Sommaire
BUT DE CETTE COMMUNICATION. I. QU'EST-CE QUE LE M'ZAB
1 ) Situation Géographique
2) La Tradition Ibadite
3) Origine Ethnique
4) Normes et Philosophie Ibadites
5) Quelques titres pour en savoir davantage
II. LES TRADITIONS SOCIALES.
1 ) But des traditions sociales 2) Quelques exemples
III. LES ARTS TRADITIONNELS.
1 ) Genèse des Arts traditionnels 2) Les arts traditionnels concernés
IV. ANALYSE DE DEUX ESSAIS DE PROMOTION.
1 ) Exemple No. 1 : L'Architecture 2) Exemple No. 2 : Le Tissage
V. CONCLUSION.
-60
But de cette communication
Au M'ZAB une expérience humaine, millénaire, exprimée par des traditions sociales et des arts traditionnels, court le risque de disparaître dans très peu de temps sans laisser de traces.
Ce serait une perte pour la région, l'Algérie et la communauté humaine entière, car il s'agit d'un capital social universel.
Il est urgent d'envisager la promotion ou, à la limite, la consignation de ces traditions et de ces arts traditionnels. Par ailleurs, les traditions sociales sont le reflet de la manière de penser d'un peuple et l'expression des valeurs auxquelles il attache un prix.
Les arts traditionnels sont le résultat de l'action d'un peuple ayant reçu une éducation donnée, sur un milieu géographique donné. Les traditions et les arts tra- ditonnels au M'ZAB sont par conséquent le produit d'une éducation ayant pour base la tradition musulmane ibadite et une région géographique particulièrement hostile.
Cette double particularité est la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire de développer l'aspect historique et idéologique du M'ZAB d'abord, avant d'aborder le sujet principal : «La Promotion des Arts et des Traditions».
Pour illustrer notre manière de voir le problème nous avons pris deux exemples d'essai de promotion :
- le premier de la part de l'Etat Algérien concernant Y architecture,
- le second de la part d'individus privés appartenant au Croissant Rouge Algérien concernant le tissage.
Nous indiquerons en conclusion quelques chemins possibles pour l'amorce des promotions souhaitées.
I. Qu'est-ce que le M'Zab ?
1) Situation géographique
Le M'ZAB est une province d'Algérie située à 600 kms au sud d'Alger. L'implantation de sept cités dans cette région particulièrement hostile par son relief, son climat, ses ressources limitées en eau et en terrain fertile, n'obéit pas à la règle commune d'implantation des agglomérations (proximité des sources, ressources agricoles ou minières, carrefour des routes, etc.). En effet l'isolement de l'endroit et son aridité ont été les critères d'un choix afin de vivre en paix, dans un refuge sûr, un idéal - «La Tradition Ibadite».
-61 -
2) La tradition ibadite
Après les quatre premiers Khalifs légitimes : ABOU BEKR, OMAR, OTHMAN et ALI, la communauté musulmane se divise au sujet de la question du «Pouvoir». La communauté musulmane de KOUFA et d'EL BASRA derrière son Imam DJABER IBN ZEYD, reproche à MOUAOUIA de prendre le pouvoir par la force et reproche au Khalif ALI de céder son pouvoir légitime par arbitrage.
En effet DJABER IBN ZEYD et son groupe estiment que d'après le Coran : le pouvoir ne doit pas être brigué mais reçu :
- que c'est une question non de force ou de dynastie, mais de suffrage,
- qu'il ne s'agit pas d'origine aristocratique mais de compétences,
- que la méthode n'est pas la dictature mais la consultation,
- qu'il ne s'agit pas de richesse mais d'intégrité,
- qu'enfin c'est moins une place d'honneur et de prestige qu'une astreinte et une lourde responsabilité.
Telle est l'origine principale de la Tradition Ibadite. Persécutés par les princes qui voyaient dans ces idées démocratiques un danger pour leur puissance, après maints succès et revers, les Ibadites du Maghreb se réfugient au M'ZAB pour y vivre leur idéal religieux.
