Mostaganem - Mesra

Un gigantesque paradis fiscal !



Souk hebdomadaire de Mesra (Mostaganem)
Un gigantesque paradis fiscal !


Ce souk brasse des sommes colossales. Cette année, il renflouera le budget communal de quelque 7,5 milliards de centimes, mais ceux qui ont l’instinct des affaires estiment qu’au bas mot, il pourrait rapporter trois fois plus.

Nous sommes vendredi et il est sept heures. À Mesra, à quelques détails près, le décor est approximativement le même : c’est le jour de marché ! Aux quatre coins de la petite localité distante de quelque cinq minutes de la ville de Mostaganem, les vagues de visiteurs se déversent et se succèdent.
À cette heure, la direction est quasiment unique : le souk ! Par bus ou par cars, en taxis ou à bord de véhicules particuliers, par camions ou tracteurs, sur un âne ou sur une charrette, à vélo ou sur moto, si ce n’est à pied, tous les moyens de locomotion y mènent. Parmi la foule de visiteurs, il y a celui qui vient pour un achat précis et celui qui espère se débarrasser d’un objet quelconque ; il y a celui qui vient commercer et il y a celui qui vient juste pour passer le temps.
Certains se contentent d’y déambuler et d’autres espèrent y dénicher la belle affaire. La foule immense et la promiscuité étouffante en certains endroits, font du marché le repaire de prédilection dont raffolent les pickpockets provenant de 50 km à la ronde.
Déserté par le meddah, le maréchal-ferrant, le prestidigitateur et le coiffeur pratiquant la hidjama (saignée), le souk s’est transformé, certes, mais il reste cependant le lieu où se rencontrent les hommes une fois par semaine. Il a perdu la large pratique du troc des produits agricoles et de l’artisanat, mais il a démesurément développé la commercialisation de ceux de fabrication industrielle. Le souk a traversé l’époque coloniale et l’époque récente en modifiant certains de ses traits, mais sans perdre de sa vitalité ni de sa fonction sociale, s’adaptant aux mutations socioéconomiques successives. Il montre ainsi qu’il est fortement ancré dans l’espace et la société qu’il dessert.
Le cliché est bien ancré : antre de l’informel, le souk brasse des sommes colossales au nez et à la barbe du fisc. Cette année, il renflouera le budget communal de quelque 7,5 milliards de centimes, mais ceux qui ont l’instinct des affaires estiment qu’au bas mot, il pourrait rapporter trois fois plus. Il intrigue autant qu'il séduit. Vaste place commerciale d'une compétitivité impressionnante et déloyale, il se distingue par ses pratiques complexes, opaques et occultes. Le souk est un véritable carrefour où se croisent fins, destins et desseins divers, convergents et contradictoires. Un temple où se marient les circuits formel et informel. Une minorité de commerçants sont connus du fisc, puisqu’ils s’acquittent de leur patente. C'est un espace qui s’étend sur près de vingt hectares. En vingt ans de temps qu’il se tient en son site actuel, le souk a décuplé et en superficie et en population. Marché de la débrouillardise par excellence, il offre à nombre d’oisifs l’aubaine et l’opportunité d’y trouver leur compte. Les occupations sont aussi diverses que légales ou délictuelles. D'où viennent tous ces produits ? Les réseaux d'approvisionnement du souk sont multiples. Ils relèvent à la fois des circuits formel et informel. La marchandise peut provenir de grandes entreprises structurées, ou encore de grossistes qui font leurs emplettes auprès des importateurs de Chine et d'Europe. L'approvisionnement s'appuie également sur les réseaux des migrants ou de la contrebande. Parfois, ce sont même des fournisseurs individuels : “Les émigrés de France, d'Allemagne ou d’Espagne apportent beaucoup de fripes, de PC, d’appareils électroménagers, téléphones, PlayStation… Nous les connaissons, alors on fixe rendez-vous, on négocie et on conclut le marché”, raconte ce commerçant originaire de Tiaret, branché sur le réseau des émigrés. À Mesra, comme en d’autres souks du pays, le chèque bancaire n’y a pas cours.
Nous sommes dans la machine du cash ! Quasi-exclusivement, le paiement s'effectue en espèce et au comptant, notamment dans les activités à faible marge bénéficiaire. Rien d’étonnant, donc, à ce que l'absence de facture constitue la règle générale dans les transactions. Le revenu des locataires du site est un sujet tabou. Il est difficile, voire impossible de l'estimer en l'absence d'une comptabilité. Les confusions entre la caisse de “l’entreprise’’ et celle de la famille font légion.
Interrogés à ce propos, les commerçants répondent presque en chœur : “Kol n’har ou baraktou !” Fatalement ! “Et des fois, rien ; on rogne sur son capital !’’ jure un fripier. Côté clientèle, les catégories sociales sont hétérogènes : la clientèle aisée et moyenne, les professions libérales structurées, les étudiants, mais également les catégories à revenus faibles ou nuls.




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