El-Oued - Revue de Presse

Manifestations du 11 décembre 1960 : Une armée qui tire sur Des enfants



«J'avais à  l'instar de nombreux adolescents de mon âge et d'autres militants de la cause nationale, participé à  ces manifestations. Ce jour là, il avait plu non pas à  torrents, mais à  petites gouttes. C'était un dimanche, le repos dominical- je m'en rappelle très bien». Dés 9h00, les manifestants convergeaient par petits groupes vers le lieu du rassemblement. Ils venaient des quartiers périphériques : Clos Salembier, Diar Essada, Diar El Mahçoul, Ruisseau, Hussein Dey, Champ de Manœuvres … le mot d'ordre lancé la veille par le FLN : «Tous à  la place de Belcourt, demain matin», est passé comme une lettre à  la poste. Il y avait effervescence dans ce quartier populaire (Belcourt) dès les premières heures de la matinée et où les magasins avaient baissé  rideau. Au même moment, les habitants musulmans  des quartiers de Bab El Oued, La Casbah, Fontaine Fraiche … Sont descendus dans la rue pour marquer leur adhésion à  la lutte menée par le peuple algérien contre le colonialisme français. A 12h00, la rue de Lyon était noire de monde. Dès que les manifestants ils étaient près de cinq mille commençaient à  scander : «Algérie musulmane», «A bas le colonialisme», «Vive le FLN», «Vive l'Algérie indépendante …», les CRS et les gardes mobiles en état d'alerte commençaient à  tirer en l'air afin de  les dissuader et les pousser à  se disperser. Mais sans aucun résultat. Des femmes vêtues de haïk,  des hommes ainsi que des adolescents âgés à  peine de 10 ans, brandissaient des banderoles et des emblèmes aux couleurs nationales. Ils étaient tous groupés à  proximité du Monoprix face à  une armada d'agents de la sécurité. Ces derniers ont été rejoints quelques heures plus tard, par de nombreux renforts de commandos parachutistes et de bataillon d'infanterie. Il y avait également des tanks et des chars dont les canons étaient pointés vers les manifestants. Dans le ciel , deux hélicoptères survolaient à Â  basse altitude toute cette zone de Belcourt jusqu'au Champ de Manœuvres. SALIHA ET FARID TOMBENT EN MARTYRS D'autres manifestants venant du Chemin Fontaine Bleue se regroupèrent dans l'Allée des Mûriers. Parmi eux, se trouvait une jeune adolescente qui scandait «Tahya El Djazair»,«Tahya El Djazair ». Portée sur les épaules d'un jeune homme, elle n'a pas cessé de lancer des mots hostiles aux soldats  des forces colonialistes. A cet instant précis, un soldat d'un certain âge appartenant au régiment des parachutistes «béret rouge» pointa sa mitraillette en direction du groupe de manifestants et tira jusqu'à épuisement du chargeur de son arme. Il y a eu de nombreuses victimes parmi lesquelles une petite fille. Celle qui a reçu, si j'ai bonne mémoire, une balle au thorax, tomba sur le trottoir  et mourut quelques minutes plus tard  dans les bras d'un secouriste qui avait tenté de la sauver mais en vain.  Cette jeune martyre était Saliha Ouatiki. Elle n'avait que 12 ans ! La colère, la stupeur, la tristesse… se lisaient sur tous les visages des manifestants  à  la suite de cet acte criminel. Un autre manifestant a été tué le jour même au Clos Salembier. Il s'agit de Farid Meghraoui  âgé à  peine de 10 ans !Ce n'est qu'aux environs de 13h00 que le cortège des manifestants s'ébranla de la place de Belcourt en direction du Champ de Manœuvres ou plusieurs barrages militaires ont été dressés. Après plusieurs tentatives, la foule  qui s'est scindée en deux groupes, l'un se rendant à  la place du Gouvernement, l'autre vers le Clos Salembier,  a pu briser ces obstacles. Des balcons des  appartements occupés par des familles musulmanes, fusaient des youyous et des slogans hostiles aux forces de l'occupation