3) Origines ethniques des Ibadites du M'Zab
Malgré toutes les inepties que l'on a pu écrire sur l'origine ethnique des Ibadites de M'ZAB, il est plus raisonnable de parler de prédominance maghrébine. En effet, en suivant les racines des familles au M'ZAB on arrive à ZENATA, KOUFA, DJEBEL NEFOUZA, DJERBA, en Perse, TIHRET, TAFILALET, FEZ, TLEMCEN, SANHA- DJA, SAKIET EL HAMRA, BORNOU, etc.. Par conséquent, les dénominateurs communs entre les habitants des sept cités sont l'Islam selon la tradition ibadite ; dix siècles d'histoire commune et une culture arabe.
Hétérogène à l'origine, la population est devenue homogène par les alliances entre familles.
Par ailleurs, le M'ZAB n'a pas été peuplé en une fois, par une ethnie unique, mais s'est peuplé au cours des temps par tous ceux qui aux quatre points cardinaux voulant garder leurs convictions religieuses étaient attirés par ce havre de paix et de justice sociale.
4) Normes et philosophie de la tradition ibadite
Ces normes sont nombreuses et touchent tout un domaine de la vie, nous ne citerons donc que quelques exemples :
-62-
Normes en matière de Pouvoir
En matière de pouvoir les normes sont :
- la collégialité
- la compétence
- la représentativité
conformément à l'enseignement du Coran : «AMROHOUM BINAHOUM CHORAH» et «CHAOUIRHOUM FI EL-AMR».
En pratique il existe dans chaque cité un collège de douze membres désignés suivant une liste de critères connus qui assume le pouvoir. Ils sont assistés par un collège de douze membres élus par les citoyens.
Chaque cité possède son administration autonome. Un conseil fédéral de quatorze membres (deux par cité) coordonne les affaires communes, arbitre les conflits et fonctionne en cours d'appel.
Pour les membres «désignés», la richesse, est par exemple un critère d'exclusion. Cette tradition en matière d'administration existe depuis le douzième siècle.
Normes en matière de relation entre les gouvernants et les gouvernés
Cette norme est :
«L'obéissance aux êtres créés est conditionnée par la non-désobéissance au Créateur».
«La ta'ata lil makhloukh fi mou'siah el khalikh».
Normes en matière d'économie
L'homme n'est pas «propriétaire» de sa fortune, il n'est que le gestionnaire du bien de Dieu. Gestion dont il rendra compte.
Norme en matière de responsabilité
«L'homme est entièrement responsable de ses actes, bien qu'il soit convaincu de l'existence d'une Prédestination.»
Norme concernant Dieu
«Dieu dépasse l'entendement humain, toute idée matérielle le concernant est a priori fausse.» Il ne peut être connu que par ses attributs.
Norme en matière de croyance
«Il ne peut y avoir de foi sans pratique», etc..
-63-
5) Quelques titres pour en savoir plus long
AL BAROUNI - El Azhar Eriada - Le Caire
CHEIKH ATFIACH - Risalat chafia fi ba'd taouarileh
- Oued M'ZAB - Tra. P. Cuperly
- Gharh Kitab El Nil
MERGHOUB - Le développement politique en Algérie. A. Collin, Paris 1970.
- Le M'ZAB, aspect économiques, sociaux, politiques. Paris 1964.
EL BERRADI - Kitab El Jaoihers - Le Caire 1302 H) 1884. ECHEMAKHI - Le M'ZAB et les M'ZABITES - Chellamel - Paris 1888. ALI YAHIA MAAMAR - El Ibadia fi Moukib Etarikh - Le Caire 1964. ADARJINI - Ettabakat El Machaïkh etc.. COYNE - Le M'ZAB - Alger 1 879. etc..
II. Les traditions sociales
1) But des traditions sociales
L'analyse des traditions sociales au M'ZAB conduit à penser que tout est organisé afin qu'il n'y ait pas de nécessiteux, dans la mesure où ils viennent à exister qu'ils ne le demeurent pas.
D'autre part le fait qu'il n'y ait jamais eu de mendiants et de police incite à rechercher les causes de ce résultat particulièrement intéressant. A notre avis cela est dû entre autres à quatre raisons majeures.
1) L'instruction et l'éducation religieuse assurées à tous gratuitement et parfois même avec des subventions en nature.
2) Un système judiciaire, gratuit, sans procédures, accessible à tous, et intègre.
3) La disponibilité d'un marché de matières par lequel on peut convertir en monnaie tout produit de travail ou surplus en cas de besoin.
4) Un marché de travail ouvert qui permet en cas de désaccord avec son patron de trouver un employeur le lendemain même.
