Bouira - COMMUNES

Slim Mohamed à L’Expression «Ce chant qui vient de loin»



Slim Mohamed à L’Expression «Ce chant qui vient de loin»
Publié le 18.12.2023 dans le Quotidien l’Expression

Ceux qui étaient des enfants en 1962, l’avaient écouté et chanté. Ceux qui ne le sont plus aujourd’hui, depuis longtemps, l’entendent encore tourner dans leur tête en boucle. Et ceux-ci comme ceux-là, ont senti vibrer en eux leur fibre du patriotique. Ikhouani la tansaou chouhadakoum (Mes frères n’oubliez pas vos martyrs. NLTD), est de ces tous premiers chants révolutionnaires que les Algériens découvraient, ainsi que d’autres encore, en même que la liberté et l’indépendance. Faveur inespérée, providentielle, incommensurable, en cette soirée du lundi 11 décembre, les habitants de Bouira qui auront fait le déplacement à la Maison de la culture pour y assister, l’écouteront, cette fois, de vive voix, c’est-à-dire chantée par le sublime, le délicieux Slim Mohamed, le chanteur qui l’a porté sur les ondes pour la première fois. Mêlé à la foule d’invités et de participants au concours national de la poésie révolutionnaire organisé du 11 au 14 de ce mois par l’Association Tikjda Adhourar, il attendait l’heure de monter sur scène et d’être honoré avec deux autres. On distinguait dans la pièce, entre autres, les poètes Omar Boudjerda, Karima Mokhtar, Ali Ferrah, Mohamed Belkacemi et tant d’autres venus d’autres wilayas. C’est dans cette ambiance étourdissante, faite de conversations, de rire, de pas de course dans le couloir, de sièges qu’on ramène ou qu’on remporte, que cet entretien a eu lieu, un peu «à la va comme je te pousse ».

L'Expression: Vous avez bien voulu répondre à l'invitation de l'Association de Tikjda et faire le voyage de Koléa, votre ville natale, à Bouira. Y venez-vous pour la première fois?
Slim Mohamed: Bouira n'est pas une ville inconnue de moi. J'y avais fait un stage avec Kateb Yacine, à la ferme pilote, dans la forêt Errich. J'ai aimé la ville et ses environs pleins de chants d'oiseaux et de beaux paysages.

Ah, vous avez connu Kateb...Comment était-il?
Simple, chaleureux, communicatif et si doué pour le théâtre. C'était un ami, au même titre que Mohamed Syakham et Ali Zaamoum que j'ai connus pendant ce séjour.

Vous avez parlé de stage. Qu'y faisiez-vous, donc?
Nous préparions une pièce. Kateb l'avait intitulée Soltan El Gharb. Voilà Kateb sur la photo. Pendant la préparation. Et ça, c'est moi, là. Moi, je chantais.

Vous chantiez? Vous n'aviez pas de rôle dans cette pièce?
Si. C'est ce rôle que je tiens dans cette pièce. Je chante...Ecoutez: Hassan Thani, ma Lghitou, ma Lghani.. Kateb racontait des blagues sur ce roi «qu'on ne retrouvait ni qui ne retrouvait personne», mais aussi sur Bourguiba, dont il moquait aimablement le nom. C'était ça aussi Kateb.

Avez-vous conservé d'autres souvenirs de lui?
De l'homme de théâtre, naturellement. Il avait un grand manteau, entrait sur scène et jouait. Le public aimait et applaudissait. C'était lors de notre tournée en Europe.

Une tournée en Europe. Kateb écrivait et jouait aussi pour un public européen?
Kateb avait son propre théâtre et sa propre troupe.
La tournée dont je vous parle nous avait portés un peu partout en Europe. Nous avions fait le plein des salles de spectacle Nous avions joué en France, en RDA, en Bulgarie, en Yougoslavie...Nous étions restés un mois. C'était inoubliable.

Que jouiez-vous?
La fameuse pièce Mohamed, prends ta valise. Elle devait changer de titre en Le pain amer. Kateb a toujours eu le souci du mot juste, du mot qui frappe. Kateb Yacine ne doit pas être le seul ami dans votre vie si pleine de rencontres et d'expériences. Des chanteurs, des artistes ont dû vous croiser dans leurs parcours, des liens plus ou moins étroits ont dû s'établir?
Comme tout chanteur et tout artiste, j'ai eu l'honneur et le plaisir de connaître des hommes et des femmes formidables. Certains avaient démarré leur carrière en même temps que moi. D'autres un peu plus tôt ou un peu plus tard. Nombre, dans le domaine de la chanson, comme Gherouabi, qui a été un ami d'enfance, parce que nous avions fréquenté le même établissement, le fameux Music scool,... Où Noura, Seloua, Dryassa, Rahab Tahar. Mais aussi des hommes appartenant à d'autres horizons artistiques, comme l'inoubliable Kateb, Lakhdar Sayeh, Hachlef Lahbib.
D'autres encore des comédiens comme Mahfoud Lakroum, Dahmane Kaliouane, Lamir Bensaïd, Aît Mouloud. Des hommes et des femmes de grande valeur et qu'on ne peut évoquer sans nostalgie, car ils font désormais partie de notre vie.

