Constantine - Kelian Hussein Bey Bou Kemia

Kelian Hussein Bey Bou Kemia (1713 - 1736)



Kelian Hussein Bey Bou Kemia (1713 - 1736)

Il hérita d'une situation des plus désastreuses dans le beylik. Les troubles qui avaient agité la province, pendant ces dernières années, devaient avoir une réaction favorable au maintien de la paix et à la prospérité du pays, sous un chef assez fort pour imposer son autorité, et assez habile pour faire tourner au profit de sa politique l'état de fatigue où se trouvaient plongés les esprits.

Le premier soin de Bou Kemia Bey fut de pacifier le pays et de rétablir la confiance et l'autorité chancelante du bey. Il ne chercha pas à déclarer la guerre à tous ces féodaux puissants et libres de leurs mouvements dans leurs fiefs, il oeuvra en coulisse dans le but de créer à l'intérieur de chaque tribu ou confédération des zizanies entre les principales personnalités du groupe. Ces manoeuvres n'aboutissaient pas souvent, mais quand elles réussissaient, elles provoquaient des guerres fratricides qui s'éteignaient grâce à l'arbitrage turc sans aucune intervention militaire.

Grâce à ses manoeuvres Bou Kemia Bey réussit à s'assurer de l'alliance des zaouïas et confréries religieuses auxquelles il consentit de nombreux privilèges tels que l'exonération d'impôts et l'exploitation de domaines beylicaux, en contreparties desquels il avait la garantie de la livraison de l'impôt en nature ou en espèce, et l'assurance du maintien de l'ordre et de la paix dans toute la région.

Ses hommes, tous Turcs, composant les principales personnalités du makhzen, surent s'adapter à cette politique de conciliation et d'intrigues, pour n'engager la milice dans une guerre intérieure que dans des circonstances particulières et difficiles. Les impôts, recueillis par le bey lui même et sans heurts (1) chaque année au cours de tournées dans les principales régions, permirent de faire face aux dépenses quotidiennes de l'administration générale, au paiement de la solde de la milice et au versement du "denouche» dans des conditions les plus honorables

Ceci démontre le respect des privilèges détenus par certaines régions auxquels les beys s'attaquèrent mais en vain. Bou kemia laissa donc les choses telles qu'elles étaient.

Quand les circonstances l'exigeaient, Bou Kemia Bey faisait intervenir ses troupes, Ainsi en 1724, il fut contraint d'attaquer les Hanencha commandés par Bou Aziz Ben Nacer (2) auxquels il enleva huit mille chameaux, des boeufs et des tentes. Plusieurs fois battus les Hanencha étaient sur le point de se soumettre et de livrer leur chef quand la fille de Bou Aziz Ben Nacer, nommée Euldjia (3) prit le commandement des goums, battit les Turcs, en fit beaucoup de prisonniers dont le Khalifa et récupéra la plus grosse partie du butin.

Certains hommes de cette région prétendent que les femmes s'étaient revêtues de burnous et s'étaient cachées une partie de la figure pour n'être point reconnues, La coutume que les hommes ont gardé en se voilant le bas de la figure du pan du turban, lors des fantasia, rappellerait cet acte d'héroïsme de la part des femmes de leur tribu.

Bou Kemia Bey reprit l'expédition l'année suivante (juin 1725). Il envahit les régions de Ain Taga, Oum El Asnam et Médracen où il fit brûler les récoltes, incendier les mechtas, acculant les populations à se réfugier dans les montagnes les plus inaccessibles. Il poursuivit sa marche dans les Aurès semant partout la désolation et la mort, refusant toute soumission avant d'avoir atteint Bou Aziz Ben Nacer auquel s'était joint Si Sedira chef des Ouled Belkacem. Ce dernier, battu au cours d'un accrochage à la suite d'une trahison de l'un des siens, fut arrêté et tué sur le champ. Le bey s'étant emparé de sa "smala" épousa l'une de ses filles. Par contre le fils Sedira demeura allié à Bou Aziz, il ne se soumit que beaucoup plus tard.

