Publié le 30.11.2023 dans le Quotidien l’Expression
Un livre, quel qu'en soit le contenu, n'est qu'un moment que l'on passe avec l'auteur. Ce moment peut être court si l'ouvrage est lui-même est bref, ou barbant. Dans le premier cas, on se félicite que l'écrivain, le poète ou l'essayiste ait opté pour la concision. Dans le second, on arrête tout dès le premier bâillement. Si on est poli, on oublie le livre et son auteur. Mais si, trompé par la critique ou les conseils d'un ami, on a fait des efforts économiques pour son acquisition, on les injurie copieusement: l'auteur, la critique ou l'ami.
Quelque six ou sept ans ont passé et le souvenir de Aziz Toumi et de son grand recueil de poésies intitulé L'enfant de M'Chedellah ou les faucheurs de glaïeuls est en chacun de ceux qui l'ont connu lors de sa vente-dédicace organisée à la Maison de la culture. Bien que nous ne soyons pas encore devenus nous même le modeste auteur que nous allions être quelques petits mois plus tard, l'appréciation réciproque que nous avions l'un de l'autre, y compris avec son éditeur Fethi Riah, nous a valu une dédicace fort flatteuse.
Quoique comparaison
ne soit pas raison
Nous avions aimé ce livre. Nous l'aimons toujours. Non parce que c'est un cadeau d'un ami cher. Mais parce qu'il y a, au fond, des choses qui vous tiennent aux tripes et que vous ne pouvez plus vous en passer. On ne parle en public d'un livre que s'il est beau. L'enfant de M'Chedellah, est plus qu'un bon livre. C'est un petit chef -d'oeuvre. Nos recommandations, bien que n'étant pas critiques, est que toute bibliothèque qui se respecte doit avoir sur ses rayons ce recueil de poèmes.
L'enfant, que nous appellerons Aziz, quitte Chorfa, dont il est natif, ainsi que cette région qui va au-delà de Bouira, en passant par M'Chedellah, Ladjiba et Djurdjura, à laquelle il est tant attaché. Son destin va l'entraîner très loin, au-delà de la mer, jusqu'au nord de la France. Mais ce destin qui lui a fait d'abord découvrir en même temps la beauté et les splendeurs de cette région encore sauvage, les horreurs de la guerre, par une sorte de miséricorde, en l'en soustrayant, lui a fait connaître une langue merveilleuse qui lui a ouvert les portes d'un univers fantastique: la poésie. Cet enfant à la vie tourmentée, quand il retourne pour un temps au pays, c'est avec, dans les mains, un beau cadeau: un recueil de poésies. Une manière de corriger les torts subis durant l'enfance.
Deux sonnets comme entrée en matière
Pourquoi un tel titre? Il y a déjà celui des Faucheurs de glaïeuls. Et il est très évocateur. Cette superbe métaphore pourrait se traduire par les faucheurs de destins, puisque nous en parlons, les faucheurs d'espoirs, ou les faucheurs de vies. Mais l'auteur avertit que ce livre est d'abord dédié à sa famille. Et qu'est-ce cette famille sinon toute cette région dont nous avons déjà dit un mot plus haut et où tout le monde se sent un peu cousin. Dès lors un tel titre s'impose. Aziz, malgré une longue absence, revient au village natal, et non seulement il a un doctorat en lettres, mais il est poète et offre en guise de cadeau une oeuvre consacrée à ses amis, à leurs terres et à leur histoire.
L'étonnant dans ce livre qui se lit un peu comme une biographie, comme une historiographie est qui justifie un peu ce titre, vite évincé par ce sous-titre, c'est qu'il s'ouvre par un poème. Ce poème, contre toute attente donc, car il se place avant la préface, est un sonnet. Nous avons tous en mémoire ceux de Ronsard et ceux de Du Bellay. Cette forme de poésie qui comporte deux strophes de quatre vers chacune, en alexandrins, généralement, et de deux tercets de trois vers chacune, nous la devons à Pétrarque, un poète italien du début de la Renaissance. Depuis, cette forme s'est fort répandue en France. Celui qui s'est le plus distingué dans le genre, c'est, au XIXe siècle José Maria de Hérédia.
