Isabelle EBERHARDT (Genève, 1877 - Aïn Sefra - 1904) a fait de sa courte vie un grand voyage. Déguisée en homme, elle parcourt le Sud algérien, adopte la religion musulmane, et partage le quotidien des bédouins. Elle meurt à 27 ans en plein désert dans la crue d'un oued. Sa passion pour l'écriture nous permet d'avoir aujourd'hui des textes passionnés et passionnants sur une époque et des lieux peu connus.
Isabelle Eberhardt est née à Genève le 17 février 1877 à la villa Fendt, située dans le quartier des Grottes. Isabelle est la fille illégitime de réfugiés russes : Natalia de Moerder, née Eberhardt, et Alexandre Nicolaïevitch Trofimovsky, dit Vava. La légende lui attribue parfois le poète Arthur Rimbaud comme père. Désireux de préserver leurs enfants et de ne pas susciter la désapprobation sur leur liaison, à l'époque peu conformiste, Natalia et Vava décident de rester en Suisse après la naissance d'Isabelle.
La famille s'installe à Meyrin, à la Villa Neuve. Isabelle y passe son enfance en compagnie de quatre des enfants de Natalia: Nicole, Augustin, Natalie et Volodia. Cette famille recomposée, cosmopolite et si peu conformiste, attirait l'attention. Isabelle Eberhardt fut d'abord instruite par son père Vava.
Elle fréquenta ensuite l'école secondaire. La Villa Neuve était un lieu de rencontre cosmopolite. On y entendait parler le russe, le français, l'allemand, l'italien et l'arabe, parfois aussi le grec et le latin. Isabelle Eberhardt a ainsi grandi dans un environnement multiculturel et intellectuel puisque la maisonnée regorgeait de livres dans différentes langues.
Cette effervescence culturelle et cosmopolite développa chez elle une intarissable soif de découverte et éveilla, semble-t-i, les soupçons de la Police des étrangers.
En 1883, l'aîné des enfants, Nicola, quitta le domicile familial pour s'engager dans la Légion étrangère. Isabelle entendit parler pour la première fois de l'Algérie.
Par mesure d'économie, Isabelle portait les vêtements de ses frères, mais prit bientôt goût aux vêtements masculins dont elle aimait s'affubler pour déambuler dans les rues de Genève.
En 1888, Augustin, autre second demi-frère d'Isabelle Eberhardt, s'engagea dans la Légion étrangère et gagna à son tour l'Algérie. Elle se mit aussitôt à apprendre l'arabe et le kabyle ainsi que le dessin pour pouvoir réaliser des croquis. Elle ne rêva plus que de voyages et de récits. C'est ainsi qu'elle chargea son frère de tenir à jour scrupuleusement un journal sur sa vie de légionnaire. Elle-même prit le pseudonyme de Nicolas Podinsky et tint une correspondance avec un ami matelot de son frère.
Ses rêves d'aventure et de voyages se concrétisèrent d'abord par des récits écrits à quatre mains avec son frère et par sa correspondance.
En 1895, Isabelle Eberhardt est âgée de dix-huit ans. Ses premières nouvelles sont publiées dans divers journaux. On citera " Infernalia " parue dans La Nouvelle Revue parisienne puis " Vision du Maghreb ". Isabelle Eberhardt y décrit l'Algérie qu'elle n'a pourtant encore jamais visitée.
En mai 1897, Isabelle Eberhardt effectue, enfin, son premier voyage en Algérie. Elle est accompagnée de sa mère qui souhaite se rapprocher de son fils Augustin. Les deux femmes se convertissent à l'Islam et Isabelle prend le pseudonyme masculin arabe de Mahmoud. La mère d'Isabelle, Natalia de Moerder, décéda peu après, en novembre 1897, à l'âge de 59 ans. En 1898, l'organe de presse L'Athénée publie les nouvelles d'Isabelle. Suite à une dispute avec le directeur, sur fond d'antisémitisme et d'affaire Dreyfus, Isabelle Eberhardt ne fut plus publiée et se trouva sans ressources.
Elle débute à cette époque la rédaction de Rakhil, roman d'amour entre un étudiant musulman et une jeune fille juive, qui l'accompagnera partout mais qu'elle n'achèvera pas.
En 1899, Isabelle perdit son frère Volodia qui mit fin à ses jours puis son père Vava.
En juin 1899, Isabelle et son frère Augustin gagnent Tunis. Isabelle poursuit seule la route vers l'Algérie. Déguisée en homme, elle est vêtue d'un burnous blanc et coiffée d'un turban. La confusion autour de son identité (une femme vêtue comme un homme qui se fait appeler Mahmoud Saadi mais possède un passeport russe au nom d'Isabelle de Moerder) sème le trouble parmi les autorités. Difficile en effet d'imaginer une femme voyageant seule par plaisir dans ces contrées arides ! Elle put toutefois résoudre ces difficultés administratives et poursuivre son périple. Elle côtoie les caravanes et les convois militaires et écrit pour un journal qui lui a commandé ses impressions de voyage.
