Les derniers incendies dévastateurs dans plusieurs régions du pays ont été fatals à des espaces très vulnérables, qui n’ont jamais atteint leur climax (stade de maturité de la forêt) et ont également dévoré des biotopes appartenant à des espaces protégés.
Environ 700 ha de forêt et de couvert végétal ont été calcinés rien qu’au Parc national de Chréa (PNC). Même des espèces endémiques et protégées, à l’instar du cèdre de l’Atlas (cedrus atlantica), dont une cinquantaine d’hectares sont partis en fumée en quelques jours seulement.
Quelles menaces pour la faune, la flore, l’économie rurale et la vocation touristique du site ? Des questions qu’explicite Dahal Ramdhane, directeur du PNC.
- Les derniers incendies qui ont touché plusieurs versants de l’adret (sud) comme de l’ubac (nord) de l’Atlas blidéen ont-ils concerné des zones sensibles du PNC?
De par son appartenance au Bassin méditerranéen vulnérable au feu, comme vous le savez, le PNC n’est pas épargné par la vague d’incendies qui frappe aussi les autres forêts du pays. En fait, nous nous attendions à une saison exceptionnelle au regard des dégâts engendrés par les intempéries qui ont affecté le pays l’hiver dernier, à savoir les chablis et les nombreux branchages qui ont lâché sous le poids des neiges mais aussi au regard de l’extraordinaire développement de la strate herbacée très remarquée d’ailleurs sur les abords des routes. Ceci, bien sûr, a contribué aux départs de feu au moment où le pays enregistre des chaleurs extrêmes, persistantes et caniculaires depuis le mois de juillet. Le PNC est touché principalement dans son versant sud où butent les courants chauds provenant du sud du pays et aussi la vallée de la Chiffa, où ces mêmes courants se canalisent comme dans un entonnoir, s’intensifient et se répercutent en incendies dans les formations vulnérables. Le versant nord, quant à lui, a connu quelques départs de feu localisés principalement dans la zone piémontaire de Soumaâ/Bouinan. Dans tous ces endroits, on peut dire que pour l’heure, les zones sensibles du PNC sont épargnées si l’on considère que sur le plan floristique, ce ne sont que les formations de pin d’Alep, les maquis dégradés et autres broussailles qui sont touchés. Permettez-moi de profiter de cette occasion qui m’est offerte pour rendre hommage à tous les soldats du feu du PNC, des Conservations des forêts de Blida et Médéa, de la Protection civile versés dans le dispositif de lutte contre les feux de forêt ; sans leur témérité surtout durant le mois sacré de Ramadhan, les dégâts seraient bien plus importants.
- Peut-on déjà apporter une évaluation préliminaire des dégâts, sur la faune et la flore dans le PNC, de ces incendies dévastateurs qui se répètent depuis 2000?
Il est trop tôt de donner l’évaluation précise des dégâts occasionnés par les différents sinistres, mais pour l’heure on peut estimer à environ 700 ha le total des superficies parcourues par les feux à l’échelle du territoire du PNC. Le secteur le plus touché est celui d’El Hamdania, compte tenu de son exposition vers le sud du pays et de l’importante pinède qu’il recèle. L’espèce la plus touchée est le pin d’Alep (pinus halepensis) qui est inflammable par excellence. Par contre, pour le cèdre de l’Atlas (cedrus atlantica) pour lequel le PNC est très connu, on déplore quelque 50 ha de pertes à la lisière sud de la cédraie de Kerrach qui est contiguë à un maquis de chênes verts ayant pris feu aussi. Il faut signaler que c’est la première fois dans l’histoire du Parc national de Chréa qu’on perd une aussi importante surface d’une association pure de cèdre! Le reste est composé principalement de maquis et de broussailles.
Au niveau du PNC, le cèdre occupe une superficie de 1.200 ha d’un seul tenant au niveau des crêtes supérieures des monts de Chréa (1.000 m et plus). A cet étage altitudinal, le risque est amoindri d’autant plus que le cèdre est un conifère qui développe une certaine immunité contre le feu grâce à sa croissance longiligne et à l’absence de sous-bois. Le cèdre est un bois ; il est inflammable. En cas d’incendie non maîtrisé, il peut connaître des pertes considérables comme c’est le cas cette année. Je rappelle que le cèdre a la particularité de valoriser les sommets de montagne. Aucune autre espèce ne peut le remplacer dans cette fonction.
Sur le plan faunistique, en dehors des populations d’arthropodes (insectes) qui auraient péri dans les différents sinistres, il est difficile de s’avancer sur les éventuels mouvements ou migrations des autres populations animalières. Vous savez que le développement des espèces naturelles obéit à des cycles d’évolution, réglés et calés dans le temps et parfois dans l’espace selon les saisons. Nous avons constaté que certains calages ne sont pas respectés ces dernières années.
Il en est ainsi pour la chenille processionnaire comme pour le bombyx, par exemple, et peut-être pour beaucoup d’autres insectes. Nous ne sommes que des hommes de terrain, est-ce vrai, est-ce faux, il n’y a que l’investigation scientifique qui pourra déterminer s’il y a eu perturbation ou pas à ce niveau. J’invite la communauté scientifique à explorer avec nous tous ces changements et éventuellement venir à bout de leur développement. Pour cela, je rappelle le rôle scientifique de la richesse naturelle du PNC et son intérêt pour la connaissance avancée du potentiel biologique national, ce qui me pousse à réitérer mon appel pour la préservation de ce poumon vert et sa sauvegarde.
Je précise que les incendies enregistrés depuis les années 2000 au niveau du PNC ont connu deux pics: en 2000 (2.859 ha) et 2007 (1.788 ha). Depuis les années 2000, incontestablement, 2012 s’annonce comme pic majeur vu les importants foyers qui peuvent se déclencher fin août, durant tout le mois de septembre et même en octobre.
- Le singe magot a été remarqué loin de son habitat naturel, les gorges de la Chiffa, jusqu’aux abords des vignobles de la localité d’Ouzera et dans le voisinage du mont de Takrina, suite aux derniers incendies. Cette espèce endémique n’est-elle pas en danger, sachant que chaque année des centaines d’hectares de forêts sont calcinés?
Je ne pense pas que cette espèce endémique soit en danger comme vous le supposez. De notre point de vue, elle est tellement protégée qu’elle prolifère bien au point de coloniser d’autres espaces que ceux dans lesquels on a l’habitude de la voir.
Le singe magot trouve les conditions naturelles de vie et d’évolution à l’intérieur du PNC. Les incendies de forêt n’ont pas influé jusqu’ici de sorte à déplacer ces populations en dehors du Parc. Il reste que les feux de forêt constituent, il est vrai, un réel danger pour le biotope de cette espèce.
- Les incendies ont touché aussi des falaises très escarpées. Faut-il craindre les effondrements au niveau des gorges de la Chiffa sur la RN1? En 2007, il y avait même eu des victimes…
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au niveau des gorges de la Chiffa, l’on est en présence d’un substrat schisteux gorgé d’eau. Le seul élément de fixation de ce matériau est le couvert végétal. Avec l’effet de pentes abruptes et le passage constant d’engins lourds sur la RN1, le risque d’effondrement est potentiellement présent au niveau de tous les endroits où la couverture végétale a disparu. Les usagers de cette route sont priés d’observer la plus grande vigilance.
Mohamed Abdelli
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Posté Le : 27/08/2012
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Mohamed Abdelli
Source : El Watan.com du dimanche 2012