La valeur des traditions sociales est confirmée par des siècles de pratique au cours desquels chacune a subi les élagages et rajustements nécessités par l'expérience. La pérennité de l'administration qui se renouvelait seulement par individu et jamais
-64- collectivement en a permis la capitalisation.
L'érosion de ces traditions est à l'origine des problèmes sociaux que le M'ZAB connaît actuellement.
Dans ce chapitre nous nous contentons de ne donner que quelques exemples, le développement de ce sujet nécessiterait plusieurs ouvrages.
2) Quelques exemples de traditions sociales
Tradition en matière d'instruction
Par un système de démultiplication, le maître ou le professeur peut enseigner à un grand nombre d'élèves. En effet l'élève est tour à tour enseignant et enseigné. Les élèves des grandes classes enseignent les classes intermédiaires qui enseignent les primaires, etc.. Le niveau des élèves qui sont passés par ces conditions confirme la valeur de la méthode, le système, non seulement instruit l'élève, mais lui forme le caractère. Un des avantages du principe c'est que l'éducation ne présente qu'une faible charge pour la collectivité. (Dans le système les groupes sont très réduits : 4 à 8 élèves).
Tradition en matière de travail
Il existe dans chaque cité du M'ZAB une place où toute personne libre de sa journée et désireuse de travailler peut se présenter. Par conséquent il suffit à toute personne ayant besoin de main-d'oeuvre de s'y rendre. Le système est d'une étonnante efficacité et permet une excellente régulation de l'offre et de la demande du travail, (il s'agit de main-d'oeuvre sans qualification). Pour les autres catégories, il existe d'autres procédés. Lorsqu'il n'y a plus de main-d'oeuvre «mouvante» dans une cité elle emploie la main-d'oeuvre en surplus dans une autre cité et contribue ainsi à la promotion de celle-ci.
Tradition en matière d'urbanisme
En effet chaque cité se compose de :
1) Une mosquée dominante et centrale autour de laquelle rayonnent les habitations. La Mosquée est tour à tour, Médersa, Palais de Justice, Office des oeuvres sociales, Gouvernement, Centre Culturel, Docks, Arsenal, etc.
2) Un marché régulateur économique, régi par la loi naturelle de l'offre et de la demande et par les lois de la cité qui garantissent l'intégrité des vendeurs agréés et des marchandises. C'est aussi le rendez-vous quotidien des prestataires de services et de leurs clients. Le centre d'informations etc..
3) Une zone résidentielle.
4) Une zone artisanale et commerciale.
5) Une zone agricole.
-65-
6) Un parc commun pour le troupeau commun.
7) Des zones de servitudes (cimetières, dépotoirs, abattoirs).
8) Des ouvrages d'arts (digues, canaux d'irrigation et de répartition des eaux de ruissellement, remparts).
9) Un réseau de latrines publiques.
10) Un réseau de puits domestiques. 1 1 ) Un réseau de puits potables.
12) Un réseau de fontaines publiques.
13) Un réseau de routes et chemins.
14) Une salle des Fêtes (mise gratuitement à la disposition des citoyens pour les mariages, réunions, etc.).
15) Des lieux de prière commune.
16) Une bibliothèque, etc..
Tradition en matière d'association des femmes à la gestion publique
En effet depuis environ sept siècles, une assemblée de 12 Dames est chargée :
a) De l'instruction et de l'éducation religieuse des filles.
b) D'encourager le bien et de blâmer le mal dans le monde féminin.
c) D'assister matériellement et moralement celles qui en éprouvent le besoin.
d) D'informer le milieu féminin des décisions prises par l'administration, de suggérer des solutions aux problèmes posés par les femmes.
Tradition en matière de Droit islamique
La liste des ouvrages en cette matière est longue, il nous suffit de citer les plus importants :
LE NIL du Cheikh ABDEL AZIZ, deux volumes et surtout le Commentaire du NIL du Cheikh ATFEICHE, 17 volumes.
-66-
III. Les arts traditionnels
1) Genèse des arts traditionnels
La différence de mentalité entre deux individus résulte de Faction d'éducations différentes. Or toute éducation tend à former quatre éléments fondamentaux de l'être humain :
- le corps
- l'esprit
- la conscience
- et la main.
