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Le Tassili n'Ajjer, mémoire du Sahara



Le Tassili n'Ajjer, mémoire du Sahara
Au cœur du Sahara, le Tassili n'Ajjer domine, du haut de ses falaises abruptes, le désert qui, au-delà de l'oasis de Djanet, s'étend à l'infini tel un océan calme ou tourmenté. Plateau de grès longuement érodé par les pluies des milliers d'années durant, il offre ses paysages grandioses, toujours renouvelés, avec ses canyons, ses grands oueds, mais aussi ses massifs de grès évoquant des villes mortes, des forêts de pierre, des châteaux fortifiés, et de grands espaces autrefois couverts de végétation de type savane arborée, environnement favorable à une abondante vie animale et humaine. C'est ainsi que ce plateau représente le plus grand musée à ciel ouvert du monde… Pierre Colombel évoque pour nous peintures et gravures rupestres qui nous racontent le « Sahara avant le désert. »

L'Holocène correspond au début du Néolithique saharien, soit environ 10 000 ans avant J.-C. Du début de cette époque remontent probablement les gravures les plus anciennes du plateau des Ajjer, en particulier celles de l'oued Djerat de la période du bubale antique, bovidé sauvage dont l'encornure pouvait atteindre près de trois mètres d'envergure.
Outre le bubale caractérisant cette période, la grande faune sauvage, dite « éthiopienne » est abondamment figurée par des représentations d'hippopotames, d'éléphants, de rhinocéros et de girafes, mais également d'autruches, antilopes, ânes sauvages, hyènes, crocodiles, ainsi que de poissons, oiseaux aquatiques… et des bœufs indiquant peut-être un début de domestication. Cette faune est souvent associée à des spirales et des représentations humaines. Les gravures, très réalistes, sont généralement de grandes dimensions, soigneusement exécutées, et de grande qualité artistique. À part la période des « têtes rondes » qui ne compte que des figures peintes, les périodes bovidienne, du cheval et du dromadaire sont également représentées en gravures.
Si les gravures sont souvent situées le long des grands oueds, sur blocs de rochers ou sur dalles, les peintures ornent essentiellement les parois des abris creusés à la base des grandes formations de grès érodé du plateau.

De l'oued Djerat….

Situé dans le nord-ouest du Tassili, il offre à la fois des gravures et des peintures rupestres. En une dizaine de kilomètres, plus de quatre mille gravures se répartissent sur ses rives bordées de falaises qui atteignent jusqu'à cent cinquante mètres. Le fond de l'oued cache plusieurs gueltas ou points d'eau, comme dans les petites palmeraies de Nafeg aujourd'hui inhabitées. On y trouve des dattes, des lauriers roses, de la vigne, des ricins et quelques figuiers sauvages parmi les roseaux. Certains points d'eau abritent encore des poissons. Quelques abris naturels, situés à plusieurs mètres au-dessus du sol, sont ornés de peintures. L'un d'eux est décoré de palmiers avec des régimes : c'est le plus ancien témoignage de la culture de cet arbre que nous possédions pour tout le Sahara.

… aux grands sites du sud-est du plateau

On y accède en partant de Djanet, la « perle du Tassili », oasis aux trente mille palmiers dattiers qui abritent des feux du soleil les nombreux jardins irrigués par une centaine de sources.
Les sites les plus importants sont Jabbaren et Sefar, chacun abritant plus d'une centaine de panneaux peints, soit plusieurs milliers de figures.
Sefar se situe au cœur d'un massif rocheux profondément érodé, avec des zones et des niveaux très tourmentés, seules quelques étendues permettant l'accès des bovidés. Les points d'eau les plus importants sont au cœur de rochers inaccessibles aux troupeaux. Il est certain que cette configuration morphologique explique pourquoi les scènes de la période bovidienne sont moins nombreuses qu'ailleurs, tandis que les populations de chasseurs de la période des « têtes rondes » y ont laissé leur empreinte par de très nombreuses peintures où les personnages sont souvent porteurs d'un masque dans des scènes à caractère rituel/religieux. Deux journées de marche, au cours desquelles on remarque des affleurements de schistes aux nombreuses nuances qui ont fourni la palette des peintres préhistoriques, mènent au site de Jabbaren, près d'un col, l'Akba Aroum, qui permet de redescendre vers Djannet.
Jabbaren se présente comme une ville creusée dans le grès, avec de multiples rues, ruelles et places d'accès facile. On découvre des abris immenses, des cirques, dont les parois de grès sont ornées d'une multitude de figures peintes surtout aux périodes « têtes rondes » et bovidienne, dans des scènes animées de la vie quotidienne ou religieuse, pouvant atteindre parfois une surface de près de cinquante mètres carrés. Une des plus belles, des plus célèbres aussi, les « bœufs polychromes de Jabbaren », montre, sur une longueur de trois mètres, un troupeau d'une trentaine de bœufs en marche, accompagné de son gardien. L'ensemble est remarquable par ses qualités esthétiques et l'utilisation, rare, de la couleur verte.

