Au premier abord, c’est le désert dans son immensité sans limites, enivrante. Puis, sortie de nulle part, Bordj Omar Driss dresse sa nudité. Elle, ville de tous les contrastes, généreuse, pure, n’a connu aucun développement qui la fait sortir de l’oubli sidéral.
C’est l’une des plus grandes et plus célèbres communes d’Illizi. Située à l’entrée de cette wilaya, depuis la route de Hassi Messaoud en passant par Gassi Touil, Bordj Omar Driss n’a malheureusement pu développer ni son potentiel agricole ni pu préserver son activité touristique en dépit de ses nombreux atouts.Les habitants vivant sur son vaste territoire sont confrontés à de nombreuses difficultés. La situation dramatique du secteur de la santé, l’école sinistrée et l’absence d’un véritable plan de développement local sont les principales contraintes qui rendent la vie infernale, voire presque impossible.
700 km pour ...extraire une dent
« Pour se faire enlever une dent, il faut se diriger vers Ouargla à 400 km ou Illizi à 700 km », résume une femme. « Il n’y a pas de médecin ici. Pour accoucher, les femmes doivent se déplacer par ambulance, lorsqu’elles sont disponibles, vers les hôpitaux des deux grandes villes. Nous avons enregistré beaucoup de morts en cours de route », assène-t-elle.
Le petit hôpital situé au centre-ville n’est pas en mesure de répondre à la demande de la population de plus en plus croissante. Les deux médecins généralistes dépêchés du nord sont dépassés. Ils sont souvent absents ou ne peuvent s’occuper de tous les patients en l’absence de spécialistes. Quand l’un est absent, le deuxième assure son service 24 heures sur 24.
Les polycliniques et centres de santé de proximité ne sont pas d’une grande efficacité. Une infirmière et une sage-femme constituent le personnel de la structure située à proximité du siège de l’APC. Aucun malade ne s’est pointé ce jour-là. Un calme plat y règne. Et sans le papotage des femmes à l’intérieur de la salle de soins, les lieux auront l’air d’une bâtisse hantée. Les salles du médecin, du dentiste et du laboratoire sont fermées. Singularité : à l’entrée, des affiches appelant la population à respecter les prières et à faire son autocritique, avant de demander des comptes aux autres. Ces messages sont l’œuvre d’une femme témoin de beaucoup de choses dans cette clinique. « Ça sert à tranquilliser l’esprit des gens qui viennent ici pour se disputer ou blesser ceux qui n’ont aucune responsabilité lorsque ça se passe mal », a expliqué leur auteure. « Ici, les gens sont patients, croient au destin et ne s’en remettent qu’à Dieu, sinon comment expliquer toutes ces femmes nomades qui accouchent dans la nature sans jamais consulter un médecin », ajoute-t-elle.
« C’est une structure qui ne sert pas à grand-chose », disent les habitants. « Je fais des injections aux malades. Il y a la sage-femme qui suit les femmes enceintes mais il n’y pas d’accouchement ici. Lorsqu’un un cas se présente, on appelle l’ambulance qui les transfère vers les hôpitaux d’Illizi ou de Ouargla », indique l’infirmière.
Le nouvel hôpital de 60 lits, confié à deux entreprises, est en cours de réalisation. Il accuse un retard énorme. Seuls les fondements et la plateforme ont été achevés. La deuxième entreprise vient tout juste de lancer les travaux de réalisation du bâtiment. « Le retard est dû aux difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction et au manque de main-d’œuvre », souligne le responsable de l’entreprise.
La solution la plus facile et la plus pratique, aux yeux de la population, est le réaménagement du petit aéroport de Bordj Omar Driss pour transporter les cas d’urgence vers les villes du nord. C’est un aéroport qui date de l’ère coloniale et a cessé de fonctionner vers la fin des années soixante-dix. La tour de contrôle est encore opérationnelle et elle est d’une grande efficacité. Même les stocks de carburant pour avions sont encore sur place pour témoigner de l’efficacité d’une telle structure qui ne nécessite que quelques travaux d’aménagement, de réhabilitation et de désherbage pour la rendre opérationnelle.
Tourisme, dites-vous ?