Les arts traditionnels sont l'expression de la formation de l'esprit de la conscience et de la main.
L'action d'individus ayant reçu une éducation donnée sur un milieu géographique à climat, relief, ressources donnés, se traduit par des arts traditionnels spécifiques à cette mentalité, à cette région.
En effet, si l'on importe des «Process» conçus par des individus à mentalités différentes, ou si l'on importe des matériaux étrangers à la région, on assiste à des «fabrications bâtardes». Il ne s'agit plus d'arts traditonnels.
La double particularité du M'ZAB du point de vue mental et géographique est à l'origine des Arts Traditionnels particuliers au M'ZAB.
2) Les arts traditionnels concernés
Les arts traditionnels concernés par l'érosion sont :
Le tapis velouté - le tapis ras - le tissage, étoffe, couverture, vêtement - la broderie sur tissage - les poteries tournées (mat, vert, couleur) - la fabrication de chaux et de plâtre - la dinanderie - la tannerie - la bourrellerie - la maroquinerie - la reliure - la cordonnerie - le fer forgé - la serrurerie - l'armurerie - la poudre à fusil - l'architecture - l'urbanisme - la vannerie - la pierre taillée - l'ébénisterie - la sculpture sur bois - la pharmacie - la médecine - la boucherie - l'agriculture - la bijouterie - la musique - les parfums - la teinturerie - le forage des puits et le puisage - la distribution des eaux de pluie.
Parmi ces arts traditionnels, certains ont disparu, d'autres sont en voie de disparition. Tous ces arts traditionnels, même lorsqu'ils présentent des similitudes avec les mêmes arts dans d'autres régions d'Afrique du Nord ou de l'Orient, portent la marque particulière du M'ZAB.
-67-
IV. Analyse de deux essais de promotion
1) Architecture
Exemple No. 1. Essai de promotion de l'Architecture et de l'urbanisme traditionnel au M'ZAB.
En 1970, suite aux demandes d'un architecte français, le Ministère Algérien de la Culture et de l'Information a créé un Bureau d'Architecture à GHARDAIA. Le but était la sauvegarde du style architectural dans la région qui en outre a été classée «Site et Monuments historiques».
La réglementation disait, entre autres, qu'il ne fallait pas construire à moins de 500 m des remparts de BÉNI ISGUEN ; que tout projet de construction devait recevoir l'agrément du Bureau d'Architecture, etc..
Aujourd'hui, soit 12 ans après, le rempart en question est étouffé derrière de nouvelles constructions dont certaines sont l'oeuvre de l'administration même.
Quant aux projets de constructions individuelles, une grande partie passe par le Bureau d'architecture (car c'est une étape obligatoire) mais au point de vue réalisation, le propriétaire, souvent, range les plans ainsi visés et s'entend avec son maître maçon pour réaliser une maison à son goût (pas nécessairement bon).
Jamais le M'ZAB n'a subi autant de dégradation que depuis 1970 en matière d'urbanisme et d'architecture. Pourquoi ?
Ouvrages d'Arts et Urbanisme
Avant 1970, il existait une structure traditionnelle qui veillait sur tous les ouvrages collectifs ; digues, remparts, tours de garde, ponts, etc.. qui, dès qu'elle constatait une dégradation, réunissait auprès de la population sensibilisée à cet effet, les moyens : finances, hommes, matériel, matériaux, etc.. et entreprenait immédiatement les réparations. C'était même la plupart du temps des travaux d'entretien préventif.
Grâce au volontariat traditionnel, ces travaux ne représentait pas une lourde charge pour la collectivité locale et l'entretien était bien assuré.
Depuis que l'Etat a mis des plaques «Sites et Monuments», personne «n'ose» toucher quoi que ce soit.
L'état du rempart de BENI ISGUEN, entre autres, malgré une récente dépense supérieure à cinq cent mille dinars est un exemple qui prouve que l'argent n'est pas un moyen suffisant pour résoudre les problèmes.
D'autre part, entre le moment où se fait sentir le besoin d'un entretien et le moment où il est entrepris, il se passe en général deux ans (demande de budget - consultation - etc..) temps durant lequel l'ouvrage achève de se dégrader. Lorsqu'on veut passer à exécution, on s'aperçoit que le budget prévu ne suffit plus, etc..
