Mascara - 01- Généralités

La plaine de Mascara, de la préhistoire à 1956



La plaine de Mascara, de la préhistoire à 1956
Limitée au Nord par les monts des Beni Chougrane, sculptée de gorges profondes, au Sud par les hauteurs tabulaires, trapues et fragmentées des monts de Saîda, la plaine s'étale uniforme sur prés de 800 kilomètres. Cette vaste dépression alluviale s'appelle la plaine "d'EGHRIS" d'après la traduction traditionnelle "la plaine de l'ombre".Nous lui préférons le toponyme "d'ER TIGHRES, c'est à dire"la très fertile"plus justifié. De bonne heure, elle a été occupée par les hommes de la Préhistoire. Dans sa partie orientale à Ternifine (Palikao) dans une sablière et un lac,on a découvert de nombreux outils, des poteries, des ossements d’éléphants, hippopotames ,rhinocéros ,chevaux ect…. , et surtout une mâchoire humaine bien conservée d’Atlanthrope, vivant il y a 350 millénaires. Les romains y installèrent des postes militaires, devenus bientôt des bourgs, grâce à l'apport des populations berbères (*) autochtones, bientôt romanisées. Les occupants construisirent également, au IIIième siècle, une voie stratégique, pour protéger le pays contre les incursions des nomades pillards des steppes du Sud "les Gétules" Cette piste unissait :

- Hadjar Roum “ les Pierres Romaines ” où s’élevait la ville romaine d’ Altava (inscriptions chrétiennes importantes) où fut créé le village de Lamoricière en souvenir du général Christian Louis Juchaut de Lamoricière qui se distingua au siége de Constantine en 1837 où il fut grièvement blessé , à la bataille d’Isly en1844 et qui réduit Abd-el-Kader à se rendre au Duc d’Aumale ..

- Kapput Tasacurra “ La tête de la Mekerra ” devenu centre européen de Sidi Ali Ben Youd (1851) puis par la suite le village Chanzy en 1883 appelé ainsi en l’honneur d’un ancien gouverneur de l’Algérie
- Ala Milaria “ L'Aile militaire des 1000 cavaliers ” à Benian

- Le camp de Cohors Breucorum ou Kaput Urbe “ Tagremaret ” Dominique Luciani -
(*) Peuple qui occupe les hautes vallées de l’Atlas et une partie des plaines voisines dans l’Empire du Maroc ,l’Algérie et l’Etat de Tunis, est partagé en une famille de tribus dont beaucoup vivent indépendantes...Ce sont les vrais indigènes de la région atlantique .Le nom de Barbarie semble n’être qu’une altération du leur. On distingue plusieurs rameaux dans les familles berbères : les Kabyles dans l’Algérie et l’Etat de Tunis.. les Amazigs et les Chellouks dans la Maroc.. les Tibbous et les Touaregs dans le Sahara. Les Berbères ont en général des habitations fixes surtout ceux de l’Atlas. Ils sont très belliqueux

Jusqu'au Xi siècle, la plaine est parcourue uniquement par des "Berbères",notamment les Beni Rached dont les descendants seront chassés plus tard de Djebel amour, dans l'Atlas saharien. Ils ont construit la Kaala (le bourg fortifié) des Beni Rached dans les montagnes du Nord et en 949,la ville d'Ifkan(Fekan) dans la plaine, au confluent des oueds Fékan, Hounet et Mebrir. La deuxième invasion arabe du XIè siècle s'est introduite au milieu des tribus berbères et en particulier la tribu arabe des Hachem, à la fin du XViéme. Ceux-ci en partie nomades, cultivaient des céréales pour eux et leurs troupeaux, dans des clairières mal défrichées et quelques légumes dans des jardins enclos de figuiers de barbarie.

Au XVIII ième siècle, les nouveaux conquérants "Turcs" transportent à Mascara le siége du Beylick de l'ouest auparavant à Mazouna. Mascara demeure la résidence des Beys jusqu'en 1791 époque où ils remplacèrent les Espagnols à Oran. Ils appuient leur autorité sur une fraction des Hacem devenue un "maghzem" de gendarmes auxiliaires et de percepteurs d'impôts, aux dépens des autres tribus.

En 1835, la région de Mascara. est décrit par le capitaine français Tatareau en ces termes:

Les grands ravins séparent les croupes couvertes de verge, figuiers, amandiers, oliviers vignes le tout entouré de haies de figuiers de Barbarie. Sur la route d'El Kaala, à un kilomètre de la cité, les jardins du Bey offrent leurs orangers irrigués, leurs vignes en treilles. Plus bas, dans la plaine, s'égrènent quelques beaux jardins d'arbres fruitiers et de légumes. Dans la plaine elle même, des douars de nomades se déplacent avec leurs tentes ,suivant le rythme des saisons Ils vivent de l'élevage et de quelques cultures sporadiques. ”

En 1837,le consul français Daumas (*) en poste à Mascara, en vertu du traité de la Tafna,signé avec Abd-el-Kader signale que "nul ne peut circuler dans la plaine sans courir le risque d'être assassiné ou tout au moins détroussé".En 1839,les évaluations officielles françaises décomptent 1.500 tentes, soit environ 10.000 individus dans la tribu des Hachem. En 1841, Bugeaud prend la ville sans combat et en 1843,toutes les tribus de la plaine font leur soumission.

