El-Tarèf - Phare Cap Rosa	(Commune de El Kala, Wilaya d'El Tarf)


El Kala : Cap Rosa et son Phare
Recouvert, il n’y a pas si longtemps encore, par de denses forêts de chênes traversées par des cours d’eau où s’abreuvaient jusqu’au plus fort de l’été des centaines de cerfs, il est aujourd’hui, après plusieurs incendies de forêt, hérissé d’un maquis clairsemé qui laisse percer l’ocre des sols sablonneux qui s’enflamment au crépuscule. D’où son nom Rosa. Les pêcheurs et les plongeurs disent qu’il sépare aussi deux univers. Les fonds, infiniment plats à l’ouest, ont un relief tourmenté à l’est. Caressés par les courants qui entraînent des eaux riches en nutriments provenant des lacs côtiers, ils ont façonné un monde sous-marin d’une incomparable beauté où foisonne une vie aquatique qui singularise ces rivages de la mare Nostrum. C’est d’ailleurs entre le cap Rosa et le cap Roux, qui borne le littoral de l’Algérie à l’est, que s’étend la zone marine du parc national d’El Kala théoriquement protégée.

Lumière en faction

Le phare, blanc, qui coiffe le cap sur son mamelon le plus haut, se détache distinctement dans l’azur. Sentinelle discrète et imperturbable, il guide les marins, de jour comme de nuit, depuis plus de cent ans. On arrive au phare par une route tortueuse, refaite récemment, et qui vous mène d’abord à la plage du cap Rosa, élevée elle aussi au statut de réserve naturelle et de zone d’extension touristique sans pour cela freiner les défrichements autorisés, le béton anarchique, l’invasion des plages par les baigneurs et l’aménagement par les pouvoirs publics. Avant la route, les projets sans lendemain, les campeurs bruyants et sales, le maître des lieux après Dieu avait des allures de phare du bout du monde de Jules Verne. C’est ce que nous dit avec émotion Laroussi Larabi dit Mazouz, 80 ans, gardien du phare pendant 45 ans, à la retraite depuis 1988. «Mon père était déjà gardien du phare quand j’ai vu le jour en 1924. Il a été, comme je le suis devenu, un employé saisonnier qui travaillait toute l’année comme auxiliaire des gardiens français fonctionnaires des ponts et chaussées de l’époque. Nous nous tenions à distance pour être respectés, mais il y avait une discrimination flagrante entre les gardiens français et nous. Alors qu’ils logeaient dans les bâtiments, nous vivions dans un gourbi à proximité d’expédients, de petits élevages, de la pêche et de la chasse… du cerf. Nos amis les plus proches étaient à la SAS de Braptia à 8 km. Nous avions un salaire de misère, mais il y avait la baraka», soupire ammi Mazouz en produisant le relevé de sa pension de retraite.


Extinction révolutionnaire

Il fallait une journée entière pour aller à El Kala et revenir par les sentiers à travers la forêt. Il y avait une règle intransgressible : en toute circonstance, le phare devait s’allumer à la fin du jour et briller toute la nuit pour lancer deux éclats vers la terre et deux éclats vers la mer. Pourtant, le 10 février 1956, le feu qui porte à 20 milles nautiques s’éteint. Il est la cible d’une attaque d’un groupe de combattants de l’ALN, commandé par feu Laïssani. Le phare est détruit et l’un des gardiens français du nom de Tortora, présent sur les lieux cette nuit-là, est égorgé. Le lendemain, l’armée française prend possession des lieux que sont contraints de quitter Mazouz et sa famille pour s’installer à El Kala. Le phare restera éteint plus d’un mois, jusqu’au retour du second gardien français placé sous la protection de l’armée française. Le phare est rallumé mais restera fixe. La lanterne fonctionnait avec du pétrole que l’on faisait venir avec le ravitaillement et la relève des gardiens, qui se faisait hebdomadairement, avec des ânes jusqu’à l’affection d’une jeep Willis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle le restera jusqu’en 1968, date à laquelle on installe une nouvelle optique clignotante qui fonctionne au gaz. A partir de 1971, on a installé un mécanisme d’horlogerie qui alternait toutes les 6 heures l’allumage et l’extinction de la lanterne. Avant, il fallait monter le soir pour l’allumer et le matin pour l’éteindre. Le phare est bien resté en panne quelquefois à cause des pénuries de gaz de cette époque alors, nous dit encore Ammi Mazouz, «j’allumais une lampe tempête et même une bougie parce que le phare ne devait pas s’éteindre coûte que coûte». La route ne sera ouverte qu’à la fin des années 1970 et elle ouvrira la voie aux premiers visiteurs et campeurs. L’électricité n’arrivera qu’en 1988 avec l’installation à proximité du phare d’un poste de surveillance de la marine nationale. Aujourd’hui, ils sont cinq gardiens qui se relayent tous les dix jours à l’entretien du phare. Ils occupent les deux logements qui sont en piteux état. En hiver, le cap Rosa, qui est ouvert à tous les vents, fait face à de terribles tempêtes. Les conditions de vie sont insupportables. Les eaux ruissellent jusqu’à l’intérieur des pièces du bâtiment.

Impérial sphinx

Ce sont les restes de ce qui a été un beau bâtiment, comme on les faisait à l’ancienne. Une tour cylindrique de 15 m en maçonnerie de pierres apparente, faisant corps avec un bâtiment rectangulaire qui abrite deux logements. Une cour intérieure au Sud sépare cet ensemble des pièces de service et de rangement. Une clôture ceint le tout à 117 m d’altitude. Les gardiens d’aujourd’hui sont des agents de sécurité payés à 7000 DA. Ils sont complètement démunis et dans l’impossibilité d’entreprendre la moindre réparation. «Heureusement que, grâce à la marine, on a de l’électricité, sinon le phare s’éteindrait faute de pouvoir payer le carburant du groupe électrogène qui d’ailleurs ne fonctionne pas.» Sur la terrasse du bâtiment, il y a des panneaux solaires reliés à une batterie d’accumulateurs installés au rez-de-chaussée. «Cela a été utilisé à une époque puis abandonné aussi, on ne sait pas pourquoi.» Manifestement, le phare du cap Rosa, qui continue de briller coûte que coûte, est mal en point. Nous n’avons pas pu en savoir plus sur la gestion de ces structures malgré des tentatives faites auprès de l’Office national de la signalisation maritime à Skikda. De toute évidence, cet organisme doit subir les effets conjugués des progrès de la navigation maritime qui progressivement se dispense des feux côtiers et des coups de boutoir des réformes économiques qui laminent les services publics de cette nature. Quelques bribes d’information collectées çà et là nous ont appris que le phare du cap Rosa a commencé à être érigé en 1860 et est entré en activité vers la fin du siècle. C’est un édifice original qui a marqué son temps et qui est partie intégrante de notre patrimoine de la mer. Comme le sphinx, il regarde impassible le désert d’eau à ses pieds. Il connaît tous les secrets et les rumeurs que portent les vagues de la Méditerranée. Comme le sphinx, il nous interroge : est-il destiné à une disparition certaine par abandon de famille ou va-t-il renaître et être placé comme c’est son rang au centre de ce pôle touristique dont on parle depuis vingt ans ?


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