La bataille d'Alger-2
-En sortant du Gouvernement général ce matin du 7 janvier 1957, le général Massu ouvre son agenda pour vérifier l'horaire de ses rendez-vous. Il s'aperçoit que ce jour est celui de la sainte Mélanie, et lui adresse une invocation pour qu'elle accorde sa protection au commandant de la I0e division de parachutistes " qui en avait le plus grand besoin", raconte-t-il. Il revenait de la malheureuse expédition d'Egypte. Au retour, il avait été convoqué par Robert Lacoste. Le ministre résident lui fit un sombre tableau de la situation à Alger. Chaque jour, on ramassait les cadavres d'une dizaine de victimes abattues dans le dos par des terroristes. La police était hors d'état, par les moyens traditionnels, de mettre la main sur les chefs de l'organisation. De plus, le F.L.N. préparait une grève insurrectionnelle pour appuyer ses représentants à l'O.N.U., pour la session prévue en fin de mois.
Cette fois, il allait lâcher dans la ville, non plus des pistoleros isolés, mais des commandos venus de la willaya IV. Il fallait redouter un massacre.L'assassinat, en décembre, d'Amédée Froger, maire de Boufarik, personnage très populaire parmi les anciens combattants, avait monté les esprits chez les Européens. Si une fusillade éclatait dans la rue, on ne pouvait répondre de ce que feraient les unités territoriales, composées de supplétifs pieds-noirs. Il était fort probable qu'elles tireraient à volonté sur tout ce qui était Arabe. Aucun gouvernement ne pouvait laisser se nouer une telle tragédie, ni même supporter la situation présente. - Massu, vous allez prendre en main Alger. Vous aurez tous les pouvoirs civils et militaires. A vous de jouer, avait dit Lacoste. Remonté sur les hauteurs d'Hydra, où le P.C. de la I0e division de parachutistes, dans une vieille maison mauresque,
était installé, Massu réunit son monde et se met au travail. Mais il apparaît vite que son chef d'état-major, le colonel Godard, n'est pas enthousiaste du
tout. Il est inquiet. La manière dont les interrogatoires pourraient être
conduits risque d'avoir de graves conséquences politiques pour la Ioe D.P. -
Je suis un soldat, et je ne parle pas sensiblerie excessive. Je dis que cette
affaire est politiquement dangereuse. Il s'ensuit que, dès mars, Godard sera,
pour un temps, écarté de la bataille d'Alger. Il quitte le poste de chef
d'état-major pour celui d'adjoint opérationnel s'occupant des unités affectées
à des missions classiques dans le bled. La I0e D.P. avait sur la police la
supériorité écrasante du nombre, de la mobilité, d'une disponibilité
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors que les règles syndicales d'un
corps civil limitent étroitement les horaires. Dans le domaine de la
subversion, le F.L.N. avait réussi à dérouter la police classique, Les paras
allaient à leur tour dérouter complètement le F.L.N. Massu avait découpé le
Grand-Alger en quatre secteurs, chacun affecté à un régiment para, les
zouaves conservant la Casbah. Cependant, il n'y avait pas de limites
administratives, causes de retard. Sur une indication quelconque, un régiment
pouvait faire arrêter quelqu'un dans un autre quartier, voire à Boufarik ou à
Blida. De plus, des patrouilles de quatre hommes sillonnaient constamment
les rues, l'oeil ouvert sur le moindre incident susceptible de fournir une piste.
