Bouira - Arezki Metref

Arezki Metref, Kabylie Story, Casbah , 2005



Arezki Metref, Kabylie Story, Casbah , 2005
Arezki Metref a fait ses preuves depuis belle lurette comme journaliste puis comme romancier, essayiste à la plume acérée et au style alambiqué. Il a dû faire ses débuts dans la poésie pour réussir dans la prose, à la manière de Tahar Djaout et de Mohamed Dib.

Et qui ne se souvient pas de ses reportages et interviews ? Le dernier en date est celui qu’il a consacré à Ath Yenni.

Kabylie Story est à classer dans les grands reportages, apportant un plus considérable à une meilleure connaissance de la Kabylie, car pour qu’il la voit du dehors, c’est une citadelle imprenable, un monde replié sur lui-même. Mais, détrompez-vous et Metref en a apporté des preuves convaincantes. L’œuvre nouvellement publiée était destinée au genre romanesque ; cependant, la tentation de visiter la région en profondeur et les imprévus du long périple en ont fait un reportage et un excellent pour les nombreux témoignages rapportés pris sur le vif, les histoires locales ainsi que divers événements qui ont marqué le vécu collectif.

La préface a été aussi à la mesure du livre, bien qu’elle comporte ce quelque chose de contradictoire concernant les personnes et les paysages : «Les personnes de Kabylie Story semblent être sorties d’une fiction, les paysages relevés d’un autre temps», dit Sahra Mekboul dont les propos sont loin de nous satisfaire, à moins qu’on n’ait pas été du niveau pour comprendre cette phrase heureusement modélisée par le verbe sembler.

En ce qui nous concerne, nous avons plutôt pensé à une singularité inentamée de la région, sinon à une population encore sous le carcan des traditions qui la condamnent à la conservation. Quant au reste, il est merveilleusement bien présenté et la Kabylie paraît être restée comme elle l’a toujours été, avec cette différence qu’elle a su concilier : traditionalisme et modernisme sur beaucoup de plans, à l’exception de l’habitat qui s’est transformé à 90%. Sur les crêtes les plus hautes et les flancs de collines les plus abrupts, des maisons pour ne pas dire des buildings ont poussé par milliers. Certains villages qui ont perdu tout du cachet ancien, il faut chercher longtemps pour trouver une maison authentiquement locale.

La Kabylie d’aujourd’hui rappelle-t-elle celle d’antan ?

Arezki Metref a commencé son reportage par Bordj Menaïel, peut-être pour des raisons géographiques ; la ville se trouve à l’orée de la Kabylie. Il y a trouvé quelques référents culturels. Le lecteur qui a connu Bordj Menaïel de ces dernières années ne peut se rappeler que des marchands de toutes sortes alignés à perte de vue dans ses principales artères, elle est, avant tout une ville commerçante et elle en a toujours eu la vocation. Bien qu’oubliée ou déconsidérée, la ville a vu passer Alain Delon, le boxeur Hamani, Kateb Yacine et son théâtre ainsi que son groupe d’acteurs qui a créé une ambiance culturelle. Cela doit remonter aux années 1960 et 1970.

Cette activité commerciale intense qui donne l’impression d’un vide culturel a peut-être subi un coup d’arrêt avec le tremblement de terre. La ville a subi de graves dommages et va garder les stigmates du séisme pendant longtemps. La description de Tizi Ouzou occulte tout de ce qui s’y passe actuellement, comme les agressions et les vols au quotidien qui ont fini par défigurer la ville des Genêts dont on n’a retenu que le jet d’eau. Dans un style traditionnel, Sidi Baloua, le cas atypique de Si Moh par rapport aux autres Tizi Ouzéens d’aujourd’hui et qui cherche un mot à la manière de Yannis Ritsos, poète grec.

La renommée a paru aussi revigorante qu’enrichissante. L’auteur a procédé selon l’itinéraire que Slimane Azem a tracé à l’hirondelle éponyme de son chant d’exil par lequel il fait le tour de la Kabylie en marquant des pauses proportionnelles aux souvenirs évoqués. De Bordj Menaïel il arrive à Ath Yenni en passant par Azazga, Tizi, Aït Hichem, pour nous faire ce qu’il y a de plus représentatif comme traditions artisanales. Larbaâ Nath Irathen, ce sont les marques de l’histoire du XIXe siècle à nos jours, Ath Hichem c’est le tapis, les Ouadhias c’est Slimane Azem, Mohand Arab Benaoud, l’un des fondateurs de l’Académie berbère, Ali Zamoum d’Ighil Imoula durement éprouvé durant la guerre de Libération, Tizi Hibel, village natal de Feraoun longtemps comparé à Faulkner, Malika Doumrane, Matoub, Aït Zikki la belle par ses sommets enneigés et ses traditions vestimentaires.

Retour au pays natal

«Allez où vous voulez, même en Australie, vous aurez toujours cette envie de retrouver les vôtres et le paysage qui a laissé en vous des souvenirs vifs», ont coutume de dire ceux qui aiment leur pays natal. Ce que fait Arezki Metref en n’oubliant pas de revenir à Agouni Ahmed. Nous partageons sa peine de voir son école construite vers 1890 récemment, démolie et d’où sont sortis de grands instituteurs dont un des siens qui a collaboré à la grande revue des instituteurs dits «indigènes», adjectif à coloration coloniale qui les infériorise par rapport aux instituteurs venus de Métropole française.

Cela s’est passé dans les années 1920 et 1930 au cours desquelles un noyau d’instituteurs contestataires qui ont fondé le journal La voix des humbles où Metref, sorti de l’école normale de Bouzaréah, écrivait sous le titre L’ermite du Djurdjura. Il faut lire de bout en bout Kabylie Story pour avoir la passion de ces lieux et hommes historiques décrits avec beaucoup de talent. De Beni Yenni, vous partirez sans le savoir vers Akbou et son huile d’olive renommée, Illoula appelée Metz du temps de l’oppression coloniale.

La vallée de la Soummam, Tazmalt, Adekkar ont été des participants actifs au Printemps berbère puis au Printemps noir. Les habitants, façonnés à l’image de la terre qui les a vus naître et grandir, vous en diront beaucoup sur les événements anciens et nouveaux qui ont marqué la région. Azeffoun appelé par rapport à son relief, l’arche de Noé, vous recevra à bras ouverts parce qu’il a beaucoup de choses à vous raconter sur les hommes historiques natifs de ce pays, et des hommes de culture qui sont ses propres enfants dont en peut être fiers. Après Youcef Oukaci, il y a eu El Anka, Iguerbouchene, Rouiched, Hilmi, et n’oublions pas Tahar Djaout, un écrivain qui, malgré son jeune âge, a acquis la trempe de ses aînés, Mammeri, Dib, Feraoun.

On n’a pas tout dit pour laisser aux lecteurs le soin d’aller eux-mêmes au livre de Metref dont ils ont déjà un avant-goût de sensationnel et ce, d’autant plus que l’écriture est parfaite.


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