Quant à Bou Aziz, il se retira vers le Sud ne laissant nulle trace de sa présence à l'ennemi. La colonne turque séjourna jusqu'au 4 juillet autour de Lambèse où elle prit possession de nombreux troupeaux et soumit les Chaouias à une lourde contribution. Après quoi elle reprit le chemin de Qacentina (4).

Le fait le plus saillant dans le gouvernement de Kelian Hassan Bou Kemia Bey fut sa participation à une nouvelle expédition contre Tunis par le dey Ibrahim en 1735. Le prétexte de cette expédition fut le refus opposé par Hossein Bey de Tunis au versement du tribut annuel de dix mille sequins destiné à payer le maintien en détention à Alger de son rival Ali Pacha. En dépit des interventions de la Porte, pour un règlement à l'amiable de ce litige, l'armée algérienne pénétra en Tunisie, et battit l'armée tunisienne à Semendja, à une quarantaine de kilomètres de Tunis.

Pendant que Hosseïn Bey se retranchait à Zaghouan, Ali Pacha qui avait accompagné l'armée algérienne s'établissait à Tunis, le 7 septembre 1735 en se déclarant vassal du dey d'Alger auquel il souscrivait une redevance annuelle de cinquante mille écus et la fourniture d'une quantité de blé nécessaire à l'entretien de la milice.

« L'armée algérienne resta dix jours encore campée sous les murs de la ville, dont une partie fut pillée par ses bandes de soldats indisciplinés. Elle leva ensuite le camp et reprit la route de la frontière de l'Ouest, traînant à, sa suite trente cinq mules chargées d'argent, montant de la contribution de guerre qu'Ali Pacha acquitta entre les mains d'Ibrahim Khasnadji, indépendamment du tribut de cinquante mille piastres que la Régence s'engageait à acquitter annuellement au gouvernement d'Alger » (5).

Après le départ des troupes algériennes, Hossein Bey et son neveu Younes, ayant repris la lutte et menaçant sérieusement Ali Bey, celui ci fit appel à l'aide du bey de Qacentina. Kelian Hussein Bey y consentit moyennant le versement d'une indemnité payable en trois termes correspondant à chaque étape devant le conduire à Kairouan occupée par Hossein bey. A la deuxième étape fixée au Kef, le paiement de la deuxième tranche n'ayant pas été effectué, Bou Kemia rebroussa chemin et rentra à Qacentina.

Au printemps de l'année 1736, il alla lui même à Alger verser le denouche. Il fut reçu en grande pompe et confirmé dans ses fonctions. Après huit jours passés en fêtes et en honneurs, il rentra à Qacentina où il mourut peu de temps après, après 23 ans de règne.

Notes

(1) Berbrugger rapporte dans Les époques militaires en Grande Kabylie - pp. 120 121, que le médecin Peyssonnel écrivait en février 1725 : « Ces troupes (la milice turque) si redoutable dans tout le royaume, sont obligés de baisser leurs étendards et leurs armes, en passant par un détroit fâcheux, appelé la Porte de Fer, entre des montagnes escarpées. La nation dite Beni Abbas qui habite ces montagnes les force à cette soumission ».
(2) Bou Aziz Ben Nacer Ben Ali Bou Okkaz descend de Yacoub Ben Ali Ben Ahmed de la fraction des Ouled Mohamed Ben Messaoud Riahi, fraction des Banou Hilal.