Au début, on ne ramassa que le menu fretin des collecteurs de fonds,
souvent dénoncés par les commerçants musulmans. Avant même tout
interrogatoire, un carnet, une lettre dont ils étaient porteurs lançaient les jeeps
sur des adresses et des noms. Très rapidement, cela permit de remonter les
filières des hiérarchies. Dès le 15 février, Bigeard débouchait au sommet,
mettant la main sur Ben M'Hidi Larbi, l'un des quatre chefs du C.C.E.,
l'exécutif national du F.L.N. Les autres membres du Comité quittaient alors
Alger en catastrophe, échappant de justesse. Ils mirent des semaines pour
rejoindre Tunis, par les montagnes. En mars, les colonels Bigeard, du 3e
R.C.P., et Brothier, du 1er régiment de parachutistes
étrangers, disposaient de renseignements suffisants pour que l'on puisse
dresser un organigramme assez complet du F.L.N. et de ses complicités
musulmanes et européennes. Mais si le haut état-major, installé dans les
appartements de la ville européenne, avait été rapidement dépisté, les chefs
locaux de la zone autonome d'Alger, comme Yacef Saadi et Ali-la-Pointe,
étaient tapis dans l'inextricable réseau de ruelles, de passages, de terrasses
communiquant entre elles de la Casbah. C'est là aussi que se trouvaient les
exécutants, les fabricants et les poseurs, ou poseuses, de bombes, les
groupes armés qui continuaient à opérer. Cependant, dès le début février, la
rumeur courait que les paras torturaient les prisonniers. On disait que Massu
avait signé une directive secrète autorisant plus ou moins ces pratiques,qu'il
s'était même fait appliquer les électrodes sur le corps pour en mesurer l'effet.
A Paris, des comités naissaient pour protester contre ces méthodes. Ils
citaient trois cas d'exécutions sommaires. Maurice Audin, un professeur
communiste, Ben M'Hidi Larbi, membre de l'exécutif F.L.N., l'avocat Ni
Boumendjel, frère d'un ancien conseiller de l'Union française passé au
F.L.N, à Tunis. Le gouvernement Guy Mollet vivement attaqué mit sur pied
au début d'avril une Commission de sauvegarde des droits et des libertés
individuels pour enquêter en Algérie. On lui répondit qu'Audin avait cherché
à s'enfuir en sautant d'une jeep et qu'il avait été abattu, que Boumendjel, à la
sortie d'un interrogatoire, avait sauté par-dessus la balustrade d'une terrasse.
Pour Ben M'Hidi Larbi, la thèse officielle était qu'il s'était pendu dans sa
cellule à la D.S.T. Quand on interrogeait celle-ci, la réponse était qu'elle n'avait
jamais eu en compte ce personnage. Dans des
cercles avisés, on racontait que Bigeard, après l'interrogatoire de Ben M'Hidi
qui n'avait rien livré, lui avait fait présenter les armes, avant de le remettre à la
division. C'est dans un local militaire en effet - on ne le sut que plus tard -
qu'il se pendit ou fut pendu. Rien de tout cela n'était apaisant pour la gauche,
qui livrait assaut au gouvernement Mollet. Mais en Algérie, le F.L.N., sentant
craquer ses structures, donne son va-tout.
3 juin: les bombes sont réglées pour 19 h
Dans la nuit du 29 au 30 mai, le village de Melouza, resté fidèle à Messali,
est encerclé par des rebelles kabyles. Les 300 habitants mâles sont
systématiquement abattus. Yacef Saadi, en raison même du démantèlement
largement commencé de la zone autonome, veut à tout prix démontrer qu'elle
existe toujours. S'il a perdu du monde, il dispose encore d'un stock très
important de dynamitegum. Le 3 juin, entre II h 30 et midi, trois Musulmans
habillés des bleus que portent les employés de l'Electricité d'Algérie viennent
dans le centre. Ils sont munis du carré qui permet d'ouvrir les boîtes à
coupe-circuits qui se trouvent à la base des lampadaires. Ils en visitent trois
qui portent des panneaux d'arrêts d'autobus. Ils y déposent des bombes.
Elles sont réglées pour 19 heures, le moment de l'affluence maxima. Elles
seront exactes au rendez-vous : 5 morts, 92 blessés. Six jours plus tard, le I0
juin, le gardien d'un cabaret dancing de la côte, le Casino de la Corniche ,
accepte de placer sous le podium de l'orchestre une bombe de deux kilos,
une charge énorme
pour la dynamite-gum. Celle-là est réglée pour 17 h 30. C'est un dimanche,
le lieu favori de la jeunesse de Bab el-Oued. A l'orchestre, juste au-dessus
de la bombe, Lucky Starway, qui s'appelle en réalité Lucien Serror, natif et
enfant chéri de ce même Bab el-Oued. A l'heure du destin, il y a 11 morts,
85 blessés, entraînant 14 amputations.
