Dimanche 24 mai, mois du muguet, une foule peu nombreuse accompagne la dépouille mortelle de Ammi Ali à sa dernière demeure. Homme affable et racé, il est, probablement, le doyen des pères fondateurs du Mouvement scout national.
Né au lendemain de l’armistice de 1918, il aura vécu toutes les étapes d’une nation qui geignait sous le déni colonial, aussi bien sanglantes que flamboyantes pour enfin recouvrer sa dignité spoliée. Fréquentant dans sa prime jeunesse la mythique «Ecole Lucien Chalon» (Sidi Thameur) de Bou Saâda, il aura pour camarades de classe de prestigieux noms tels que Mohamed Boudiaf, Mostefa Lacheraf, Aïssa Baiod, Ali Laâraf, Larbi Benselama, Amar Benmabkhout et bien d’autres.
Il aura été le dernier de cette belle lignée à tirer sa révérence. La naissance du Parti du peuple algérien (PPA) en cette année 1937 que nous serions tentés d’appeler la glorieuse, ouvre la voie grande à ces jeunes indigènes leurrés par le miroir aux alouettes du discours faussement humaniste d’une triade républicaine — Liberté-Egalité-Fraternité — destinée beaucoup plus à la consommation externe qu’à la consécration d’une règle de droit pour les laissés-pour-compte.
Au recouvrement de l’indépendance, Ammi Ali est fonctionnaire des finances, il s’essayera à la politique dans le cadre de la première mandature du Conseil communal du Grand Alger issu du code communal de 1967. Il y exercera pendant deux mandats sous la présidence du Pr Bachir Mentouri.
Agé de 87 ans déjà en 2006, il livrait à votre serviteur un émouvant témoignage écrit de sa propre main sur cette épopée glorieuse qu’il vécut avec ses anciens compagnons de route ou d’infortune. Pétri des qualités propres aux enfants de cette Algérie fougueuse, il raconte et écrit d’une main encore sûre cette belle épopée qu’il sut faire vivre à ses congénères, en cette année 1940. C’est ainsi que Ammi Ali nous offre un inestimable présent immatériel.
Défiant l’érosion du temps, d’une surprenante lucidité, sa mémoire restitue à la mémoire collective ce qu’elle a su garder 66 ans durant. En voici le texte intégral :
- «C’est à l’occasion d’un déplacement, alors âgé de 20 ans, à Sétif au mois d’août 1940 que j’ai fait la connaissance d’un jeune scout — Benmahmoud Abdelkrim —, et devant mon désir de connaître le mouvement scout, il m’a accompagné au siège où j’ai été bien reçu. Durant mon séjour à Sétif, j’ai assisté aux activités et participé à deux sorties avec mes nouveaux compagnons. C’est ainsi que j’ai pu m’initier au scoutisme selon les principes de Baden Powel, créateur du mouvement, en apprenant son mode d’organisation, les chants patriotiques, les sketchs, etc.».
Si Ali raconte plus loin son retour à Bou Saâda où il prenait contact avec ses camarades par l’entremise du cercle de la Fraternité de l’Association des Ouléma, qui mettait à sa disposition un modeste local. L’administration qui surveillait les faits et gestes de ces jeunes exigeait des statuts d’association qui ne pouvaient être évidemment accordés que difficilement. Pour contourner la pierre d’achoppement que constituait l’agrément de leur association, Si Ali et ses camarades prirent la décision d’adhérer aux SMA d’Alger, leur lieu de résidence relevant à l’époque de cette préfecture.
- «Nous avons pris contact avec Bouzar qui dirigeait le groupe scout de la Pêcherie qui nous mettait en contact avec Bouras, qui s’était rendu à Bou Saâda à deux ou trois reprises. Celui-ci a animé quelques-unes de nos activités et nous a accompagnés pendant les deux premières sorties et nos nuits passées dehors en pleine nature. Il nous a mis en contact avec le groupe El Felah de La Casbah où activaient, si ma mémoire est bonne, Abderrahmane Aziz, Kaddache et d’autres, dont je ne me souviens pas. Instruits de la culture scout et renforcés dans notre conviction après ce séjour, nous avons organisé des activités culturelles, pièces de théâtre et participé aux fêtes religieuses au sein des mosquées, etc. Nous participions aux conférences des oulémas, tels cheikh Bachir El Ibrahimi et cheikh Bayodh».
Ammi Ali nous apprend que la population autochtone acquise à la cause a aidé matériellement «Faoudj El Fadhila», le jeune groupe scout, pour l’achat de tenues réglementaires, de livres sur le scoutisme et sur l’histoire d’Algérie, ainsi que des instruments de musique. Il continue son récit :
- «Nos amis du cercle de la Fraternité — Harkat Ali, Bisker Mohamed et Nadjoui Ali — nous ont servi d’instructeurs et de mourchidine dans les principes religieux et historiques. D’autres personnalités de la ville, tels que Hattab Salem, Terfaïa Abderrahmane nous ont couverts au regard de l’administration coloniale qui s’interrogeait sur nos activités.
En 1941, je conduisais la délégation de Bou Saâda composée de Benhamida Abdelkader, Ghiouèche Ali et moi-même à un important camp de jeunesse qui s’est tenu à El Riadh, dans les environs d’Alger avec la participation des SMA et des scouts et éclaireurs de France. L’activité de notre dynamique groupe s’est étendue rapidement à l’ensemble des agglomérations de Bou Saâda et a rayonné à plus de 100 km autour de la ville. Par la suite et sur instructions de Bouras, nous avons participé à la création des scouts de M’sila et de Djelfa.
Suite aux relations de confiance tissées avec lui et au dévouement de notre groupe à la cause nationale, le regretté Bouras m’a invité à titre personnel en son domicile à Alger pour un entretien privé, au cours duquel il m’a informé de son activité patriotique, de ses sorties à l’étranger et de sa manière de s’informer. Après sa lâche exécution par le régime colonial en mai 1941, l’activité de notre groupe, douloureusement secoué, s’est quelque peu ralentie. Elle reprenait vigoureusement au lendemain du pogrom du 8 Mai 1945, et ce, jusqu’au déclenchement de la lutte armée.» Ainsi s’achève le récit de Abdelkrim Ali, camarade de classe du défunt président Mohamed Boudiaf.
A Dieu nous appartenons à Dieu nous retournons.
Farouk Zahi /El Watan du 02/6/ 2015
Posté Le : 08/06/2015
Posté par : dhiab
Ecrit par : Farouk ZAHI