a été abandonné par les Kharédjites. Ceux qui lui sont restés fidèles, sous Mouawiya ont été désignés sous le nom de Chi’ites (les partisans). Ali, assassiné en 661 par un Kharédjite, lui succède à la tête de la communauté chiite, son fils aîné Hasan jusqu’en 669 puis l’autre fils Hussayn, qui fut massacré en 680.

Nous sommes contraints d’insister sur la nature du Chi’isme parce que mal connu dans notre pays, mais réalité importante dans l’islam d’aujourd’hui. Pour les Chi’ites, les successeurs du Prophète doivent être choisis dans sa famille. Ils récusent les trois premiers khalifats et n’acceptent de la tradition que ce qui est garanti par les gens de la maison, c’est-à-dire Ali, Fatima et leurs fils Hassan et Housseyn. La notion principale du Chi’isme est celle de l’Imamat, qui remplace celle originelle du Khalifat. L’imam est un descendant de Ali, que Dieu dote de grâces particulières qui le rendent infaillible, seul apte à interpréter la révélation, et à diriger la communauté. Mais c’est la liste des imams reconnus qui a créé à l’intérieur du chi’isme des divergences et des sectes. Les imamites ou duodécimiens (Irak, Iran), majoritaires, reconnaissent douze imams, dont le dernier n’est pas mort, mais mystérieusement occulté. L’attente de son retour donne un caractère messianique à cette secte. Les septimaniens ou ismaïliens (Pakistan) reconnaissent sept imams, le dernier Ismaïl, fils de Dja’far a été lui aussi occulté ; il est le Messie (Mahdi) attendu. Les Zaydites (Yémen) constituent le courant le plus tempéré : ils reconnaissent cinq imamats légitimes, et ne professent pas le dogme de l’imam caché. Ils admettent Abou Bekr et Omar comme Khalifes, même si Ali aurait été préférable.

Les dissidences qui séparèrent les Chi’ites des Sunnites, se ramènent à trois points principaux :

1 - ils rejettent les trois premiers Khalifes (Abou Bekr, Omar et Othman), qu’ils considèrent comme des usurpateurs. La qualité d’imam ne peut quitter la famille de Ali et en raison de son origine divine, elle ne doit pas être abandonnée aux caprices d’un suffrage populaire ; elle se transmet en vertu d’une délégation expresse et textuelle (ouaciat-nouss) ;

2 - ils considèrent qu’Ali est au moins égal en sainteté au Prophète (slam) ;

3 - la Sounna est, à leurs yeux, le résultat d’un travail apocryphe qui ne mérite aucune confiance.
Le Chi’ites se divisent en trois grandes branches :

1 - Les Ghoulat (les outrés), qui appliquaient à leurs imams la condition de la divinité. Ils assimilaient Ali à Dieu, et croyaient à la transfusion de la parcelle divine dans les imams de la descendance de Ali. Ils donnèrent naissance à… dix-neuf écoles secondaires (!) dont la plus connue est celle des Ismaïliya, qui ont créé la célèbre secte. des Ikhouan Essafa (les frères de la pureté) :

2 - Les Zeïdia, ainsi nommés parce qu’ils se révoltèrent avec Zeïd, fils de Ali, fils de Housseyn, fils de Ali, fils de Abou Taleb. Leurs doctrines consistent dans l’exaltation des enfants de Fatma-Zohra, fille du Prophète (slam), auxquels ils attribuent exclusivement la qualité d’imam. Ils se sont ensuite divisés en trois fractions.

3. Les Imamia est la seule branche des irréductibles qui essaient de démontrer par des faits l’idée primordiale des Chi’ites, à savoir que Mohamed (slam) a désigné Ali comme son successeur. Ils appuient leur démonstration sur des paroles prononcées par Mohamed (slam) au moment où il commença à faire du proselytisme. Ali accepta, comme on le sait, d’être son vicaire, et, dans une autre circonstance, Mohamed (slam) reconnut le jugement de Ali supérieur à celui de ses compagnons.