Isabelle Eberhardt rencontra l'amour de sa vie en la personne de Slimène Ehnni, un soldat des corps de cavalerie indigène de l'armée française en Afrique du Nord. En janvier 1901, elle fut victime d'une tentative d'assassinat à Béhina.
Il est évident que le mode de vie d'Isabelle Eberhardt, sa liaison avec un indigène, suscitaient la désapprobation des colons. Son mariage avec Slimène fut refusé par l'armée française.
En mai 1901, les autorités françaises l'enjoignent de quitter l'Algérie. Elle gagna Marseille, sous un faux nom et vêtue d'un bleu de chauffe pour voyager en 4ème classe, non autorisée aux femmes.
Isabelle Eberhardt fut convoquée à Constantine en qualité de victime et témoin dans le procès qui devait s'ouvrir le 18 juin 1901, suite à la tentative d'assassinat dont elle avait été victime. Elle rédigea une lettre dans un quotidien d'Alger qui donnait sa version des faits. Le coupable fut finalement condamné et Isabelle bannie d'Algérie. On estimait que son mode de vie et ses déguisements étaient des facteurs de troubles.
Elle finit par obtenir l'autorisation d'épouser civilement Slimène le 17 octobre 1901 à Marseille. Le couple rejoint l'Algérie le 14 janvier 1902. Isabelle Eberhardt reprend ses voyages dans le désert. Elle semble s'intéresser particulièrement à l'hydrologie du désert : oueds, sources, torrents. De retour à la capitale, Victor Barrucand lui offre un poste d'envoyée spéciale pour le journal " L'Akhbar ". Elle collabore aussi avec Luce Denaben, directrice de l'école-ouvroir des filles musulmanes d'Alger. Pour la première fois de sa vie, Isabelle Eberhardt peut véritablement vivre du journalisme. Slimène obtient lui un poste d'interprète. Isabelle se rapproche également d'un groupe d'écrivains éditant une revue littéraire " La Grande France ".
La soif des grands espaces la reprend. Elle repart, de plus en plus longtemps, à travers les immensités du Sahara. Ses périples sont publiés régulièrement dans " L 'Akhbar " où elle tient une colonne. Dans ses nouvelles, si riches en couleurs et atmosphères, Isabelle Eberhardt n'hésite pas à défendre les fellahs et à s'élever contre la colonisation. En 1903, elle se rend à Aïn Sefra où un conflit de frontière fait rage entre le Maroc et l'Algérie. Elle officiera comme " reporter de guerre ", sans doute une première pour une femme. Ses articles et analyses politiques étaient prisés par de nombreux journaux dont le " Mercure de France ". Elle se lia d'amitié avec le colonel Lyautey, futur Maréchal de France.
Le 21 octobre 1904, Slimène, en permission, la rejoignit à Aïn Sefra. Ce jour fut le dernier d'Isabelle Eberhardt.
La ville d'Aïn Sefra fut en effet le théâtre d'une catastrophe naturelle. L'oued se transforma en torrent furieux et la ville fut emportée. Slimène fut retrouvé vivant, mais Isabelle, affaiblie par le paludisme, n'avait pas pu fuir. On la retrouva dans les ruines de sa maison, vêtue de son habit de cavalier arabe. Isabelle fut enterrée au cimetière musulman. On retrouva ensuite le manuscrit de " Sud Oranais " que Barrucand fit publier un an plus tard.
Emportée à l'âge de 27 ans, Isabelle Eberhardt laisse des nouvelles et récits de voyage rédigés au cours de sa vie romanesque. Bien qu'elle ne reçut pas, de son vivant, la consécration littéraire à laquelle elle aspirait, Isabelle Eberhardt a lancé un nouveau genre de littérature coloniale, dénuée de préjugés.
De la mort, elle a écrit :
" Tout le grand charme poignant de la vie vient peut-être de la certitude absolue de la mort. Si les choses devaient durer, elles nous sembleraient indignes d'attachement. " (A l'ombre chaude de l'Islam)
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Les éditions Joëlle Losfeld entament la publications des écrits d'Isabelle Eberhardt dans une «édition du centenaire 1904-2004».
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«Je ne suis qu'une originale, une rêveuse qui veut vivre loin du monde, vivre de la vie libre et nomade, pour essayer ensuite de dire ce qu'elle a vu et peut-être de communiquer à quelques uns le frisson mélancolique et charmé qu'elle ressent en face des splendeurs tristes du Sahara.»
C'est dans le dépouillement du désert qu'Isabelle Eberhardt écrit, inlassablement, le cœur battant de mille sensations que lui procure le moindre détail. Loin de l'archétype de l'écrivain voyageur en mal de sensations exotiques, et qui s'enivre de ses propres rêves, Isabelle Eberhardt est l'expression d'une fusion avec cette terre d'accueil. Dans son approche du Maghreb, elle rompt complètement avec l'orientalisme et le pittoresque et décrit les algériens dans leur situation de peuple colonisé. Elle devient un étonnant témoin de la réalité algérienne.
Écrivain calomnié de son vivant, reconnu et encensé après sa disparition, sa vie et son oeuvre sont intimement liées.
Posté Le : 26/09/2006
Posté par : hichem
Source : dzlit.free.fr