Les grandes périodes

Le choix de leur dénomination a été fait en fonction des éléments qui les caractérisent. Ainsi la période des « têtes rondes » est due à la forme, la plus fréquente, de la tête des personnages représentés, dont les traits du visage ne sont que rarement figurés. Les trois autres périodes : du bœuf, du cheval et du dromadaire sont marquées par l'apparition successive de ces espèces animales domestiquées.
La période des « têtes rondes » présente une grande variété de style, une vingtaine, dont le plus ancien montre des personnages monochromes qui ne dépassent guère dix à douze centimètres de haut. Plus tard, certaines figures atteindront cinq à six mètres de hauteur ; peints en blanc et entourés d'un trait brun violacé, ces personnages ont été baptisés par H. Lhote « grands dieux ». Souvent peints en des lieux exceptionnels de par leurs dimensions et leur morphologie, d'apparence humaine bien que sans visage, ils occupent généralement une position prédominante et sont entourés de personnages de même facture, mais de taille beaucoup plus petite, tournés vers eux dans des attitudes d'orants. L'ensemble de ces éléments évoque, à n'en pas douter, la pratique de cérémonies à caractère religieux.
La longue évolution des « têtes rondes », sur plus de 2 000 ans, conserve ses principales caractéristiques : tête ronde des personnages, port d'un petit pagne pour tout vêtement, quelques éléments de parures et peintures corporelles ; l'armement est limité à l'arc à simple courbure, un bâton ou une massue, parfois une sorte de longue fourche. L'abondance des scènes à caractère rituel/religieux met en évidence la place qu'elles devaient occuper dans le système culturel de ces populations. La fin de cette période est marquée par le style des « masques » où apparaissent des profils à caractères négroïdes, avec une polychromie plus riche qui se généralise.
Une sécheresse de plusieurs siècles, aux environs de 5 500-5 000 ans avant J.-C., entraîne probablement la fin de cette période dont les populations vivaient de pêche, de cueillette et de chasse.
Le Ve millénaire avant notre ère voit l'arrivée, avec le retour des pluies, d'une nouvelle population venant de l'est qui possède des troupeaux de bovidés domestiques, ainsi que des moutons et des chèvres.
Comme la précédente, la période bovidienne présente de nombreux caractères spécifiques qui évolueront dans le temps du fait de la pénétration successive du Tassili n'Ajjer de plusieurs ethnies successives qui toutes feront paître leur bétail dans une région privilégiée qui a retrouvé une flore abondante et une faune sauvage très riche, confirmant des conditions climatiques favorables et la présence de plans d'eau permanents. Cette période, qui marque le sommet de l'art rupestre saharien, a fourni le plus grand nombre de peintures. La multiplicité des styles et thèmes traités présente une véritable chronique ethnographique. Si le type négroïde reste présent, les nouveaux arrivants, plus nombreux, possesseurs d'animaux domestiques, sont des Peuls longilignes au teint cuivré. Généralement vêtus d'un pagne, ils sont représentés dans tous les aspects de leurs activités collectives ou privées : chassant les animaux sauvages, accompagnant leurs troupeaux, rentrant de la récolte de baies et de fruits avec une hotte sur le dos ou un panier à la main, au campement avec leurs bêtes ou près des huttes ovales, dans des scènes intimes de couples, des combats d'archers, mais également participant à des cérémonies à caractère religieux dont on connaît, pour quelques-unes, la signification qui nous a été fournie par M. Ampaté Ba et Mme Germaine Dieterlen : « Ces interprétations sont en relation, d'une part avec l'initiation traditionnelle des pasteurs peuls, d'autre part avec les rites exécutés par ces pasteurs ». Le bœuf domestique, utilisé comme monture ou animal de bât, est alors monté à cru. Plus tard, avec l'arrivée de nouvelles populations à caractères europoïdes, de vastes selles ornées porteront des femmes richement vêtues aux coiffures et parures très élaborées. Les hommes également portent des vêtements diversifiés et sont souvent parés de peintures corporelles. La palette de couleurs va de l'ocre jaune à l'ocre violacé, jaune de chrome, brun foncé, blanc, noir et vert. La taille moyenne des figures humaines se situe entre vingt et trente centimètres. Les artistes ont atteint une grande maîtrise, tant du dessin que de la composition, et certains ont réalisé de véritables chefs-d'œuvre sur les parois de grès.
Mais autour de 2 000 ans avant J.-C., les conditions climatiques se détériorent à nouveau, entraînant une migration progressive vers le sud, à la recherche de pâturages.
On cite généralement l'introduction du cheval domestique dans le courant du XIIIe siècle avant J.-C. Il est d'abord représenté attelé à un char puis, assez tôt, monté. La période du cheval est liée à la pénétration d'une nouvelle population de race blanche, venant du nord-est – les ancêtres des Touaregs d'aujourd'hui. À cette époque, la grande faune sauvage, à l'exception de la girafe, n'est plus représentée, mais le bœuf domestique reste visible sur les parois peintes de l'oued Djerat, et les représentations humaines, souvent monochromes, sont traitées de manière schématique ; l'on voit apparaître l'écriture, le tifinagh ancien qui aboutira à l'écriture actuelle utilisée par les Touaregs.
La période du dromadaire : à la fin du premier millénaire avant notre ère, l'aridité du climat entraîne le remplacement progressif du cheval. Le « chameau » est, avec l'âne, la chèvre et quelques chiens, le seul animal domestique des petits groupes de Touaregs nomades circulant encore de nos jours au cœur du Tassili n'Ajjer.


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