La position géographique stratégique avait fait de Bordj Omar Driss un carrefour touristique incontournable. Les nombreux touristes qui y affluaient de tous les pays du monde empruntaient ses pistes pour se rendre à Djanet, Tamanrasset, Illizi et In Salah et traversaient ainsi des sites magiques du magnifique désert algérien. La mort de l’activité touristique a été un coup fatal pour cette localité qui subit l’isolement. L’initiative prônant la promotion du tourisme domestique a peu de chance de réussir dans cette localité qui ne dispose d’aucune structure d’hébergement pour recevoir les éventuels touristes algériens. Même la source thermique située à Hassi Belakbour, à l’entrée de cette localité, est délaissée en dépit des vertus médicales de cette eau qui coule en plein désert.
L’école est l’autre préoccupation de la population. L’éloignement des établissements scolaires et l’absence de transport sont fortement décriés. S’ajoute à cela le manque de personnel d’encadrement et d’enseignants de langues étrangères. « Nous avons peur pour nos enfants qui parcourent des kilomètres pour se rendre à l’école. A ce jour, ils n’ont pas d’enseignant de français. Nos enfants n’ont pas le suivi nécessaire », s’alarme un père d’élève.
La pollution environnementale et les maladies contagieuses ont un terrain fertile à Bordj Omar Driss. Le réseau d’assainissement est vétuste. « Un égout a éclaté en plein centre-ville ce qui a eu des effets désagréables », témoignent les habitants. Comme solution provisoire, la conduite a été détournée mais le risque est permanent. « Nous attendons la concrétisation du projet du nouveau réseau qui n’a toujours pas vu le jour », précisent-ils.Les déplacements des populations dans le sud est une pratique courante. Les notions de distance et de temps prennent une autre dimension dans ces régions où les populations réclament une meilleure qualité de vie, moins contraignante surtout. Bordj Omar Driss est distante de la wilaya de Tamanrasset de 600 km et de 400 km d’In Salah par piste. Ceux qui n’ont pas les moyens se déplacent en transport collectif. Au-delà des risques liés à la nature de la région, le trajet prend trois fois plus de temps. Les espoirs de voir cette route aménagée se sont évaporés dans cette lente attente lassante. « Nous réclamons la réalisation de cette route depuis de longues années mais nous n’avons rien vu à ce jour », signale un groupe de citoyens.
Le même problème est posé pour la piste de 300 km menant à Djanet. L’actuelle route, de bonne qualité, de 1.100 km est dangereuse en raison des nombreux virages qu’elle comporte.La population revendique aussi l’augmentation du nombre de boulangeries ou la révision de leur mode de fonctionnement. « Les trois boulangeries travaillent entre minuit et sept heures du matin. Au-delà, on ne trouve pas de pain. Ici, même quand tu veux préparer un plat qui se mange avec le pain, il faire sa commande bien à l’avance », ironise une femme qui compare la vie d’ici à celle d’Ouargla « où tout est facile à acquérir ».Mais il n’y a pas que la population qui s’en plaint. Les quelques entrepreneurs que compte cette localité déplorent des créances non payées par la commune. « Nous avons réalisé des projets sans pour autant encaisser notre dû. Nos sollicitations pour régler ces contentieux n’ont pas abouti. Nous avons saisi la justice mais rien n’est fait. On ne sait plus à quel saint se vouer », observent ces opérateurs.
Zaouïa célèbre
Le calme et la pureté des paysages sont les seuls avantages qu’offre cette localité. « Bordj Omar Driss a cette capacité d’accueillir, de retenir ou de refouler ses visiteurs. Certaines personnes rebroussent chemin le lendemain de leur arrivée, d’autres restent ici des années. Il faut avoir la capacité à résister et à s’armer de courage pour pouvoir y vivre », résument les habitants. En dehors de toutes ces difficultés, les habitants de Bordj Omar Driss sont heureux d’accueillir, pendant le mois de mai, les visiteurs de toutes les villes d’Algérie et d’ailleurs pour se recueillir et célébrer la mémoire de cheïkh Sidi Moussa Boukabrine, de la zaouia Tidjania de Timassinine. Un fort moment de communion et de spiritualité. On ne visite pas Bordj Omar Driss sans passer y réciter la Fatiha à la zaouïa qui draine des milliers de visiteurs. « Nous sommes fiers de notre cheïkh qui a beaucoup apporté à la population locale et c’est grâce à lui que notre localité n’a pas perdu sa réputation », s’enorgueillissent les habitants.
N. B.
Posté Le : 23/09/2016
Posté par : tassili
Ecrit par : Un Reportage de Nouria Bourihane
Source : Publié le 25 janvier 2015 Horizon