Sidi Ali avait eu deux ï¬ls, disons-nous plus haut, de sa femme Tounis. L’aîné, l’héritier de la baraka, Sidi Mouça-ben-Sidi-Ali, au lieu de posséder les pieuses et douces vertus de son père, eut, au contraire, toutes les effrayantes aptitudes des héros. Ainsi, dès que le Saint auteur de ses
jours fut mort, il voulut, à l’exemple du Prophète, avoir neuf sabres, et chacun de ces instruments de mort était d’une forme différente, l’un d’eux surtout, qu’il appelait El-Kouchouh, le coupeur, du nom de l’un des sept sabres offerts au roi Salomon par la reine Balkis, était l’effroi de ses ennemis. Quand, à la tête de deux cents paires de rênes(1), et les blanches de lame(2) hors du fourreau, Sidi Mouça faisait décrire à El-Kouchouh son horrible courbe dans l’air, il semblait à ses adversaires que c’était l’éclair déchirant la nue, et ils n’attendaient jamais, à moins d’y être contraints, que le terrible coupeur s’abattit sur eux : l’éclair était le signal de leur fuite. On aurait dit qu’ils s’entendaient entre eux, tant ils mettaient alors d’unanimité et d’ensemble dans leur mouvement de retraite.
Si l’on en croit les Abaziz, les exploits de leur ancêtre Mouça-ben-Ali laisseraient bien loin derrière eux ceux d’Antar-ben-Cheddad-El-Absi, ce héros qui fut poète, et l’auteur d’une des sept moâllakat(3) suspendues à la voûte de la Kâba. « Sidi Mouça, nous disait un vieil Abzouzi, était moula draâ (homme d’action), moula thâam (hospitalier), moula baroud
(homme de poudre), et, s’il n’a point pourfendu autant d’ennemis qu’Antar, c’est qu’ils ne l’attendaient jamais. »
Il est évident qu’il est difï¬ cile de tailler en pièces des ennemis qui ne vous attendent pas. Quant au second ï¬ ls de Sidi Ali-ben-Mahammed, la tradition n’en dit rien, ce qui tendrait à prouver que ce n’était pas un guerrier. Elle se tait également sur Choâïb, sur Bou-Yahya, sur Yahya, et sur Otsman, ces descendants du fondateur de Charef : ils vécurent de leur saint ancêtre sans faire parler d’eux, tranquillement, paisiblement, se contentant de recevoir les offrandes de ziara (visite) de leurs serviteurs religieux, et travaillant en même temps à se faire une situation avantageuse dans l’autre monde, opération qui, chez les musulmans, n’a du reste rien de bien pénible, et qui n’exige ni privations, ni mortiï¬cations, ni macérations, ni flagellations : rien autre chose, en un mot, que la foi.
C’est à désirer vraiment d’être un Croyant, quand on voit avec quelle facilité, on peut gagner son entrée clans le séjour des bienheureux, séjour d’autant plus désirable qu’on sait au moins ce qu’on y trouve.
Tous ces descendants de Sidi Ali furent enterrés à Aïn-El-Gueththaïa, entre Charef et Znina. Il y avait là autrefois un Petit ksar dont on voit encore les restes.
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1. Deux cents cavaliers.
2. Les épées.
3. El-Moâllakat, les Suspendues. On désignait ainsi les sept
lieuses des plus célèbres, composés avant Mahomet, parce qu’ils
étaient suspendus à la voûte de la Kâba pour être conservés à la
postérité.
Posté Le : 23/11/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : LE COLONEL C. TRUMELET, L'Algérie Légendaire, Éditeur : ALGER, Librairie Adolphe Jourdan, 1892.
Source : www.algerie-ancienne.com