Boumerdès - Bouzegza Keddara

Boumerdès - Les électriciens sous la tempête de Bouzegza



Boumerdès - Les électriciens sous la tempête de Bouzegza
Quel est le meilleur moyen pour avoir une idée précise de l’ampleur des dégâts causés au réseau électrique de la wilaya de Boumerdès par les dernières intempéries et des efforts que fait la Sonelgaz pour résoudre ce problème qui devient un véritable calvaire pour des milliers de familles en ce temps de froid polaire ?

C’est bien sûr de se rendre sur les lieux des sinistres, au pied du célèbre mont de Bouzegza, plus exactement au village Bourzazen, bourg implanté en pleine montagne, dans la commune de Keddara, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Boumerdès.

Le citoyen, en proie à d’immenses difficultés en ces temps très difficiles alors que sa demeure est plongée, depuis plusieurs jours, dans le noir, est en droit de formuler des critiques acerbes contre la Société de distribution de l’électricité.

Force cependant est de dire que nous avons constaté, de visu, mercredi, au village implanté face à l’imposant massif de Bouzegza, l’ampleur des dégâts et la tâche que devaient exécuter les agents et les cadres des entreprises publiques Sonelgaz et Kahrif. Ceux-ci travaillaient jour et nuit dans des conditions extrêmes.

Plus important, nous avons aussi vu des villageois donner un sens à la citoyenneté en prenant à bras-le-corps le problème posé par la destruction d’une ligne de transport de courant pour se mobiliser en nombre afin d’aider et soutenir les équipes de ces entreprises.

Des villageois de Souk El-Had et Timezrit ont également fait ce geste de solidarité. A Bourzazen, où se mêlent boue et neige et où le froid était glacial, des jeunes travaillaient, nous l’avons noté, avec enthousiasme et dans la bonne humeur pour aider les cadres et les travailleurs des sociétés en question afin de réalimenter en électricité leurs maisons et les centaines d’autres dans les villages de la région de Boudouaou.

La Sonelgaz dans le noir

Avant de rejoindre l’équipe mixte Sonelgaz-Kahrif qui travaillait à la réparation d’une ligne de 30.000 volts à Bourzazen, Hamid Lateb, directeur régional de la Sonelgaz de Boumerdès, nous avait fait un bref exposé sur la situation générale de la wilaya de Boumerdès en matière de réparation des équipements détruits.

Mercredi dernier, 900 foyers de 5 villages de différentes communes montagneuses comme Keddara, Taourga, Sidi-Daoud et Timezrit étaient encore dans le noir. Le problème a été résolu durant le weekend. Ce nombre avait atteint, rappelons- le, 54.000 foyers.

Concernant les plus gros dégâts, 5 pylônes soutenant des lignes de 30.000 volts sont tombés à différents endroits et 5 postes ont été endommagés. Des dizaines de kilomètres de câbles, conducteurs de basse tension, sont tombés.

Le département de Lateb avait mobilisé 25 entreprises privées et 50 agents de la Sonelgaz et de Kahrif qui ont effectué 376 interventions sur les lignes de basse tension et 50 autres sur des lignes de 30.000 volts.

Par la suite, on nous fait visiter le CCS (Centre de conduite secondaire). C’est le poste de commandement qui gère les 32 communes de la wilaya de Boumerdès et 6 de l’est de la wilaya d’Alger.

Vers ce service, que dirige le chef département exploitation Daimallah Rabah, sont acheminées toutes les informations relatives au fonctionnement en détail du réseau de la région indiquée. C’est le cerveau à partir duquel, à l’aide d’un clic de souris d’un ordinateur, un technicien coupe ou rétablit, augmente ou baisse l’alimentation d’une zone, d’un quartier ou même d’une partie de la wilaya.

Il est alimenté H24 en informations à partir d’un relais des P et T installé sur le mont de Bouarous, dans le nord de Thénia. Ce relais est tombé en panne, nous relate Daimallah, samedi à 21h54.

A partir de cet instant, la Sonelgaz était dans le noir et n’avait aucun moyen pour savoir ce qui se passait sur le terrain. A cette difficulté majeure, s’ajoutaient l’enneigement de toutes les routes de montagne et la panne survenue sur tous les réseaux téléphoniques.

La patience et la solidarité

La route menant vers Keddara est toujours enneigée mais la voie a été ouverte à la circulation. La circulation reste toutefois difficile. A certains endroits, l’épaisseur de la neige atteignait le mètre.

