Mostefa Kamel Ayata
Le fugitif de Suez tire sa révérence
par H.Tahri et F.Zahi
« Ces élèves officiers étaient pour la plupart des étudiants et des lycéens qui avaient interrompu leurs études. Certains provenaient de l’armée française à l’image de Mustapha Ayata qui avait remarquablement quitté le corps expéditionnaire français en novembre 1956 à Suez » (Les viviers de la libération. Op.168 Abderrezak Bouhara)
Issu d’une vieille famille de Bou Saada dont il était l’ainé, Mustapha a vu le jour le 04 aout 1933. Son père El Hadj Mohamed Ayata, nourri à l’esprit des Ouléma que conjuguait l’éveil nationaliste du PPA /MTLD naissant, trouvait naturel que son ainé se prénomma Mustapha Kamel, l’aura d’Atatürk était, assurément, pour quelque chose. Après une scolarité primaire et complémentaire à la mythique Ecole Chalon (Sidi Thameur présentement) que de futurs grands militants à l’instar de Mohamed Boudiaf, Abdelkader Hamida, Aissa Bayod et bien d’autres avaient fréquentée dans leur prime jeunesse, l’adolescent qu’il était ne pouvait aboutir qu’à la Medersa d’Alger. Au lendemain de mai 1945, la vie politique bouillonnait dans la clandestinité, les jeunes lettrés, notamment, étaient happés par les réseaux nationalistes. Le jeune Ayata sera interpellé en 1955 par la circonscription, manière bien propre à l’armée coloniale pour anéantir toute tentative de ralliement au maquis naissant. Il sera affecté, ironie du sort, dans une école des transmissions dans ce qu’on appelait alors la Métropole où il suivra une formation de base. Versé dans le corps des parachutistes de la Xè division de sinistre mémoire, il fera partie du corps expéditionnaire lors de l’agression tripartite Israélo-franco-britannique contre l’Egypte en octobre 1956.
Si Mustapha, n’a pas trouvé meilleur jour que ce 29è jour du Ramadan 2011, à la veille de Aid el Fitr pour tirer sa révérence. Discret dans sa vie, il l’a encore été dans sa mort. Le riche pavoisement aux couleurs nationales de l’avenue longeant le cimetière de Ben Aknoun, suppléait à l’emblème national qui ne couvrait pas le cercueil du défunt. L’assistance constituée de proches, de voisins et de quelques compagnons était silencieuse, elle mettait sous terre un des valeureux fils de l’Algérie combattante et un cadre émérite de la lutte contre le sous développement. Les institutions dont il a participé à la création étaient, lamentablement, absentes lors des funérailles, et ce n’est que sa seule Medersa, à travers l’Association des anciens élèves, qui s’est souvenue de lui et qui était là et lors de la veillée du 3è jour. Kamel Bouchama, condisciple du défunt se rappelle de cet homme affable que le hasard des pérénigrations diplomatiques lui a fait rencontrer à deux reprises, une fois au Soudan et une autre fois à New York. Il se rappelle de ce safari au Dender, parc naturel aussi riche que celui du Kénya. Si Mustapha était l’invité du président Djaafar Noumeiri. Les deux médersiens se retrouvaient en plein savane pour déclamer les odes antéislamiques d’Imrou el Qais et de Zouheir Ibnou Abi Salma.
Naila, sa fille ainée en bonne avocate du barreau d’Alger, est devenue par nécessite, la biographe de son défunt père. Elle tire du volumineux dossier, des photos, des diplômes, des coupures de presse, des témoignages, des distinctions militaires amassés tout au long d’une carrière qui aura duré plus de quarante(40) ans. Oubliant, momentanément, son chagrin elle commente fébrilement la vie de son papa à elle. Elle semblait demander plus de considération pour cet homme exceptionnel et dont elle connaît tous les coins et les recoins de sa vie. Et c’est tout au long de notre entretien qu’elle brandissait, tel un trophée, un diplôme délivré par telle ou telle académie militaire. Elle terminait son plaidoyer par la dernière fonction du défunt en qualité de directeur central chargé de l’informatique au Ministère de la Défense Nationale et son versement à la retraite en 1987.
En ce mois de novembre 1956, lui et Hakem son compagnon du contingent, décidèrent d’un commun accord, de fausser compagnie à leur bataillon de parachutistes dont le bateau mouillait face à la rade de Port Said à l’embouchure du Canal. Et c’est à la nuit tombée qu’ils plongent dans l’inconnu. Après un séjour dans les Salines et quelques mésaventures avec des pêcheurs égyptiens qui les prenaient pour des espions, ils prirent place dans une « Abara » (bac) pour la rive droite et rallier le bureau du FLN du Caire. A la Base de l’Est où les deux fugitifs finirent leur périple, Abdelkrim Hassani confiait à Ayata, la formation des opérateurs radio ; son profil répondait parfaitement à la tâche confiée. Naila se rappelle d’un événement que son défunt père lui avait raconté de son vivant. Il interceptait à Ghardimaou, un message codé qui échafaudait une attaque éclair sur le QG de l’Etat major. Sans solliciter d’accord d’un quelconque supérieur, il arraisonne le fourgon d’un boucher tunisien et embarque tout le commandement pour un lieu plus sûr. Cette mésaventure sera rappelée au défunt bien plus tard, par le président défunt lors d’une visite au chantier de la route transsaharienne. Lieutenant, il bénéficiera en 1959 d’une formation en compagnie de neufs autres collègues dont Si Bouhara, Abdelhamid Brahimi, Mohamed Allag à l’Académie militaire de Damas. Capitaine à l’indépendance, il sera chargé par la jeune ANP de diriger l’Ecole nationale des transmissions de Beni Messous. Après un cycle de formation à l’Académie interarmes de Moscou, le commandant Ayata fera un bref séjour dans la Gendarmerie nationale pour être ensuite désigné en qualité de Directeur régional du Service National à la 4è région militaire chargé de la « Trans », chantier du siècle finissant.
Sous le titre « Nous entrerons à « Tam » avant le printemps prochain », le quotidien El Moudjahid publiait un article sur l’état d’avancement des travaux qui débutait ainsi : « Directeur régional du service national le commandant Ayata Mustapha, un homme dynamique et modeste a promis de relever le défi et d’entrer dans la capitale du Hoggar avec ses hommes avant le début du printemps prochain. Constamment sur la brèche, présent sur les différents chantiers installés sur le tracé de la « Trans » c’est un homme infatigable que nous accrochons un vendredi matin avant qu’il ne disparaisse comme d’habitude dans l’immensité du Hoggar ». Rien de surprenant à cette militance acquise dans une famille où Mustapha et Aissa son frère cadet ont rejoint le maquis, Larbi le benjamin les geôles coloniales et le père entouré de suspicion. Ce dernier, recevait une lettre datée du 1er mars I957 et signée par le commandant de la Xé division parachutiste l’informant de la disparition de son fils Mustapha. Convoqué par les soins du capitaine de la Section administrative spéciale (SAS), dont les menaces étaient à peine voilées, il devait répondre de cette disparition. La maison Ayata située à un jet de pierre d’un cantonnement des Dragons a, selon Mohamed Tahar Khelifa alias Hama Tahar ancien officier de l’ALN, été l’un des refuges les plus sûrs pour les fidayîn.
Tu viens Si Mostefa, de rejoindre dans ton ultime fugue tes compagnons d’armes avec lesquels tu as, certainement, le plus vécu.
Le 1er septembre 2011
Posté Le : 09/02/2012
Posté par : dhiab
Ecrit par : H.Tahri et F.Zahi