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Coup de feu dans la steppe
par farouk Zahi


En ce vendredi 4 juillet où rien ne semblait advenir à Bellaroug, à une encablure de Sidi Ameur, grosse bourgade à 35 kilomètres au nord-ouest de Bou-Saâda, deux coups de feu déchirèrent soudain la quiétude habituelle de ce groupement agropastoral. Un crime de sang venait d’être commis. Les premières informations s’entrechoquaient, on ne savait pas encore, quel en était l’auteur et qu’elle en était la victime. On saura plus tard que l’incident s’est passé dans la fraction des Ouled Salah branche des Ouled Medjedel, eux même issus de la grande tribu des Ouled Ameur. L’altercation qui opposait, pour on ne sait quel motif, un homme âgé d’une quarantaine d’années à son oncle maternel de plusieurs années son aîné, aboutissait au geste tragique. Il n’aura suffit à l’oncle que d’un instant de déraison et deux cartouches de chevrotine pour tuer son propre neveu. La procédure de reddition du meurtrier à la gendarmerie nationale, se fit le plus normalement du monde. La « assabia » encore vivace dans ces contrées profondes n’a pas joué cette fois ci. Les esprits pourtant chauffés à blanc par l’incident, s’en remirent à la justice. Mais on ne s’en arrêtait pas là, des éléments dont l’ascendance sur le groupe n’avait rien de surfait , décidèrent de confier, le litige généré par le crime , aux bons offices de la communauté, suprême instance d’arbitrage et de conciliation reconnue par tous.

Rendez vous est pris donc sur le lieu même de l’homicide et ce n’était pas fortuit, l’initiative qui se voulait conviviale participera à l’apaisement et au réconfort. Une femme éplorée par la disparition de son conjoint et une mère dont le cœur était écartelé par des sentiments mis en opposition par ce drame, ne peuvent être que rassérénées par une telle démarche. Le fardeau de celle qui est à la fois, mère et sœur respective de la victime et de son « bourreau » est difficilement supportable ; la « assabia » jouera immanquablement en faveur du frère inculpé en dépit de la perte du fils. Sur initiative de la fraction de Ouled Ghdir, les onze (11) fractions des Ouled Ameur battaient leur troupe pour le jeudi 7 août. L’intention chevaleresque et empreinte de noblesse bédouine était, d’étouffer dans l’œuf les démons de la Fitna selon le rituel atavique. De perceptibles relents de bon voisinage et de coexistence sereine perdurent encore dans ces groupements de population, que le citadin non initié considère à tort, comme peu évolués. Et pourtant à bien y regarder, le quidam élevé dans le cocon citadin aura beaucoup de choses à apprendre et de leçons à tirer de cette ruralité profonde. Les Ouled Ameur plantaient ce jour là, près de trente tentes apprêtées pour la circonstance dans un immense bivouac rassembleur. Un camion frigo contenant eau et boissons fraîches était affrété pour étancher la soif des convives. Groupe électrogène et sonorisation complétaient le décor planté pour l’occasion. Dès les premières lueurs du jour, les batteries de cuisine étaient à pied d’œuvre, les sacrificateurs abattirent et dépecèrent près de 50 têtes d’ovins. La chaleur torride entretenue par le sirocco brûlait les visages ; ceci n’enlevait rien au cérémonial bédouin qui en a vu d’autres. Les tâches domestiques, dans une franche bonhomie, allaient bon train.

Il fallait être à la hauteur de l’événement qui allait regrouper autour du millier de personnes, venues de tous les horizons autant proches que lointains. Les organisateurs voulaient donner à ce regroupement toute la dimension qu’il requiert, à l’effet d’annihiler toute velléité de vendetta que pourrait nourrir le clan de la victime. Ils prennent ainsi à témoin toutes les bonnes volontés aussi bien internes qu’externes pour cela on faisait venir les personnages les plus en vue dans leur « arch ».



Les notables venus des Sahary d’El-Ogla, des Ouled M’Hamed Ben F’redj du Djebel Messaâd et de Medjedel, des Ouled Khaled de Ben-Srour au sud de la wilaya, des Ouled Hamla de M’Cif, des Ouled Sidi Brahim des Chorfa d’El-Hamel et d’ailleurs répondaient à l’invite de leurs homologues. Aux environs de 10 heures alors que le soleil était déjà haut, le lieu était comble. Des centaines de véhicules dont l’immatriculation renseignait sur la provenance de leurs occupants, s’alignaient sur l’aire réservée au stationnement. Des jeunes, portable collé à l’oreille, des moins jeunes, le visage halé par le soleil des moissons ou raviné par le temps s’interpellaient, se congratulaient ou devisaient à haute voix.
Bellaroug , jadis connu pour être le grenier céréalier des Ouled Ameur, est, ce lieu qui sort peu à peu de sa torpeur. Les mesures incitatives des divers fonds agricoles ont permis de fixer de nombreux agro pasteurs dans cette plaine alluvionnaire ceinte de monticules rocheux. Les nombreux ravinements alimentent la nappe phréatique de laquelle sont puisées les ressources hydriques par forage. L’arboriculture, le maraîchage sont venus en appoint au pastoralisme pratiqué depuis la nuit des temps. La route véritable vaisseau nourricier a, sans nul doute, permis l’ouverture de nouveaux horizons à une multitude de groupements humains précédemment enclavés.

Après la réception des délégations des archs et leur installation sous les tentes, le doyen des imams, dans son intervention introductive, rappelle à l’assistance les biens faits de la clémence et du pardon librement consentis. Les représentants des autres tribus furent invités chacun à prendre la parole ; ce qu’ils ne manquèrent pas de faire et de féliciter les initiateurs pour cette démarche hautement significative, participant d’une perception aigue de la concorde qui sans elle, rien ne peut être entrepris dans les rapports interhumains. A l’issue des interventions, les parents des belligérants furent invités à se donner l’accolade ; la justice suivant son cours de bien entendu. La cérémonie s’achevait autour d’un copieux couscous agrémenté de généreux morceaux de viande à la charge de bienfaiteurs de bonne volonté.
La veille et à quelques kilomètres à peine, une localité voisine vivait l’enfer de la vindicte vengeresse. Ce drame qui a endeuillé plusieurs familles, n’a rien du fait divers. Il interpelle la communauté nationale dans ses composantes intellectuelle et dirigeante, afin que de telles dérives ne se reproduisent plus et à jamais. Dans le cas contraire, le glas aura sonné pour une société déjà en perdition culturelle. Que faut il donc penser de ce lynchage, car il s’agit bel et bien d’un lynchage, dans le purisme de l’Ouest américain d’il y a deux siècles ? Quelque soient les motivations que tentent de faire prévaloir les uns et les autres, force est de constater que l’excès de la démesure a, malheureusement, pris le pas sur la pondération et la sagesse. Comment pourrait-on justifier ce qui s’est passé ce mercredi noir dans une ville connue pour son hospitalité légendaire ? Le corps d’un être humain sans vie a été traîné sur plusieurs mètres, par une foule déchaînée. La canaille peut-elle s’ériger en censeur de la morale ? Le berceau du clan qui a enfanté l’illustre Mustapha Lacheraf ne peut être capable de comportements, aussi inhumains que condamnables. Le crime a été à l’origine des deux événements rapportés dans ce texte, mais le traitement social des conséquences a différé d’un lieu à l’autre. Dans ce cas, pourra-t-on supposer que le clan, la fraction ou la communauté sont capables du meilleur comme du pire ? Si c’est le cas, ils en seront tenus pour seuls responsables.


Le 10 août 2008



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