française. LES PIEDS NOIRS TIRENT SUR LA FOULE En empruntant la rue Sadi-Carnot, un groupe de manifestants s'est heurté au niveau du Foyer des cheminots aux CRS et aux gardes mobiles. Utilisant les grenades lacrymogènes et tout un arsenal d'armements lourds, les paras , les gardes mobiles et les CRS ont tout fait pour bloquer le passage des manifestants. Mais il était quasi-impossible de stopper un tel déferlement… A proximité du carrefour du Maurétania, des Pieds-noirs habitant juste en face de l'agence Air France, tiraient des coups de feu en direction des manifestants. C'est à  cet endroit précis qu'il y a eu le plus grand nombre de victimes. Les agresseurs étaient approvisionnés en armes à  partir du Commissariat central situé dans ce même quartier. En fin d'après-midi , plus exactement à  18h00 , les organisateurs de la marche ordonnèrent aux manifestants de se disperser car les forces de l'oppression française étaient décidées à  perpétrer un véritable carnage. Cela ne  veut pas dire pour autant que ces manifestations fussent arrêtées-là. Loin s'en faut , puisqu'elles se sont poursuivies durant toute la soirée de cette journée historique dans d'autres quartiers de la ville principalement au Clos Salembier, Diar El Mahçoul, Diar Essaada, La Casbah, Bab El Oued et Fontaine Fraiche.  Des manifestations similaires ont eu lieu également dans d'autres villes du pays comme entre autres Annaba, Constantine, Sétif, Blida, Médéa, Oran, Saida ... Deux jours auparavant, ce fut à  Ain Témouchent, Tlemcen, Sidi Bel Abbès, Mascara, Mostaganem… le bilan global des victimes au cours de ces manifestations populaires  serait de 380 morts et 800 blessés. En tout état de cause, le soir de cette journée mémorable du 11 décembre 1960, les autorités françaises étaient dans l'embarras. Elles pensaient que la population musulmane d'Algérie n'était pas concernée par la lutte menée par le Front de Libération National. Ce jour-là, le peuple algérien a démontré le contraire de ce que pensait la puissance coloniale et qu'il était déterminé à  poursuivre la lutte jusqu'à la victoire finale. LE DÉBUT DE LA FIN Le début de la fin de la colonisation qui a duré plus d'un siècle, avait bel et bien commencé. C'était en sorte un second Diên Biên Phu. Une page vient d'être tournée. Il y a eu des sacrifices et comme l'a si bien dit le général Giap «ce qui a été pris par la force, ne sera repris que par la force. Malheureusement, le colonialisme n'a jamais été un bon élève car il n'a pas voulu apprendre les leçons données par les peuples en lutte que ce soit en Afrique ou en Asie». Les  manifestations du 11 décembre 1960 ont eu des répercussions en faveur du combat libérateur du peuple algérien. En effet, aux Nations unies, l'Assemblée générale réunie le 20 décembre de la même année, adopta à  la majorité moins les voix du représentant de la France et de ses alliés,  la résolution présentée par le groupe afro-asiatique dans laquelle il est souligné que cette institution (l'ONU) «reconnaît le droit du peuple algérien à  l'indépendance avec les garanties nécessaires sur la base de l'unité du peuple et de l'intégrité territoriale». Face à  ce cuisant échec de la diplomatie française à  l'ONU, le chef de l'Etat français, le général De Gaulle chargea son représentant personnel Georges Pompidou d'entamer des contacts avec une délégation du FLN. La rencontre eut lieu à  Lucerne en territoire Suisse le 20 février 1961. Ce sont Ahmed Boumendjel et Tayeb Boulahrouf qui ont été désignés par Ferhat Abbas, président du GPRA , pour prendre part à  ces pourparlers.  Ils ont été suivis par les négociations d'Evian  qui ont abouti sur des accords de cessez-le-feu le 18 mars 1962.


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