(3) Peyssonnel écrit (relation de son voyage dans la Province de l'Est ; Voyages dans les régences de Tunis et d'Alger ». publiés par Dureau de la Malle en 1838, pp. 299 et suivantes.
« Le sultan, Boisis (Bou Aziz) fut attaqué et défait par Assem (Hassan Bou Kemia) bey de Constantine (1724), qui lui enleva plus de 8.000 chameaux, les boeufs et même les tentes. Le bey, non content de cette capture, voulait le prendre ; Mais il trouva des esprits faibles à qui l'avantage que les Turcs venaient de remporter avait ôté le courage, et qui lui dirent nettement qu'ils avaient résolu de se soumettre. Ce pauvre prince (Bou Aziz) était au désespoir et se voyait perdu, lorsque sa fille, appelée Elgie Bent Boisis Ben Nacer (Euldjia Bent Bou Aziz Ben Nacer) se fit apporter ses vêtements les plus beaux et s'étant vêtue, monta à cheval, appela les femmes et les filles, ses parentes ou ses amies, qui montèrent aussi à cheval. Elle harangua les femmes en leur disant : « Puisque ces hommes n'ont pas le courage d'aller contre les Turcs, qui viendront bientôt nous violer à leurs yeux, allons nous mêmes vendre chèrement notre vie et notre honneur et ne restons plus avec ces lâches ». Puis découvrant sa gorge et la montrant aux hommes, elle leur cria « Enfants de Nazer (Nacer) ! Qui voudra sucer de ce lait n'a qu'à me suivre » ! Les hommes, piqués de l'héroïsme de cette fille, donnèrent sur les Turcs avec tant de violence qu'ils défirent le camp, remportèrent une partie du butin qui leur avait été enlevé, firent prisonnier le khalife et dépouillèrent tous les Turcs.
(4)Le bey avait avec lui, écrit Peyssonnel 25 pavillons (600 Turcs environ). Il avait dispersé le reste de ses troupes que le diwan lui avait envoyées : 10 pavillons (1.200 hommes) avec le chef étaient du côte de Storax (Stora) et de Gigeur (Jijel), vers le pays des Kabayles et un autre de ses officiers commandait dix autres pavillons (1.200 hommes) du côte des Henencha... Le 15 juin (1725) la colonne expéditionnaire arriva à Taca (Aïn Taga) ; le 16 à Amoula Senab (Oum Asnam) ; le 17 à Métacasem (Médracen) en ne faisant que quatre lieues de marche par journée ; le 18 elle campa auprès du ruisseau appelé Ouelt Serga (Oued Serka). Le bey avançait dans la montagne d'Aurès, pour poursuivre le sultan Boisis (Bou Aziz). Ce sultan s’était joint au beau frère du bey (il le devint après) qui commande dans ces montagnes. Dés que nous fûmes arrivés dans la plaine que la nation du beau frère avait semée, le bey fit lâcher tous les chevaux et les chameaux dans le blé, et le soir il y fit mettre le feu. Ainsi nous achevions de détruire tes moissons du pays.

Dans des endroits, la sécheresse avait empêché le grain de germer ; dans d'autres et dans presque tout le royaume (la région), les sauterelles avaient presque tout dévoré, et nous gâtions le peu qui restait. Les Maures, de leur côte, mettaient aussi le feu aux endroits par où nous devions passer...

« Le 22 nous entrâmes dans les montagnes d'Aurès. Elles sont habitées par des peuples braves (les Chaouias). Dans ces montagnes, ils craignent peu les Turcs...

Les Ouled Belkacem étaient commandés par Sistera (Si Sedira), un des plus braves hommes qui aient paru dans ces quartiers. Il fut trahi et tué par les ordres du bey, qui épousa sa fille quelque temps après.

Le 24, Boisis et le beau frère du bey (le fils de Si Sedira) envoyèrent deux courriers avec des lettres pour ménager un accommodement, mais le bey, qui ne veut plus rien entendre depuis l'année passée que son khalife fut défait par les hommes de Boisis commandés par sa fille Elgie (Euldjia), fit couper la tête à ces deux envoyés sans autre forme de procès... ».

Il n'y eut plus d’engagements entre les deux antagonistes. Le bey rebroussa chemin de Lambèse, en Juillet.

(5) Vayssettes. Ouvrage cité, p. 157, (selon le chroniqueur tunisien Salah Ben Abdelaziz).






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