(*)Général français né en 1803 mort en 1871 fit toute sa carrière militaire en Algérie...fut le principal organisateur des bureaux arabes et devint en 1850 ,directeur des Affaires de l’Algérie au ministère de la guerre. En 1853 général de division et en 1857 sénateur il publia sur l’Algérie plusieurs ouvrages .

Dans son plan de colonisation de 1847,Lamoriciére prévoit l'établissement de 250 familles françaises, sur 5.500 hectares, dans la banlieue de Mascara et pour lui, Mascara doit "être le sommet du triangle de notre colonisation au centre du département d'Oran, au bord de la plaine d'une fertilité remarquable, dans une position salubre abondante en eaux....."

En 1856, les tribus de la plaine d'Eghris groupent 20.000 habitants, occupant 3.500 tentes,4 maisons et 20 gourbis. Elles mettent en culture un cinquième de la superficie totale mais, compte tenu de la pratique traditionnelle de la jachère, elles ne cultivent en réalité que le dixième en orge principalement, blé dur et rarement en maïs.....quant on peut irriguer. De nombreux vergers produisent figues, abricots, raisins, des jardins livrent melons et pastèques. En particulier l'Agha des Hachems Cheraga a planté 27.000 pieds de vigne et 200 arbres fruitiers, sur le versant de Djebel Sidi ben Yakhelf.

Grâce aux bons pâturages de la plaine, les autochtones élèvent 150.000 têtes de bétail ont 50% de moutons,34% de chèvres,11% de bœufs et vaches,1% de chevaux et mulets quelques chameaux. Ils fréquentent les marchés de Mascara. En forêt ,ils fabriquent du charbon de bois et une fraction berbère ,méprisée ,travaille le fer.

A cette époque, la plaine d'Eghris est encore considérée comme impropre à toute culture européenne, à cause de ses marécages, de ses sols à croûte désertique et à ses sables qui donnent des dunes continentales. En effet, c'est un véritable bassin, offrant une grande originalité au point de vue hydrographique, comme nous les révèlent les cartes levées localement par l'armée d'Afrique. Cette région, presque privée de drainage vers la mer, est alors marécageuse. Les oueds Froha, Maoussa et d'autres ravinots descendent des montagnes voisines et apportent eaux boueuses à la saison des pluies. Le remblaiement des alluvions arrachées aux reliefs voisins profondément ravinés, l'imperméabilité des sols et le manque de pente de la plaine aboutissent à l'envasement et à l'effacement des rigoles d'écoulement par les divagations des eaux de crue et par l'obstruction de leurs lits peu accusés, par les herbes et branchages, charriés lors des débordements. Les eaux de pluie séjournent dans des marées stagnantes, des lacs ou "ferds" et des marais réduits après les longs mois d'été, à des étendues boueuses et pestilentielles. Ces terres sont alors inutilisables pour la culture, les unes complètement submergées en hiver et encore mouillées en été, les autres ne peuvent servir qu'aux cultures estivales. L'inondation laisse, en outre des sables stériles. Vers Aîn Fekan on découvre le"fred"(lac) d'El Kébir dont les eaux atteignent en hiver 1m à 1,50 m de profondeur, et prés de Palikao, celui de Trenifine.

DE 1846 A 1962

Dès 1846,la colonisation gagne la plaine et on commence à créer les deux villages de Saint André de Mascara à Arcibia, sur un territoire agricole de 3.500 hectares et de Saint Hippolyte à Aïn Toudemane sur 350 hectares. Ce dernier doit son nom au capitaine qui a levé la carte de la région d'Alger de 1835.Terminés en 1848 le premier de ces villages compte alors 40 maisons, le second 14 toutes bâties par la troupe. Les concessions de 15 hectares ½ chacune, réservées à d'anciens militaires, groupent un lot et un jardin de 50 ares et sont vendues 5.000 francs-or payables en trois ans. Saint André de Mascara est peuplé de colons des Pyrénées Orientales et du Tarn et Saint Hippolyte de Béarnais, de Corses et de trente soldats du 58me de ligne. Malgré les durs travaux de défrichement et la sécheresse de 1866,les mauvaises récoltes de 1868,ces colons cultivent mûriers, oliviers, vignes, légumes et céréales.

En 1854,la banlieue de Mascara s'étend officiellement sur 5.000 hectares en dehors de ces deux premiers villages, sur un rayon de 6 à 7 kilomètres. On y compte plus de 300 agriculteurs, installés sur 450 concessions dont la moitié est défrichée. A Ouizert, les 2me et3me escadrons de spahis cantonnés sur place se livrent à la culture. Dés 1856,on plante des vignes alors qu'on projette de créer, sur 17.500 hectares ,de nouveaux villages et centres de colonisation dont le programme est réalisé par étape:

- En 1869 Palikao et Ternifine

-En 1872 Cacherou,Aïn Fekan ,Oued Taria....

- En 1874 Froha..

