Histoire de Mostaganem : Souvenirs d’un sexagénaire
Au début des années cinquante, Mostaganem était une grande ville coloniale où grouillait matin et soir une population cosmopolite composée de Chrétiens, de Juifs et de Musulmans. Eglises, Synagogues et Mosquées étaient plus ou moins équitablement réparties sur tout le territoire de la commune urbaine. Le temps était au vivre ensemble et à la douce convivialité, en dépit d’un système colonial inégalitaire.
Au centre ville les magasins d’alimentation et d’habillement offraient à leur clientèle un choix considérable de produits à prix modique et chacun achetait selon ses moyens. Fortunés et infortunés trouvaient leur compte car les éphémérides, à l’époque, étaient sous le contrôle strict de l’administration et gare aux tricheurs et aux fraudeurs ! Ce dont je me souviens : Café Chadoulia, Thé de chine, boisson Coca Cola, savon Cadum, Nougat Halwat Loupuouw, parfum Forvil, poste de radio Schneider, costumes italiens, savates espagnoles, machine à coudre Jacquait, voitures Citroën et Simca. C’était certes l’époque de l’abondance mais l’européen vivant infiniment mieux que l’autochtone. Les cafés ne désemplissaient pas : De l’ouverture à la fermeture étaient suivis sourire aux lèvres, café, thé, boissons minérales, boissons gazeuses, boissons alcoolisées et chacun y allait qui de sa tasse qui de son verre. Du balcon, on admirait à son aise les badauds, du bien au mal nippé, et le regard s’arrêtait net sur ces femmes espagnoles aux robes à volants, si richement colorées. Il y avait aussi le marché couvert avec ses boxes de maraichers, de bouchers, d’épiciers, de dinandiers, hélant quelquefois à tue-tête un client indécis. Cette ambiance sonore ne semblait déranger personne. Juste en face, à la lisière de l’Ain Séfra, trônait le marché en plein air celui des indigènes. Fruits, légumes, poulets, pigeons, canards, canes, oies s’étalaient à perte de vue. Ici, tout est négociable, tout est marchandable : cela va du simple au décuple !!! Un produit annoncé à 7300 centimes peut finir sans sérieux accroc et sans chamailleries excessives à 1800 centimes et aucune des deux parties contractantes ne s’en offusquait. Une foule de portefaix, crieurs, panégyristes, poètes errants, charlatans, guérisseurs, arracheurs de dents, rebouteurs, emplissaient les lieux et donnaient de la voix à chaque instant pour signaler leur présence et s’attirer de la clientèle. Ce n’est qu’en fin d’après midi que ce marché se vide peu-à-peu de ses occupants pour céder la place aux éboueurs. Mais le coin de la ville qui m’a le plus marqué, c’est sans conteste Tidjditt. Ce nom d’origine berbère, signifie la haute source et ce par rapport à une fontaine publique, située à l’entrée nord du quartier et dont l’eau coule sans arrêt, jour et nuit. C’était là que venaient s’approvisionner et se désaltérer la classe des indigents, ceux qui n’avaient pas accès au réseau urbain. Cela donnait lien à des attroupements bruyants de jeunes gens et de jeunes filles avec leurs chargements d’outres et de bidons. On faisait la causette, en gesticulant et en éraillant, en attendant son tour. Tidjditt c’est aussi des mosquées avec leurs hauts minarets, des maisons mauresques peintes à la chaux et bâtres à ras du sol, des boutiques et échoppes par dizaines où des masses humaines venaient s’agglutiner à l’entrée, des jardins aux abords où l’on cultivait à longueur d’année pommes de terre, artichauts, concombres, patates douces, oignons, ail, citron, courge, courgettes, persil, tout ce dont la cuisine locale avait tragiquement besoin et sans quoi elle n’existerait pas. La base des repas quotidiens : viandes (avec une préférence pour l’agneau), poissons (sardine- Raie-Sole) et l’incontournable couscous, servi indifféremment les jours de la semaine ou le jour sacré du vendredi. Le couscous sera accompagné obligatoirement de courge, de pois chiche, d’un filet de bœuf ou de mouton. C’est le