-68-
Par ailleurs, on se demande comment peut fonctionner un Organisme destiné à conserver un Art Traditionnel quand l'ensemble du personnel qui y est affecté est étranger à cet Art ?
Ensuite, on est en droit de se poser la question de savoir avec quelles normes le Bureau d'Architecture travaille, puisque les trois ouvrages fondamentaux concernant l'urbanisme au M'ZAB sont inconnus à ce jour au Bureau.
Il s'agit de :
«USSUL EL ARADINE» - Xlle siècle «TAKMIL KITAB EL NIL» - XVIIIe siècle «MOKHTASSAR EL IMARATE»- XIXe siècle.
Constructions Individuelles
Depuis la réglementation sus-visée on subordonne l'octroi de l'autorisation de construire à la présentation d'un plan. Or ce plan ne peut être réalisé que par un architecte ou asssimilé qui a été formé avec des normes étrangères à l'Art Traditionnel du M'ZAB.
Ensuite ce plan est théoriquement remis à un maître maçon qui traditionnellement «travaille sans plan».
Traditionnellement, les constructions au M'ZAB sont réalisées avec de la pierre, de la chaux, du plâtre, de l'argile, du sable, des poutres et des palmes de palmier. Actuellement, on utilise du ciment, du fer à béton, du gravier, des poutres métalliques, des parpaings et des ourdis en ciment. Les caractéristiques thermiques et mécaniques de ces matériaux sont très différentes.
Par conséquent utiliser des normes étrangères et des matériaux étrangers pour «Restaurer» un art traditionnel ne tient pas du bon sens.
A plus forte raison quand aucun effort de transposition n'est fait pour limiter les dégâts.
Ensuite, il y a une différence fondamentale entre la manière d'approcher un problème de construction par un architecte moderne et par un maître maçon traditionnel.
Le premier se soucie d'abord de l'enveloppe extérieure du projet, parfois au détriment de la rationalité intérieure et prévoit les matériaux nécessités par le projet, même si le prix n'en est pas connu.
Le second se soucie d'abord de l'utilité de l'espace et des matériaux disponibles localement. Connaissant les besoins sociaux du propriétaire d'une part, et les possibilités des matériaux disponibles d'autre part, il réalise «a priori» une habitation simple, rationnelle, et partant, moins coûteuse.
-69-
II faudrait pour développer ce problème un ouvrage entier. Notre but est de faire seulement apparaître le problème.
2) Tissage
Exemple No. 2. Essai de promotion du tissage.
En 1882, lorsque la France entreprit l'annexion du M'ZAB (annexion non reconnue à ce jour) il existait 7 000 fîleuses qui travaillaient environ 300 000 toisons par an.
Le travail de la laine était le second pilier de l'économie du M'ZAB, le premier étant alors l'agriculture, les dattes en particulier.
Cinquante pour cent de la production des fileuses étaient destinés au marché extérieur, les cinquante pour cent restant étant destinés à la Consommation locale.
Alors que le tissage était le moyen d'existence, il est devenu, aujourd'hui, une occupation des loisirs. Mais il n'existe pratiquement pas de maison au M'ZAB sans métier à tisser.
D'autre part, alors que le tissage partait de la toison brute, c'est-à-dire qu'il fallait : laver, trier, peigner, carder, sélectionner les fibres, filer gros, filer fin, apprêter, teindre, ourdir puis tisser, on part maintenant des échevaux de laine fabriqués. L'opération commence par l'ourdissage suivi du tissage.
Il existe trois sortes fondamentales de tissage au M'ZAB :
1) Le tissage classique ; chaîne et trame (vêtements, étoffes, etc.).
2) Le tapis velouté de tradition récente (2 siècles environ) importé de Perse, de Turquie et du Khorassan, de même que les tapis de Kairouan.
3) Le tapis «ras» qui date depuis longtemps. C'est sans doute une évolution du «flig» nécessaire à la tente des tribus Zenatiennes Motazila qui peuplaient l'oued M'ZAB à l'origine.
Il y a à peu près 4 ans, il restait à BENI ISGUEN une vingtaine de dames âgées qui connaissaient encore bien cette tradition. Les autres tisseuses préféraient le tapis velouté et ne s'intéressaient guère au tapis ras. Par ailleurs, la copie des motifs étrangers à la tradition aboutit à abâtardir les ouvrages et à détruire le bon goût des tisseuses.
