Originaire de Roumélie, donc slave d'origine, servit durant une grande partie de sa carrière militaire à El Koll, où il devint agha nouba en fin de carrière (ce fut pour cette raison qu'on le surnomma El Kolli). Lorsqu'il était encore un jeune gradé et qu'il faisait souvent la liaison entre Qacentina et El Koll, il marquait toujours une halte à Redjas, près de Mila pour faire reposer son escorte, se restaurer et donner quelques soins à ses montures. Il aimait descendre chez Ou Gana (Ben Gana) le maréchal ferrant avec qui il se plaisait à prendre le thé pendant qu'on vérifiait les fers de ses chevaux. Peu à peu une solide amitié les unit, et, en dépit de son élévation dans la hiérarchie militaire, Ahmed Ben Ali El Kolli continua à lui faire de fréquentes visites. Ben Gana (1) à son tour lui conserva toute sa confiance et l'invita très souvent chez lui à prendre les repas au milieu des siens. Devenu intime dans la maison, il épousa l'une de ses filles, et oeuvra pour que ses belles soeurs épousent des personnalités importantes de la province. Ce fut ainsi que, grâce à lui, l’une épousa un officier turc devenu plus tard khaznadji à Alger, et l'autre M'Barka épousa Ferhat neveu de cheikh el Arab Ali Bou Okkaz (2). N'ayant pas eu d'enfants de la fille Gana, il épousa en seconde noce une fille Mokrani. Mais il conserva une vive affection à sa première femme et aux siens qu'il combla de biens et d'honneur. Grâce à lui, ils acquirent de riches propriétés aux environs de Redjas, et ceux émigrés dans la vallée de Zeramna constituèrent une colonie sous le nom de Ganadia. Il s'occupa aussi du jeune Gana qui accompagna sa soeur M'Barka dans le Sud chez les Bou Okkaz. Le bey exploita tous les éléments susceptibles de favoriser la division des Bou Okkaz pour créer un clan favorable à Ben Gana. Il poussa les partisans de Oum Hanni (3), c'est à dire les Ahl Ben Ali à réfuter l'autorité de cheikh el Arab Ali Bou Okkaz et à demander à entrer sous l'autorité d'un autre chef. Mais Ali Bou Okkaz y réagit violemment en liquidant les principaux opposants et en prenant les armes contre le bey. Celui ci, pour apaiser sa colère lui fit des concessions en bien des points sans toutefois abandonner ses visées premières. Dès que le gros des troupes des janissaires quitta la ville, Hadj Ben Gana en sortit avec sa smala pour se faire connaître des tribus voisines, Ali Bou Okkaz le fit attaquer à Sidi Khaled ; battu et sa famille capturée, Ben Gana se réfugia chez les Ouled Zeyan d'où il regagna Qacentina. Ahmed Bey El Kolli négocia un arrangement avec Ali Bou Okkaz qui accepta de restituer les captifs, mais refusa de céder la moindre parcelle de ses territoires. El Hadj Ben Gana vécut alors à Qacentina tout en conservant son titre. En 1767, une insurrection s'étendant sur toute la Basse Kabylie, obligea Mohamed Ben Osman Pacha à mettre en campagne toutes ses forces y compris celles du Titteri et celles de l'Est. Ahmed Bey El Kolli vit tomber à ses côtés ses meilleurs amis : l'agha oughlis, El Hadj Ben Gana, Ferhat Ben Ali de Bélezma, Belkacem Ben Merah, etc... L'armée connut plusieurs défaites et subit de grosses pertes en hommes et en matériel ; plus de 300 hommes en cette dernière expédition, et plus de 1.200 l'année suivante (1748).Ces échecs successifs provoquèrent à Alger un mécontentement général dans la milice. Les officiers janissaires, accusèrent le pacha d'incapacité, poussèrent les Yuldachs à la révolte. Une guerre civile éclata entre les partisans de Osman Pacha soutenu par sa garde zouaoua, et les autres. Au bout de quelques jours, sur intervention de certains dignitaires du diwan, les combats cessèrent et le calme fut rétabli. Au retour de sa première expédition, Ahmed Bey El Kolli fit opérer une razzia chez les Chafia révoltés. Ses troupes y ramenèrent un butin énorme en troupeaux et en vivres. Peu