Mais qui écrit encore des sonnets de nos jours? Il est vrai que ce poème de quatorze vers, en alexandrins, il faut le préciser, bien qu'il n'en respecte pas toutes les règles (rimes croisées, hémistiches, césure fortement marquée), ce poème comme tous ceux qui forment ce recueil dont la rédaction va de 1979 à 2013, est écrit en 1981. Et puis, quelle importance si l'art trouve son compte, et on ne peut pas dire que le poète manque de talent. Quand au premier chapitre (pourquoi parler de chapitres, comme dans un roman, alors que chant aurait parfaitement convenu?), il récidive, on s'est habitué à ce caprice, d'autant plus volontiers que cette fois, les règles sont un peu mieux respectées.
Le premier sonnet a pour titre La voix des martyrs, le second, Ce que nous sommes. Ce poète si sociable, ainsi que nous avions pu en juger, lors de son passage à Bouira, il y a quelques années, qui fait d'aussi bons sonnets, malgré quelques imperfections, n'est donc pas romantique? N'a-t-il appris à écrire de la sorte, c'est-à-dire comme Musset, comme Verlaine et Rimbaud, pour ne parler que des plus proches de nous, que pour nous parler de son enfance?
Les mêmes chemins, les mêmes paysages...
Mais de quoi parlaient donc Les anciens poètes qu'il semble imiter? De l'amour, de la nature, et tous y excellent. Même si Musset a légué à la postérité les plus belles pages de sa vie sentimentale. C'est que Musset a eu cette chance de rencontrer la plus romantique des femmes de cette époque: celle qui se prénommait étrangement Georges Sand.
Forcément cela devait produire des étincelles. Cela en avait produit. Mais ces deux sonnets donc? Ils parlent d'amour, mais de l'amour du pays. En effet, en lisant Toumi, on a l'impression de passer par les mêmes chemins, de voir les mêmes paysages et de converser avec les mêmes gens. Ces villages, ces collines, ces bois, ces sources, nous nous y arrêtons pour les contempler et en graver à jamais les traits et les noms dans notre mémoire. C'est le sens même de ces poèmes. Si nombre d'entre eux sont longs, comme La noce (p.96-104) Les cailloux sonores (p.107-106), si beaucoup sont composés avec ce mètre adoré des Hugo, des Lamartine, des Vigny, pour charmer notre oreille de leurs belles sonorités, c'est parce que cet amoureux de la langue et de la nature a voulu nous montrer qu'en matière de poésie le champ reste libre et qu'y entre qui veut et qu'y fait ce qu'il veut qui veut. Et le plus extraordinaire est que, même si nous savons que cet alexandrin, un peu boiteux, indiscipliné et parfois un peu poussif, mais rarement triste et toujours hardi, cet alexandrin épouse un souffle et ce souffle, parce qu'il vient d'une âme pure, il plait et souvent ravit.
Le poète de M'Chedellah qui écrit aussi de ce lieu dit Malo Les bains,(Bouira ma ville adoptive p.22-24) écrit parfois en vers libres, comme pour se faire pardonner ce que la forme de ses poèmes, comme ces deux sonnets, peut avoir de suranné, voire d'archaïque. À ma nièce Yousra, ou L'amitié, ou encore L'amour chandelle et qui datent de 2013 en sont quelques-uns, et l'on voit combien cet habile artisan des vers rimés l'est tout autant avec le vers libre. Ce mélange non de genre (le poète reste jusqu'au bout des ongles un poète), mais de formes, explique l'attrait et la force de cet esprit éclectique qui traverse ce recueil et en fait une oeuvre à part.
On pourrait peut- être reconnaître ici ou là quelques influences, relever quelques dissonances-cela arrive quand on se mêle de ce genre de choses, même chez les plus grands maîtres, mais le recueil dans son ensemble est plaisant et séduit par son originalité autant que par sa puissance et son enjouement. À lire sans modération.
Ali DOUIDI
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Posté Le : 30/11/2023
Posté par : rachids