Mais il faut aussi retenir que schismatique lui-même, le Chi’isme a engendré en son sein de nouveaux schismes, et cela toujours sur la base de conflits autour de la légitimité des "continuateurs" de Mohamed (slam). C’est pourquoi, conflictuel dans sa nature, et sa naissance, le Chi’isme s’est tantôt opposé aux confréries soufies, comme au Yémen gouverné par des Chi’ites Zaydites (901-1962), et tantôt profondément avancé dans la quête mystique du Tassawouf. De plus, les traditions des Imamats chi’ites occupèrent une place importante dans les commentaires soufis du Coran et dans les sources essentielles du soufisme. Et la tradition de Ali, premier imam, rapproche considérablement l’Islam chi’ite de l’Islam du Coran.
C’est essentiellement en Iran que s’est manifesté le Tassawouf chi’ite. En 1501, Ismaïl 1er, chef de la confrérie safawi, a fondé la dynastie Séfévide, qui régna sur l’Iran jusqu’en 1736 et imposa le Chi’isme duodécimien en Iran. Mais pour consolider leur nouvelle religion, les Séfévides s’étaient livrés à une persécution de toutes les formes religieuses concurrentes ou opposées, la principale étant l’Islam sunnite. Ismaïl 1er pourchassa aussi les Soufis et les principales confréries. Puis Ismaïl II (1576-157) et Chah Abbas (1587-1629) ordonnèrent des massacres de Soufis, et parmi eux "les anciens soufis de Lahijan". Chah Ismaïl avait pris des mesures très violentes à l’égard des Soufis, et alla jusqu’à détruire les mausolées de plusieurs de leurs saints fondateurs. Le soufisme reprit son essor sous le règne de Chah Safi (1629-1642) et de Abbas II (1642-1666).
Par exemple, une des originalités du soufisme iranien, réside justement dans sa dimension chi’ite. De nombreux thèmes chi’ites sont présents dans ce soufisme, et même dans le sunnisme iranien. L’ensemble des "derviches" apporteront une vénération a certains imams du chi’isme, en particulier à Djafar-al-Sadiq, imams qui cependant ne représentent pour eux que des guides de l’ésotérisme islamique.

On a parfois avancé que le chi’isme représentait l’ésotérisme de l’Islam, et le sunnisme son exotérisme. Cela en raison des similitudes que le soufisme présentait avec ce premier, et parce qu’il en avait assimilé certains aspects. Il faut en effet rappeler que l’un des principaux aspects de la doctrine chi’ite, est la walaya (pouvoir de guider et d’initier), que le Prophète (slam) aurait transmis à tous les imams. Et cette walaya est présente dans ce soufisme. Par ailleurs, alors qu’en Islam sunnite la prophétie se clôt avec Mohamed (slam), dans le chi’isme les imams donnent la suite à celle-ci, à travers la walaya. Il faut interpréter cette suite comme un cycle d’initiation (daïrat al-walaya), cycle qui succède à celui de la prophétie (daïrat al-noubouwa). On trouve par ailleurs dans la silsila des plus grandes confréries sunnites des imams chi’ites, généralement les huit premiers (de Ali à Ali Rida).

Enfin, sur le plan de la pratique mystique, à côté du dikr connu (Ya, Hu, des sunnites par exemple), est apparu dans les ordres chi’ites, comme dans la confrérie Ni’matullahiyya, l’évocation du nom de Ali, et même pour conclure la séance de dikr, la récitation d’un dikr spécialement dédié à Ali.

Nous voyons donc que dans le chi’isme, si le Tassawouf a eu historiquement des difficultés à s’installer, ce sont ses particularités doctrinales et sa nature plus "mystique", qui lui ont finalement permis de se développer.

l’âme et serait agréable à Dieu. Il n’est pas non plus, celui des philosophes, méthode morale, ne tenant aucun compte du plaisir et de la douleur. Malheureusement, il n’existe, ni en arabe ni en français, de terme recouvrant toute la réalité de cet ascétisme, caractère très important du tassawouf "vécu".