après, il s'attaqua aux Ouled Sultan auxquels il fit subir de lourdes pertes, mais où il y perdit aussi beaucoup d'hommes et connut les pires difficultés pour se dégager de leurs montagnes difficilement accessibles. En 1789, le pacha, renouvelant son expédition contre les Flissa et montagnards de la Kabylie, fit appel aux beys du Titteri et de l'Est. Ahmed Bey El Kolli prit lui même la tête de ses troupes. La campagne fut dure et meurtrière, mais les insurgés furent refoulés et déciminés dans leurs montagnes. Ahmed Bey El Kolli entreprit plusieurs travaux d'embellissement dans sa capitale et tenta de parfaire les rouages de son administration. Il fit bâtir une caserne pour les janissaires à Rahbet El Djemal (4), quelques édifices publics où il installa les services de son administration des finances et des contributions (5) ; il fit procéder à l'assainissement des marais du Hamma où on planta des arbres fruitiers ; il déplaça les gens de la zmala et leur assigna pour nouveau campement Akbet El Djemala avec, en apanage, toutes les terres s'étendant de Medelsou à Bou Merzoug ; Il entama la construction du bordj el fesguia. Les dernières années du gouvernement d'Ahmed Bey El Kolli se passèrent ainsi en embellissement et en réformes administratives sans que la paix fût un instant, troublée. L'abondance régnait partout et les populations ne cherchèrent pas à se soulever ni contre leurs chefs traditionnels, ni contre la présence des garnisons turques implantées dans leur région. Ahmed Bey El Kolli mourut de maladie dans le courant de l'année 1185 de l'hégire soit en 1771 de J.C., après un règne de quinze ans. Il fut remplacé par Salah Ben Mostefa. Notes (1) Au sujet de ce Ben Gana, voici ce que racontent les gens de la Kabylie et les anciens de Mila : « Au commencement du XVIII siècle vivait dans les montagnes du Djurdjura, au village de Koukou, une femme du nom de Gana, jouissant d'une réputation de beauté merveilleuse. Elle était veuve, et les nombreux prétendants à sa main finirent par se disputer et tellement ensanglanter le pays de leurs querelles, que la Djemaâ, prononça l'expulsion de Gana et des siens. La chronique des Aït-ou Gana s'est conservée dans la tradition locale des montagnes kabyles. Gana avait un fils du nom de Yahia. Elle émigra donc avec sa famille et alla chercher un refuge chez les Flissat Oum El Lil. Un homme des Flissa, nommé Abdelaziz, de la fraction des Beni Amran, possesseur de vastes étendues de terrain, aurait épousé, dit-on, la dame Gana, et cédé une partie de ses terres à Yahia, son fils, pour son établissement, et celui ci se fixa définitivement dans la tribu. On montre encore, au dessus du village de Tiguenatin, la tombe de ce Yahia Ou Gana, qui fut l'ancêtre de la famille des Ouled Ben Zammoum, laquelle vit encore dans cette partie de la Kabylie. Les autres frères ou fils de Gana se dispersèrent ; l'un d'eux alla faire souche dans les plaines du côté d'El Asnam. D'autres s'établirent dans la vallée du Sébaou, d'autres enfin, dans la vallée de la Soummam au sein de la tribu des Fenayen qui finirent par y créer une petite bourgade qui s’appelle toujours Aït Gana : les membres de carte famille porte jusqu'à ce jour le nom patronymique de Gana ou de Ben Gana. L'un des membres de cette famille prénommé Mahmoud, exerçant le métier de maréchal ferrant ou forgeron (les Ait Gana étaient forgerons et le sont encore de nos jours dans leur village d'Ifenayen), alla S'établir à Redjas non loin de Mila. Il s'y maria et s’y fixa et eut une nombreuse famille. Mahmoud eut un fils prénommé Slimane, lequel à son tour eut un fils, Gana qui perpétua la tradition de ses ancêtres en exerçant le métier de forgeron. Un Turc du nom de Ahmed, janissaire de la petite garnison de El Koll, faisant fréquemment le voyage de El Koll à Qacentina pour les besoins de son service marquait