plat par excellence. Le café, dans tous les foyers, conserve tous ses droits : A sept heures et à seize heures, il sera préparé à feux doux et servi tout chaud, selon le jour et l’humeur de la maitresse de maison, il ira soit avec une tranche de pain, soit avec une rondelle de beignet suintant d’huile. Son arôme titillait les narines et faisait les délices du palais. On l’avalait à pleines gorgées et on en redemandait sans cesse ! Un Mostaganémois sans café, c’est un Marseillais sans anisette. Autant dire que c’est impossible. Le curieux que j’étais aimait entendre hommes et femmes discourir sur un tas de sujets. Je ne m’en privais pas : Avec les premiers, j’ai reçu mon instruction religieuse, avec les seconds, mon instruction sociale. Dieu, le Prophète, le Coran, la vie outre-tombe, par les uns ; l’humanité, la tolérance, la solidarité, le devoir de partager par les autres, en fait, ils furent ma véritable école et j’ai envers eux une dette immense qu’ils soient tous morts ne m’empêchera pas de les remercier individuellement et collectivement ni de leur exprimer ma plus vive gratitude. D’eux je tire ma force morale et intellectuelle et le goût de vivre le Ramadhan d’antan mérite que je m’y attarde. C’était réellement le mois de l’abstinence diurne et de la joie nocturne. Le matin vers dix heures, les chefs de famille allaient faire leurs emplettes. A mois exceptionnel dépenses exceptionnelles ! La nourriture était recherchée pour elle-même et apprêtée avec un soin tout particulier. Il y avait donc l’inévitable sac de provisions avec ses viandes, ses légumes, ses fruits mais les croyants mettaient un point d’honneur à entourer leur table de douceurs : Dattes exquises, harissa tendre, zlabias mielleuses, roulés, fourrés, tout était consommé avec du café dans ces veillées prolongées où nous étions si heureux de nous rassembler au grand complet, soit dans une grande salle, par temps froid, soit dans la cour, par temps chaud. Que de plats et de tasses ingurgités et que d’heures épuisées à se raconter les histoires les plus invraisemblables, la plupart tirées des mille et une nuit ou bien d’œuvres littéraires similaires sans oublier les contes populaires et les contes de fées où génies et démons se disputaient l’hégémonie sur les créatures ! Un monde de rêve, quoi ! Mais ce qui retenait le plus mon attention durant ce mois sacré c’est que à la rupture du jeûne les familles s’interdisaient absolument toute absorption d’aliment tant que le mendiant n’avait pas frappé à la porte et réclamé son dû. Ce fait de générosité, sans pareil dans le monde, je l’ai vérifié des centaines de fois durant mon enfance et j’en suis encore tout ébahi malgré le long écoulement des jours et mon âge avancé. Gloire à l’Islam qui a rendu possible cet acte incomparable de solidarité sociale ! Ce récit, je tiens à l’achever par le rappel de quelques règles d’ordre moral qui ont tendance aujourd’hui soit à s’effilocher, soit à s’étioler, soit à disparaitre : Un respect référentiel est dû au père et à la mère – interdit à l’élève de prononcer une grossièreté ou de faire un geste déplacé devant son maître – Considérer la personne du voisin comme sacrée et le servir comme un parent – Ne pas convoiter le bien d’autrui – Eviter de fumer en présence des personnes âgées- Dans toutes les assemblées, donner la préséance aux vieillards- Bannir le langage vulgaire - Prendre le savant et le professeur pour modèles de conduite- Exercer une foi agissante en faisant en sorte que nos actes soient en conformité avec nos croyances - Etre au service de la société quelque soient nos conditions de vie- Remplir ses devoirs envers son prochain en assistant à ses funérailles- Telle fut la philosophie des générations passées.
Abdelkader Merabet
Dimanche 24 Mars 2013
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Posté Le : 25/03/2013
Posté par : yasmine27
Ecrit par : Abdelkader Merabet
Source : http://www.reflexiondz.net