Les premiers soufis (ahl et-tassawouf), ont été appelés ainsi parce que dans leurs habitudes, ils passaient leurs nuits et dormaient sur les bancs (sof) qui se trouvaient devant les mosquées. Le comportement d’errance (ghourba), est un des traits de cet "ascétisme" du tassawouf, et qui sont constitués aussi par des attitudes tel que le renoncement (zouhd), des états tels que la pauvreté (faqr), et des réactions telles que la fuite auprès de Dieu (firar).
C’est le renoncement (zouhd) qui est à la base de tous les traits apparents du soufisme. Et les premiers soufis aimaient à se reconnaître dans les premiers ascètes, appelés alors aussi Ez-zouhhad, et avant tout, de deux compagnons (souhaba) du Prophète (slam), Abou Ed-Darda et surtout Abou Dharr el Ghifari. Le renoncement consiste à faire tomber de la chose, le désir qu’on en a, de façon totale : "Ce qui reste auprès de Dieu est un bien pour vous" (XI, 86). Pour Dhou 1 Nun " (IX s.), il y a trois manières de renoncement : "La limitation de l’espoir (kasr el amal), l’amour de la pauvreté, et l’aptitude à se passer des choses avec patience". Parce que "le renoncement à ce monde-ci (tark eddounya), qui s’accompagne du désir de l’autre monde (akhira), est l’un des idéaux des soufis. Pour les Ismaïliens, chi’ites de la secte des Ikhouan Essafa : "On est récompensé dans l’au-delà de ce à quoi on renonce ici-bas (Epître IV, 68, 81) ; et copiant l’islam orthodoxe, ils ajoutent : "Le renoncement est une des cinq conditions de la Foi ". Pour Jounayd (X s.) : " Le renoncement, ce sont les mains vides de tout bien, et le cœur vide de tout attachement ". Pour Ali Ibn Abi Talib : " Le renoncement, c’est que tu ne te soucies pas de quiconque dévore ce bas monde, qu’il soit croyant ou infidèle ". Pour Abou Yahia (XI s.) : " Le renoncement, c’est négliger ce qui n’est pas indispensable ". Pour Ibn Masrouq (XI s.) : " L’ascète (le zahid), est celui qu’aucune cause seconde (sabab) ne possède en partage avec Dieu ". Et dans le cheminement du Soufi, le renoncement (zouhd), est la deuxième station (maqamat), après le repentir (tawba), et avant la confiance en Dieu (tawakkoul). La station (maqamat), selon Al Houjwiri (XI, s.), "c’est le fait de se tenir dans la voie de Dieu, en accomplissant les obligations relatives à cette station, et en les conservant jusqu’à ce que l’on comprenne sa perfection, autant que cela est possible à un être humain. Quant à l’état (hal), il descend de Dieu dans le cœur d’un homme, sans qu’il soit capable de le repousser quand il lui advient, ni de l’attirer quand il s’en va, par son propre effort ". Jounayd (X s.), dit : "Pour toi qui recherche les états spirituels éminents, et les meilleures méthodes qui y mènent, la première des choses à entreprendre, et dont l’accomplissement te rapprochera de ton Seigneur, est de renoncer (zouhd) au monde, et te détourner de ce qui pourrait plus ou moins t’attirer".
Mais le renoncement (zouhd) total, est resté le fait d’une minorité souvent mal considérée. La norme au contraire, est de conserver dans une large mesure le lien avec le monde. C’est ainsi que le costume soufi (khirqa) lui-même, ne s’est pas généralisé à tout le monde musulman.
La deuxième apparence importante du soufi, est celle de la pauvreté (faqr). D’ailleurs, ce n’est qu’au IIe siècle de l’hégire, que le terme " ahl et-tassawouf " a remplacé celui de foqara. Ils appelaient, a-t-on rapporté, leur pauvreté " le manteau de l’illustration, le vêtement de l’Envoyé, la Robe des hommes pieux ". La pauvreté telle que la vivaient ces foqara de l’islam, "n’était pas l’œuvre d’un moment ni d’une époque, mais la continuité du renoncement en soi ". Elle était d’essence islamique, et ses défenseurs la font remonter au Coran. Et l’origine du terme employé chez les Soufis est un verset du Coran : " Oh hommes, vous êtes les pauvres devant Dieu, et Dieu est le riche, objet de toute louange " (XLVII, 38 et XXXV, 15). Pour un Soufi, le nom de pauvre (faqir) a été donné à celui qui est " tenu dans les