Ainsi, Guerouabi a été pour vous un ami d'enfance. Pouvez-vous nous dire un mot sur lui.
Nous nous sommes connus, alors que chacun cherchait sa voie. Nous ne fréquentions pas les mêmes cours, mais nous nous voyions souvent et une amitié était née que seule la mort avait interrompue. Il était à Paris où il se soignait. Un ami, près de lui, me l'avait passé au téléphone. Il m'avait dit qu'il voulait chaque fois me voir, chaque fois, il n'y parvenait pas, car j'étais introuvable et le temps manquait toujours. Cette fois, il me promettait de passer directement chez moi. Cela n'a pu se faire. Il était gravement malade et s'est éteint peu après.

Comment avez-vous débuté dans la chanson?
Très tôt. J'étais dans le scoutisme. D'abord louveteau, à cause de mon jeune âge, puis l'expérience venant peu à peu, scoutiste. Vous savez, quand on est scoutiste, on n'use pas que la semelle de ses souliers. On fait beaucoup de choses, souvent utiles. Les «Annachid» faisaient partie de notre programme. Nous avions même une chorale. J'en étais.
Et je chantais et je répétais dans cette chorale avec d'autres camarades. Un jour, je fus remarqué par la qualité de mon timbre. C'était le grand comédien Mohamed Niha qui avait fait cette découverte.
Un peu plus tard, j'ai chanté la chanson Laâma, dont la musique et les paroles ont été écrites par Abderrahmane Aâziz
Je l'avais apprise par coeur et chantée devant Mohamed Niha et tous les autres. Ils étaient très satisfaits. Et c'est ainsi que j'ai été dirigé vers le Music Hall.

Où vous vous êtes fait encore distinguer grâce à votre voix...
Je venais, en effet, de chanter un jour une chanson tunisienne, Ya ben aâmi (O mon ami) dont la musique et les paroles sont de Rédha Ghelie. C'est ma première chanson. Je n'allais plus cesser.

En attendant, vous avez continué à fréquenter le Music Hall.
Mais plus pour très longtemps. Car je venais d'être sélectionné avec un autre camarade Lamari. J'étais assez grand alors, pour voler de mes propres ailes.

Alors a commencé pour vous cette longue et riche carrière qui va vous conduire au sommet de votre art. Combien de chansons avez-vous au total à votre actif d'artiste?
Plus de six cents. En comptant celle du poète et compositeur tunisien qui vivait en Algérie Adelkrim Lahbib. La chanson s'appelait Ya nari,assitek... (ô mon feu,je tai senti...). C'était à l'Opéra, juste au dessus de la salle Ibn Khaldoun. Je venais d'être définitivement lancé. Ce sera aussi le temps des tournées en Algérie. En même temps en France et en Allemagne etc. ainsi que je l'ai dit. Le public appréciait beaucoup. En Algérie, j'étais souvent en tournée avec Gherouabi, Saloua, Nora, Et puis de nouveau avec Kateb. Dans la pièce Mohamed prends ta valise, j'interprétais le rôle de Mefti. Je chante un soir devant dix mille personnes. Cétait au Sahara occidental, en 1978 ou 79. À toute heure, des jeunes venaient nous proposer du thé en disant avec un accent comique:» Du tshi, du tshi».

Ce soir, de nouveau à Bouira que vous avez connue à une époque où le rêve et l'action se disputaient chez vous la première place, qu'allez-vous nous chanter?
Ce que tout le monde connait en principe: Ikhouani latansaou chouhadakoum (Mes frères n'oubliez pas vos martyrs) qui est, comme vous savez, un chant patriotique. En rapport avec le 11 décembre qui est une journée de commémoration nationale. Les paroles sont du poète Moufdi Zakaria et la musique de Abderahmane Aziz. Il a été enregistré en 1961 et chanté un an après avec l'indépendance. Vous pouvez lire la date qui est sur la jacquette que voilà.

Vous gardez ce vieux disque comme une relique. Le succès qu'il vous a valu vous accompagne encore. Et le deuxième chant pour ce soir?
Toujours en lien avec cette journée commémorative. Combien je me souviens de l'Algérie. Ce chant n'est la propriété de personne. Il est tombé dans le domaine public. Les paroles sont d'un moudjahid de Sour El Ghozlane. Tout le monde peut les chanter. Mais pourquoi ne venez-vous pas chez nous, à Koléa. J'ai encore tant de choses à dire sur Kateb et les autres chanteurs et artistes.
Ali DOUIDI


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