Constantine - A la une


S'adapter ou mourir
L'homme vient de Messaad, une localité située à une soixantaine de kilomètres au sud de Djelfa. Cette contrée, réputée pour son froid rigoureux, est au burnous ce qu'est Tipaza à la poterie ou Aflou au tapis. Le vêtement, signe de distinction sociale et de pouvoir, y est toujours fabriqué dans de nombreux foyers. Engoncé dans le sien de couleur marron foncé, celui qui travaille chez lui en famille, refusant les prêts bancaires, est venu à Constantine pour prendre part à une exposition aux côtés d'autres artisans venus d'Adrar, Oran ou de Bouira. Dans le cadre de « Constantine, capitale de la culture arabe 2015 », ces manifestations mettant à l'honneur l'artisanat se sont succédé. « Ce n'est pas mon premier déplacement et je me suis déjà fait des amis dans toutes les wilayas », dit-il. Il a déjà presque fait le tour du pays et ses produits ont rencontré, à l'en croire, un succès en Pologne et au Portugal. Il a suivi une formation mais il a tout laissé tomber pour ce qui est à la fois la perpétuation d'une tradition familiale et une source de revenus. Les burnous de qualité se négocient à plus de 15 millions de centimes et les commandes de nationaux ou de délégations étrangères ne manquent pas.Inexorable déclin 'L'artisanat n'est sans doute plus ce qu'il était. Un dinandier de Constantine explique et avoue que « le métier est difficile et mes enfants refusent de suivre son chemin. » Partout, on tourne le dos à des métiers qui ont traversé les siècles. Ainsi, les jeunes femmes de Kabylie n'ont presque plus rien à voir avec les potières ou les tisserandes dont parlait Mouloud Feraoun dans « Le fils du pauvre ». Les produits d'importation, plus faciles à manier et moins chers, ont aggravé ce processus de fragilisation et de dédain. Il ne faut pas pour autant croire que les artisans sont en voie de disparition. Certains métiers liés à la consommation immédiate, comme les plats traditionnels, renaissent un peu partout. Certes, l'évolution et les changements au sein des familles algériennes ont conduit à la disparition progressive de nombreuses traditions dont les produits artisanaux sont l'expression et le soubassement. Le robinet a fait perdre à la jarre sa valeur d'usage, avant de rendre quasi-inutile sa fabrication. Selon un haut responsable de la chambre d'artisanat et des métiers, « il n'existe désormais aucun dinandier à Tlemcen », qui était, il y a encore quelques décennies, une place forte de cet art traditionnel. Cet inexorable déclin paraît stoppé par les mesures prises depuis quelques années par les pouvoirs publics. La production brute de produits artisanaux, qui était de 63 milliards de dinars en 2008, est passée à 218 milliards de dinars six années plus tard. La création d'un fonds de soutien aux artisans a permis d'octroyer une aide de l'ordre de 791 millions de dinars à 2.441 artisans durant les années 2013 et 2014. La relance du tourisme ne peut se concevoir sans ces produits qui font et soulignent l'originalité d'un pays et d'une société. Les deux secteurs vont de pair.Dans l'air du tempsUne autre évolution se fait sentir. L'artisan fabriquant des bijoux, des selles ou des kachabias ne se contente pas de reproduire méticuleusement les gestes de ses aïeux. C'est le cas de l'artisan de Messaad qui a adapté ses produits. « Il ne s'agit pas seulement d'utiliser du tissu à la place de la peau de chameau qui rend les prix plus accessibles », confie-t-il. « En mettant sur le marché des capuches dans l'une ou l'autre des matières, je m'adapte aussi aux goûts des jeunes », ajoute-t-il. Il se réjouit du succès de ses capuches en peau de chameau auprès de la gente féminine. Elles coûtent environ 30.000 DA et sont à la fois pratiques et esthétiques. C'est un peu la même démarche qui semble inspirer Azzedine Ghid venu de la ville frontalière d'El Kala. Il a travaillé longtemps dans l'unité de fabrication des pipes, fermée depuis quelques années. Depuis, il s'est reconverti en offrant une gamme plus variée de produits à qui il donne des formes inédites. « Le marché et les goûts évoluent », rappelle-t-il, citant l'exemple de la chicha venue des pays d'Orient et inconnue chez nous. « Certains achètent mes produits qu'ils adaptent pour cet usage », note-t-il. Le processus d'adaptation de la robe berbère s'inscrit dans cette logique. « Pour des raisons de commodité et de prix, il faut miniaturiser les produits comme les selles ou les tapis, qui ne peuvent plus avoir le même usage », soutient Sahi, directeur général de la Chambre d'artisanat et des métiers. Les besoins qui ont inspiré les pièces d'artisanat traditionnel ont changé. De nouvelles attentes ont surgi, comme celles auxquelles répond la technique du verre trempé. On y associe en la matière des designers pour garantir l'utilité et l'esthétique. Le renouveau de l'artisanat, que les autorités confortent avec des cycles de formation, est à ce prix. Il doit en effet garantir l'un sans sacrifier l'autre.




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