Le chef du réseau de pose a parlé
D'autre part, le terrorisme ne régresse pas, il s'aggrave. Le11, aux obsèques
des victimes de la Corniche, les pieds-noirs vont déclencher des ratonnades.
On les pressent déjà. A sa manière abrupte, Massu a dit à Godard : -
Puisque vous êtes si malin, prenez-moi ça. Ça, c'était le secteur Alger-Sahel,
calqué sur la zone autonome de Yacef Saadi. Il va sombrer définitivement
dans les six mois. Tous les personnages arrêtés ont été rendus vivants et il n'y
eut plus de plaintes pour tortures. Les méthodes de Godard étaient
indiscutablement plus affinées. Le problème premier, celui des bombes, se
joua en juillet. Un coup heureux permit, fin juin, de saisir dans la Casbah un
dépôt de 33 bombes. Le 17 juillet, le chef du réseau spécial de pose était
arrêté. Il est évident qu'il parla. Car le lendemain, autour de chaque pâté de
maisons du centre d'Alger, une patrouille de trois ou quatre parachutistes
tournait sans trêve. Il sortit ce jour-là de la Casbah neuf équipes de deux
porteurs ayant chacune une bombe. Elles se heurtèrent aux patrouilles.
Incapables d'atteindre les objectifs assignés, elles finirent par abandonner les
charges au hasard dans les rues, dans des couloirs, l'une sous le tunnel des
Facultés. La seule victime fut un mendiant qui avait cru trouver une bonne
fortune dans un de ces paquets. Mais l'épreuve décisive eut lieu le 27 juillet.
Une après-midi de dimanche étouffante. Les
arrestations s'étaient succédé dans les semaines précédentes. Les
renseignements convergeaient. Le stock d'explosifs dans la Casbah tirait sur
sa fin. Godard était sur la place du Gouvernement dans un véhicule-radio. Il
avait fait bloquer toutes les autres issues de la Casbah. Toute sortie devait se
faire par-là. Mais il n'était pas question de fouiller chaque individu. A partir
de 16 heures, la foule musulmane d'une cité de 70000 habitants dévalait vers
les quais, les cafés, les cinémas. Le champ de bataille que Godard avait
divisé pour ce combat définitif était le quadrilatère européen bordé par le
Front-de-Mer et allant de l'Amirauté à l'Hôtel de Ville. C'est là que la fouille
se faisait. Il n'y avait pas un permissionnaire parmi les paras. Les pa-
trouilles tournaient autour de chaque bloc, se recoupant l'une l'autre. Neuf
bombes
passèrent encore ce jour-là par la place du Gouvernement, réglées à moins
de 60 minutes. Très vite, ce fut l'affolement chez les porteurs. A la vue des
soldats, ils bifurquaient dans une rue transversale, retombaient sur une autre
patrouille. Inexorables, les secondes s'égrenaient sous leur veste. A 17 h 30,
la première bombe éclata, déchiquetant son porteur rue de la Lyre. Elle fut
entendue de tous les autres. Celui qui avait réglé les neuf engins et qui se
trouvait boulevard de Verdun voulut arrêter la minuterie. Il sauta aussi. Le
reste de l'équipe se débarrassa au hasard sous un porche, sous une voiture,
au rebord d'une fenêtre. La seule victime non F.L.N. fut un parachutiste qui,
découvrant un des engins dans une entrée d'immeuble, voulut le désamorcer
avec son couteau. Mais au lieu de couper un seul fil, il cisailla les deux,
déclenchant l'explosion.
-yabous le 21/07/2010
-mokrani ali
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Posté Le : 28/06/2010
Posté par : allaoua211
Photographié par : a.mokrani