Il fallait donc faire vite.
Un petit groupe de personnes appartenant au Croissant rouge de BENI ISGUEN prit l'initiative de promouvoir cet art traditionnel, et créa à cet effet un Centre d'Apprentissage pour former des jeunes filles.
Les fonds nécessaires furent pris dans les poches des fondateurs mêmes. Une
-70-
dame âgée, connaissant bien la tradition se prêta pour enseigner. D'autres compétences furent recrutées afin de donner au Centre l'efficacité nécessaire.
Le but était :
1 ) de recueillir l'ensemble des motifs et d'en éditer un catalogue
2) d'enseigner la technique du tapis ras
3) de sensibiliser les ouvrières sur la richesse de cet art.
Depuis, quelques deux cents jeunes filles ont reçu la formation, mais le nombre des initiées est très supérieur à ce chiffre, car il y a un effet de démultiplication. Les filles enseignées enseignent à leur tour leurs soeurs, cousines, voisines, etc..
Le cycle dure 16 mois. Il est envisagé de créer un diplôme pour garantir la qualité du travail. Les élèves concourent à rassembler les motifs à partir de vieux échantillons.
Une faible cotisation payée par les élèves à laquelle on ajoute le produit des ventes des objets fabriqués, permet d'assurer l'équilibre du budget de fonctionnement sans aide extérieure.
Les élèves sont recrutées dans la fourchette des 14-17 ans et reçoivent en plus du tissage une formation en broderie, couture et culture générale. Elles partent en fin de cycle de 2 ans avec un catalogue qui leur permet de réaliser la plupart des motifs.
Le groupe espère quand d'autres bonnes volontés seront trouvées le faire de même pour les arts traditionnels du bois sculpté, du fer forgé et de la reliure.
V. Conclusion
L'érosion des traditions sociales est une affaire qui concerne, en premier, les personnes à qui appartiennent ces traditions. La responsabilité de chacun est engagée, car dans la mesure où l'on désire les remplacer par autre chose, il convient d'abord de les consigner, d'en faire l'inventaire, afin de les transmettre aux générations à venir.
En effet, il s'agit d'un capital social et chaque génération a le devoir de le transmettre à la suivante afin de faire profiter celle-ci des expériences passées.
D'autre part, dans la mesure où on les perd, qu'on sache au moins ce que l'on a perdu.
Par ailleurs, il est normal d'assimiler ses propres normes avant de prétendre assimiler les autres. D'ailleurs, la comparaison d'une norme connue à une autre inconnue permet d'enrichir sa connaissance.
Comment enrichir sa connaissance lorsqu'on n'a pas d'étalon de comparaison ? Quant au problème de la promotion des Arts Traditionnels, les exemples cités
-71 - permettent d'affirmer :
1) Qu'un art traditionnel ne peut que rarement être assimilé par une mentalité étrangère à cet art, même si elle sait l'apprécier.
2) En matière d'Art Traditionnel, la connaissance est celle qui associe une idée à sa réalisation pratique. Les difficultés de réalisation corrigent et affinent la conception et l'expérience continue dans une technique aboutit à la précision des dimensions et à une formation du goût.
3) Ceux qui vivent les problèmes sont plus aptes à les résoudre.
4) Une loi qui va dans le sens contraire du mouvement social n'a aucune chance d'être appliquée. Comme dans le Petit Prince, il convient de faire lever le soleil à l'heure où le soleil se lève.
5) Chaque fois que l'Etat prend en charge quelque chose, le public s'en décharge.
6) Un produit d'art traditionnel perd en qualité, si les clients qui l'achètent ne sont pas en mesure de le comparer à la norme (cas du tourisme).
7) Un peuple qui néglige son propre savoir ne peut accéder au savoir des autres, etc..
Par ailleurs, outre la création de Centres de Formation, pour promouvoir les Arts Traditionnels, il convient de créer un Musée dans lequel seraient exposés les différents échantillons, dans lequel on pourrait organiser de temps à autre, des expositions de collection privée. Etc.
En créant des commissions d'achat qui visiteraient les antiquaires, on éviterait la fuite d'objets de valeur, etc..
S. TIZEGGAGHINE
Posté Le : 23/08/2017
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : S. Tizeggaghine
Source : Cahiers de la Méditerranée Année 1983 Volume 7 Numéro 1 pp. 59-71