Les anciens de l’ex-Rocher Noir se rappellent aussi avec nostalgie de l’orchestre symphonique russe «Arc-en-ciel» et des baignades hivernales des Russes
Il y a presque soixante ans, la population de Boumerdès était constituée à 70% de ressortissants des pays de l’ex-Union soviétique.
Les Russes, les Ukrainiens, les Azerbaïdjanais, les Ouzbeks, les Kazakhstanais et autres ont marqué de leurs empreintes l’histoire de la ville.
Dans les années 1970, ils avaient même leur propre école ici. Ils étaient au moins 500 familles, dont une quarantaine de couples mixtes. On y vivait en parfaite harmonie», témoigne Karim Longou, architecte de profession, précisant que tous ses anciens voisins au Boulevard de l’Indépendance étaient des Russes.
Même si la quasi-totalité sont retournés dans leur mère-patrie, beaucoup sont restés très attachés à Boumerdès. Qui ne connaît pas Osmanov ou encore Nabiev, des enseignants qui avaient formé des générations d’étudiants. Les anciens de l’ex-Rocher Noir se rappellent aussi avec nostalgie l’orchestre symphonique russe «Arc-en-ciel», les courses à vélo, les baignades hivernales ou encore des matchs de foot-ball de nos hôtes.
Il y a quelques jours, c’est l’association Héritage d’Algérie qui s’est penchée sur cette période faste de la ville en organisant «un café culturel» à l’intérieur de la mythique salle des actes de l’ex-INH, un don de l’ex-URSS au peuple algérien. Les participants à la rencontre sont revenus longuement sur l’amitié algéro-russe en insistant sur l’importance de préserver le patrimoine matériel et immatériel traduisant la qualité des relations entre deux peuples.
Souvenirs indélébiles
Pour eux, l’ex-Rocher Noir est l’exemple qui semble traduire le mieux ces liens d’amitié. Les raisons sont connues. En effet, sitôt l’indépendance acquise, l’Algérie se lance dans un vaste chantier de reconstruction. Ce qui n’était pas possible sans l’aide de pays amis. Le choix est vite fait sur les pays du bloc de l’Est de par le soutien apporté aux combattants du FLN/ALN pendant la guerre de Libération. Après avoir abrité l’instance exécutive du GPRA, la ville de l’ex-Rocher Noir avait alors bénéficié d’une attention particulière de la part des autorités. Pour pallier au manque d’infrastructures, les anciens bureaux du staff d’Abderrahmane Fares et de Christian Fouchet ont servi à la création du Centre africain des hydrocarbures et des technologies (CAHT) en 1964. L’un des premiers instituts du pays.
D’autres ont vu le jour quelques années plus tard. On peut citer l’Inped, l’Inil, l’Ingm, l’Iap, l’Inelec, l’Inim, etc. L’encadrement de ceux qui devinrent quelques années plus tard les managers des entreprises publiques y est assuré par des enseignants de l’ex-URSS. Djemal Baba Aissa, se souvient parfaitement de cette période charnière. Fils du premier maire de l’ex-Rocher noir, feu Baba Aissa Slimane, Djamel a grandi dans un milieu cosmopolite dominé par la communauté Russe. «Avant le cessez le feu, la ville était composée de 23 bâtiments et quelques villas.
Certains ont abrité les locaux de l’administration coloniale délocalisée d’Alger à cause des exactions de l’OAS», se souvient-il. La cohabitation entre les différentes communautés était parfaite.
Djamel a aussi étudié chez les Russes, dont Ibrahimov, Zakarov, Hassan, Sidorov, Lionin. Comme lui, tous les habitants de cette localité balnéaire ont fini par apprendre la langue de Tolstoï. «C’était la belle époque. Les Russes étaient brillants dans tous les domaines. Ils nageaient même en hiver. Ils avaient de bons musiciens et d’excellents footballeurs. Je me rappelle à ce jour de Aliocha, Michka, André, etc. Les vendredis ils projetaient des films à la salle des actes et nous on se faufilait à l’intérieur, mais personne n’était gêné de notre présence», dit-il. Cette période marquera à jamais tous les habitants de la ville. «J’ai beaucoup appris des Russes. Ils étaient très respectueux et ouverts d’esprit. J’ai gardé contact avec beaucoup d’entre eux», confie Karim Longou, fondateur de la page «Histoire de Boumerdès». Mais tout a changé après l’avènement du terrorisme. La chasse aux étrangers n’a pas épargné les formateurs russes.
«La plupart sont partis dans les années 1990 suite à l’attentat ayant coûté la vie à cinq de leurs compatriotes exerçant à Sonatrach. Cet acte avait eu lieu au Ruisseau (Alger). Les terroristes les ont fait descendre d’un bus de transport du personnel de la compagnie avant de les abattre sur le coup», relate Djamel. Aujourd’hui que le pays jouit de la sécurité, pourquoi ne songe-t-on pas à renouer le contact avec ceux qui sont toujours de ce monde afin de les inciter à visiter ce qui était considéré comme leur seconde patrie ? Des initiatives ont été déjà entreprises dans ce sens.
Le chef de département des hydrocarbures, Hamada Boudjemaâ, raconte l’histoire extraordinaire d’une enseignante Russe, Mme Liubov Dmitriev, revenue à Boumerdès 40 ans plus tard. «C’était en 2014. On l’avait invitée à participer au 7e symposium des hydrocarbures et de la chimie. Elle quitte Boumerdès en 1974 après y avoir enseigné plus de 10 ans à l’ex-INH. Elle a tenu à visiter la maternité de Belfort où elle a accouché son premier enfant. Elle avait gardé de bons souvenirs de notre pays. J’ai appris qu’elle a fêté ses 80 ans le 2 janvier dernier», rapporte-t-il. Notre confrère Hamoud Ibaouni affirme que Mme Liubov fait partie des 12 enseignants soviétiques qui ont fait de l’INH un centre de formation de grande renommée. «Ce professeur de dessin technique avait même assisté à l’inauguration en 1964 de l’institut par le défunt Houari Boumediène. Elle était encore là lorsque Alexeï Kossyguine vient une année plus tard visiter le centre et parler avec les élèves et les enseignants. Ils étaient seulement une centaine divisée en deux groupes. Elle m’avait confié que les enseignants faisaient tout, y compris le ménage, que l’ambiance était formidable, les élèves très volontaires», a-t-il indiqué.
Après des échanges enrichissants, les participants au «Café culturel» se sont tous mis d’accord sur l’importance d’organiser un festival annuel de l’amitié entre les peuples à Boumerdès. Un rendez-vous qui devra se dérouler chaque année pour promouvoir le tourisme culturel dans la région. Il a été proposé également de baptiser le lieu ayant abrité la rencontre «Salle de Moscou» en signe de reconnaissance au peuple russe pour toute l’aide apportée au peuple algérien.
Posté Le : 08/04/2021
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : RAMDANE KOUBABI
Source : El Watan | 04 AVRIL 2021