- En 1875 Maoussa....

- En 1878 Thiersville

- En 1879 Tizi....

- En 1881 Sonis et Hafia......
En 1866 on dénombre un millier de constructions agricoles d'une valeur de 10 millions de francs-or. La culture de céréales amène l'aisance. Dix ans plus tard alors que l'installation des centres de colonisation est pratiquement terminée dans la plaine on comptabilise 23.000 musulmans, soit 77% de la population totale. A l'exemple des européens, ils ont étendu leurs cultures au cinquième de la superficie. Dans l'ensemble, l'étendue consacré aux céréales double, celle des vignes décuple. Forts de leur expérience, les colons commencent à substituer le blé tendre en blé dur, à semer de l'avoine sur les terres fraîches et des pommes de terre. Le lin, le coton, le tabac ne semblent pas réussir. On assiste, progressivement à l'abandon de l'économie céréalière et pastorale extensive des autochtones, pour adopter une combinaison agricole intensive : céréales, vignes, oliviers.

Dés 1893, on s'attache au difficile problème du "drainage" des parties marécageuses. Au sud-ouest de la plaine on rectifie le lit de l'oued Froha et l'on creuse un canal de dérivation de 17 kilomètres vers l'oued Fekan. Ce n'est qu'en 1906 que l'on construit au Nord-Ouest un canal de 11 kilomètres drainant les eaux de l'oued Maoussa, des marais de Sidi Lahssen et des terres humides vers Tizi. En 1931,on aménage encore le lit de l'oued Fékan car chaque crue transforme de nombreux hectares en marécages.

Ces travaux ont été nécessaires, la plaine ayant été inondée pendant les hivers des années 1900/01/03/04 1918/19/20/27 et surtout 1928 vers Thiersville. On asséchera finalement le lac de Ternifine à Palikao qu'en 1954.

En 1936,la mise en valeur de la plaine est assurée par 1.600 propriétaires européens faisant vivre un millier d'européens artisans agricoles, un quart de gérants et de commis,16% de fermiers,12% d'entrepreneurs de travaux agricoles et 20.000 ouvriers agricoles musulmans, soit en tout 70% de la population vivant de l'agriculture.

En 1945,un siècle après la première installation européenne, dans l'ensemble de la plaine, on compte plus du tiers de la surface en céréales (25.000 hectares) et un dixième en vignes (8.000 hectares) - La banlieue de Mascara produit des vins de coteaux de faible rendement relatif, vrais vins de crûs réputés, sur 5.000 hectares(60% de la terre cultivable) autour de la ville, à St André de Mascara, St Hippolyte et le versant sud des Beni Chougrane contre 40% en céréales. Autour de Mascara se pressent: cultures maraîchères; oliviers vergers et pépinières exploités par des propriétaires européens, surtout d'origine française.

L'administration à partir de 1947,aide activement les fellahs par des prêts de matériel de motoculture, la création de secteurs d'amélioration rurale dont bénéficient 800 musulmans possédant 24.000 hectares (la moitié moins de 5 hectares, les autres de 5 à 30 hectares),prêts de semences, encouragements à la culture lucrative de la betterave sucrière et à l'utilisation des labours profonds, achats de moto-pompes, de bêtes de travail, de matériel de culture et de dépiquage. Le bilan des "cultures européennes en 1954 peu avant le déclenchement des événements douloureux en Algérie, établi que les céréales couvrent 40% et les vignes 30% de la plaine. Les colons produisent un million d'hectolitres de vin..800.000 quintaux de céréales,100.000 quintaux d'olives de conserve et 45.000 quintaux d'agrumes. En un siècle la superficie consacrée à la vigne a centuplé, celle des céréales a été multipliée par 40.

D'après les prix de gros des divers produits agricoles en 1954, la production européenne dépassait en valeur quatre milliards de francs, celle des musulmans n'atteignait que 40% de ce chiffre.

Parallèlement à la colonisation la population européenne s'est installée d'abord dans la banlieue de Mascara pour gagner ensuite la périphérie. L'agglomération urbaine s'évalue en 1872 à 9.000 habitants dont la moitié dans la ville,37% à Bab-Ali et 11% éparpillée dans la banlieue. Dans la plaine toute entière il y a 5.000 européens en 1876 moitié français, moitié étrangers(espagnoles et italiens) contre 23.000 musulmans. En 1936 soit 60 ans plus tard, la plaine est peuplée de 100.000 habitants avec 1/5 d'européens dont la proportion diminue d'année en année, alors qu'un fort contingent de musulmans, émigre volontairement vers les grands centres, surtout Oran.

En 1954,60% des européens sont concentrés à Mascara-ville, les petits villages de la plaine ne groupent guère plus de 500 à 2.000 habitants chacun ; sauf Palikao (5.000) centre administratif d'une région en grande partie musulmane. Au total on dénombre alors prés de 300.000 habitants dans la plaine d'Eghris dont le chiffre élevé de 90% de musulmans. Ceux-çi ont profité des travaux de défrichement, de drainage, d'assèchement et de mise en valeur réalisés par les européens.

Textes recueillis et numérisés par Jean Louis Viguier


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