fers par la pauvreté, c’est-à-dire qui prend son repos et se fixe dans la pauvreté, et qui, par conséquent, est dominé par la pauvreté et est sous son empire ". Pour Jurayri (XI s.) : " La pauvreté c’est que tu ne cherches pas ce qui n’existe pas, si c’est pour perdre ce qui existe ". Le Soufi affirme pour se définir : "Celui qui ne possède pas et n’est pas un objet de possession, (sous-entendu, de ses désirs) ". Et puis : " Le Soufi est celui qui ne possède rien et qui, si jamais il vient à posséder quelque chose, le donne ". Pour Ibn Al Jalla (X s.) : " La pauvreté c’est qu’il n’y ait rien à toi, et s’il y a quelque chose à toi, que cela ne soit plus à toi, conformément à la parole de Dieu (Ils les préféreront à eux, même s’il y a pénurie chez eux (LIX, 9). Selon L Nun, (IX S.) : " La caractéristique du pauvre (faqir), c’est la sérénité dans la privation, la générosité et la préférence donnée à autrui, quand il a quelque chose ". Pour un autre éminent soufi : " Le pauvre, c’est celui qui est privé de secours, et qui se prive de demander, conformément à la parole du Prophète (slam) ". Beaucoup plus pour Nasr Ben El Hamaoui (XII s.) : "La pauvreté est la première des stations (maqamat), qui conduisent à la conception de l’Unité ". Mais cette pauvreté doit pour les Soufis, être active en quelque sorte. Il faut " devenir pauvre après avoir été riche, humble après avoir été superbe, et disparaître après avoir été vu ". Il faut selon Abou Othman El Basri (IX s.), " se dépouiller des richesses, purifier son âme des espérances mondaines, considérer la vérité en toutes choses ". Les Soufis ont appelé cette pauvreté " active ", la pauvreté " choisie ", et la pauvreté " subie ", la pauvreté " forcée ". Et paradoxalement mais dans leur logique, les Soufis affirment : " Si la pauvreté est forcée, le pauvre est plus parfait, parce qu’il en est l’esclave, mais si elle est choisie, c’est elle qui est l’esclave du pauvre ; et il vaut mieux que le pauvre soit libre de tout effort pour obtenir la pauvreté par lui-même, au lieu de l’acquérir par ses propres efforts ".
La troisième caractéristique de cet ascétisme, est la ghourba, ce qui désigne l’expatriment, l’exil, et se manifeste par l’errance, et la fuite (auprès de Dieu) el firar. A l’extrême, délaissant ce bas monde, ils abandonnent leur maison, leur famille, leurs amis, et courent à travers le pays, affamés, à moitié nus, et ne prenant que le minimum, pour se vêtir décemment et calmer leur faim. On les a appelés ghouraba, à cause de cela, et aussi parce qu’il sont constamment en voyage. On les a aussi appelés les pèlerins (asynchrone ou ahl essiyaha), et les troglodytes (schikaftiya), parce qu’ils se sont parfois réfugiés dans des cavernes (chikaft). C’est ainsi que ceux qu’on a appelé les Qalandars, se sont répandus, dans tout le monde musulman à partir du XIII siècle. "Ascètes, sans frein ni lien, toujours pittoresques, ils parcourent le monde à la quête de Dieu ". Dans les étapes des " Itinérants" vers Dieu, au sujet des " liens tutélaires " (wilaya), il est affirmé que la ghourba est d’abord le fait de s’isoler de ses semblables. Ghourba et Firara se confondent dans une phrase du hadith : " La recherche de Dieu est un expatriment ". Enfin, pour Ghazali (XI, s.) : " Le Soufi est le gharib. Il est incompris dans la cité. Etrange il est, sa parole l’est, ses actes ne le sont pas moins". Et d’après la tradition : " Le Mourid (qui entre dans la voie), est un voyageur ". Toujours d’après Ghazali (XI, s.) : Le terme de Gharib désigne tous ceux qui ne sont pas chez eux. Ce qui est le cas des Soufis, qui refusent de s’accommoder d’un monde de choses périssables. Cela implique pour lui d’être prêt à toutes les difficultés d’un voyage aussi long ".

Caractère important du tassawouf, l’ascétisme est le fait de pauvreté (faqr) et d’errance (ghourba). Ce sont les expressions directes du renoncement (zouhd), attitude et volonté existentielles..."












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