souvent une halte à Redjas. Il se plut beaucoup en la compagnie de Gana, et, celui ci n'hésitait pas à l'introduire chez lui et à l’inviter au milieu des siens avec qui il partageait les repas. Ses relations devenues intimes dans la maison de l’artisan, il épousa une de ses filles. Il devint Agha de El Koll à la fin de sa carrière, d'où lui vient d'ailleurs le surnom de El Kolli... Source : Revue Africaine N 155. Notes Historiques sur la province de Constantine, pp. 380 et suivantes. (2) « C'est vers la fin de l'année 1756 (Octobre) que Ahmed Bey El Kolli arrive au pouvoir. De sa femme, fille de Gana, Il n'avait pas eu d'enfant Il se marie alors avec une fille Mokrani, seigneur de la Médjana, sans avoir à répudier la première à laquelle il conserva l'affection et toutes les marques de sollicitudes. » « Sa belle soeur, M'Barka Bent Ben Gana suivit son mari dans le Sud. Elle avait un jeune frère du nom de Gana, qui l'accompagna et alla souvent la visiter ensuite, passant même des saisons entières auprès d’elle. Nous avons déjà dit que l'exercice des Arabes nomades, qui, comparables à la marée, ont tous les ans un flux et reflux du Sud au Nord, avait plu au jeune Gana et l'attachait à ces régions ». « Voici maintenant les circonstances qui firent éclore ses visées ambitieuses et lui attirèrent des partisans : ce ne sont point des histoires comme en racontent à leur aise les Ben Gana, mais l'histoire exacte de leur arrivée dans la Sahara. Les tribus nomades étaient divisées en deux partis distincts, depuis les événements auxquels Oum Hanni avait donné naissance. » «Les anciens partisans de l’héroïne, tels que les Ahl Ben Ali, Ramra, obligés de plier devant la force, reconnaissaient l'autorité suprême du cheikh al Arab Ali Bou Okkaz, mais ne l'aimaient pas et n'attendaient qu'une occasion, et un homme énergique qui se mit à leur tète pour se déclarer ouvertement hostiles. Ali Bou Okkaz, de son côté, nourrissait une haine profonde contre les AhI Ben Ali et consorts, qui subissant jadis l'influence de Oum Hanni, avaient assassiné son grand-père, son grand oncle et plusieurs membres de sa famille. Sous un prétexte quelconque, il réunit leurs principaux cavaliers à une assemblée, et là, les fit massacrer jusqu'au dernier … «Ahmed Bey El Kolli adressa des remontrances à Ali Bou Okkaz qui n'en fit pas cas… » « Ben Gana partit à La Mecque avec les Ahl Ben Ali. Au retour des Lieux Saints ceux-ci se présentèrent en grand nombre devant le bey et lui demandèrent El Hadj Ben Gana pour chef». « La Combinaison du bey avait pleinement réussie mais fallait il encore la mettre en pratique. El Hadj Ben Gana n'aurait pu se présenter dans le Sahara malgré le dévouement de ses quelques partisans, il fallut renforcer les garnisons turques de Biskra pour le protéger, et c'est sous le canon de cette citadelle qu'il devait se tenir, ne dépassant guère l'oasis de Sidi Okba. Le véritable cheikh El Arab Bou Okkaz restait maître de tout le plat du Sud.... » R.A. Notes Historiques sur la province de Constantine pp 383,384, 385, N° 155. (3) De père turc, Oum Hanni, comme ses descendants, demeura continuellement du clan turc qu’elle soutint chaque fois qu'il en était nécessaire. Lorsque les Ahl Ben Ali, les Chorfa et les Ghamra se présentèrent à lui pour lui réclamer un chef à la tête de leur communauté, il leur proposa Hadj Ben Gana, comme convenu avec ce clan. Une guerre entre les deux clans éclata. Les Ahl Ben Ali, battus, remontèrent vers le Nord et s'établirent autour de Qacentina sous la protection des Turcs. Le bey fit alors escorter Hadj Ben Gana jusqu'à Biskra où il fut installé dans ses fonctions de cheikh el Arab. (4) La caserne se trouvait à l'emplacement actuel du théâtre et du marché. (5) Bâtiment actuel du Trésor
Posté Le : 06/06/2009
Posté par : nassima-v
Ecrit par : M. Chetti
Source : beystory.free.fr