Dans un coin perdu de la montagne, deux villageois de Abouda faisaient des signes à la vue du véhicule bleu de la Sonelgaz. Kerbachi Omar, ancien chef de district de la région, s’arrête à leur hauteur.

«Nous n’avons pas d’électricité depuis 17 jours», dit l’un d’eux pour dramatiser la situation. En cours de la discussion, cette période a été revue à la baisse (7 jours). Finalement, la panne ne datait que de vendredi, premier jour de la tempête.

Notre accompagnateur les rassure : «Pas de problème, une équipe y travaille actuellement. Le courant reviendra en cours de journée.»

Nous continuons notre chemin.

«Tu vois, ce sont les gens des montagnes qui ont le plus souffert et ce sont eux qui réclament le moins et qui se comportent le mieux», remarque Omar.

A la sortie de Keddara, un homme nous arrête pour nous montrer un câble électrique tombé sur sa maison. Omar le tranquillise.

Deux citoyens à bord de leur véhicule nous guident vers notre destination. Bourzazen est presque invisible sous la neige. La première image aperçue donne l’impression d’une foule autour d’un totem. En fait, une centaine de villageois et une dizaine de travailleurs des deux entreprises venaient mettre le pied d’un pylône dans un trou de 1,60 m et à l’aide de cordes, des dizaines de bras le hissaient à la verticale. Uns fois le support ajusté, une autre équipe remplissait la crevasse de béton. L’opération devait se répéter trois fois, puisque trois poteaux qui supportaient des conducteurs de 30.000 volts sont tombés.

Ameur, 16 ans, les joues rougies par le froid, faisait partie de l’équipe qui transportait dans des seaux sur une distance de plusieurs centaines de mètres le béton. Le chantier n’était pas accessible aux véhicules.

«La route est fermée depuis plusieurs jours, les agents de la Sonelgaz ne pouvaient pas passer et donc ne pouvaient rien faire. C’est normal de les aider», dira-il avant d’aller remplir son seau.

Nabil, 34 ans, est plus prolixe.

«Les autorités étaient dépassées. Nous sommes restés complètement isolés, sans gaz, sans électricité et sans approvisionnements depuis samedi. Un groupe de jeunes s’est aventuré à pied durant la tempête sur la route de montagne pour ramener quelques denrées. C’est à notre propre initiative que nous nous sommes portés volontaires pour aider Sonelgaz à rétablir l’électricité. Il faut rappeler que l’école est toujours fermée à cause du manque d’électricité et de l’arrêt du chauffage des classes.»

Pour le jeune président du comité du village, Brahim Kalache, la mobilisation de tous pour faire face à la calamité et aux difficultés qui touchent la communauté fait partie de la culture de ces montagnards au grand cœur.

De son côté, Boudarène Abdenour, chef d’équipe de la Sonelgaz, ne tarit pas d’éloges à l’endroit des villageois : «Ils se sont débrouillés pour nous ouvrir l’accès. Ils nous ont aidé à transporter les supports, à creuser. Sans eux, il nous était très difficile de réaliser cette réparation qui touchera d’autres villages.
Pour notre part, nous sommes mobilisés jour et nuit depuis vendredi. Nous ne quitterons pas la localité, même si nous devons passer la nuit, avant de ramener l’électricité. Nous n’avons pas le droit de décevoir tant de dévouement et de générosité.» Son collègue Youcef Tabbani approuve.

Slimane Igrachène de Kahrif, filiale de la Sonelgaz, estime que l’entreprise qui l’emploie partage les même difficultés et rassure: «C’est grâce aux citoyens qui ont loué un engin de travaux publics pour dégager la route et ouvrir un accès que le travail se poursuit. Nous ne quitterons pas les lieux en laissant cette population sans électricité. Tout ce que nous pouvons faire, nous le ferons.»

Vers midi, une famille offre deux grandes marmites et des couverts. L’une contenant un plat très chaud à base de pâtes et l’autre un succulent couscous aux fèves vertes et à l’huile d’olive. Elles sont déposées sous un figuier. Les villageois avaient sûrement faim, mais aucun d’eux n’a touché aux plats. C’est réservé exclusivement aux invités.

Avec Omar, nous quittons Bourzazen rassurés sur la bonne santé morale de l’Algérie profonde.

Abachi L.


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