Aguemoune Nat Amar n’a pas fini de fêter son nouveau statut du village le plus propre de Béjaïa. Un sentiment de fierté le submerge. Vendredi, des centaines de personnes l’ont trouvé dans ses plus beaux atours, lové dans sa fière montagne, dans la commune de Taourirt-Ighil. El Watan y a été convié.
Il faut stationner son véhicule dans la cour de l’annexe de l’école primaire à l’entrée du village. Sourire aux lèvres, le jeune Mouloud et ses camarades veillent au bon accueil. L’organisation est impeccable. Des minibus assurent la navette pour le reste du trajet.
Au loin, des chants de Matoub se font entendre. À l’entrée du village, une scène est montée, pile face à la mosquée. Tout autour, on s’active dès la première heure de la matinée pour accueillir les flots d’invités: des élus, des représentants d’associations, des anciens de la JSK (Amara, Haffaf, Driès et Adghigh) et des anonymes.
L’association Taduki des Ait Aissa à Aokas est déjà là. Classée sixième, elle n’a pas à envier à l’engagement des At Amar pour avoir contribué à réaliser tout un théâtre de verdure chez elle. S’il y avait un concours du village le plus entreprenant, elle aurait été une sérieuse prétendante.
Aux invités, on offre des coups de baroud, des youyous, des sourires et beaucoup d’hospitalité, comme l’exige la tradition. «Ce n’est plus notre village, c’est désormais celui de tout le monde», nous dit Dda Omar, comme on l’aime à l’appeler ici, qui vient de vider dans l’air sa charge de baroud.
Quoi de mieux que l’eau pour accueillir ses convives. Partout en Kabylie, on vous dira que «aman d laman» (l’eau est synonyme de paix). Un long bassin s’impose au bord de la route principale. Il est là depuis 1953. Tala-abassal a été, à la fois une fontaine, un bassin et un abreuvoir qui a étanché bien des soifs, des hommes et de leurs bêtes.
Aujourd’hui, les At Amar boivent aussi de l’eau de trois châteaux dont celle qui arrive du lointain Tichy Haf. Mais pour les villageois, rien ne vaut l’eau de leur montagne, comme une mère qui allaite ses enfants. Sauf que la conduite qui la fait descendre d’en haut a subi des dégâts lors des derniers feux de forêts qui se sont acharnés sur les massifs de la Kabylie. Du coup, abassal ne laisse couler qu’un mince filet d’eau.
- «Sizdeg taddart-ik…»
A côté du bassin se trouvent des toilettes publiques des plus propres dont il est inutile de chercher leurs semblables dans nos centres urbains. Sur son fronton, on prône cette devise qui recommande de nettoyer son village si l’on veut avoir une belle vie: «Sizdeg taddart-ik, ad telhu tudert-ik.»
Cette exhortation trouve un prolongement dans la vie des gens d’Aguemoune. Et cela date de bien longtemps. Le village a ses toilettes publiques depuis les premières années post-indépendance. Sur cette principale route bitumée, l’éclairage public est supporté par les bouts d’une vieille conduite d’eau repeints pour servir de poteaux.
Toute cette route est parée de peintures murales et autres embellissements qui s’étendent jusqu’à la limite du vieux village. À côté de la mosquée, on a posé le pressoir, les meules et les scourtins d’une huilerie pour témoigner de l’attache à une vieille activité qui fait partie du patrimoine culturel de la Kabylie tout comme le sont takufit, asewal, abuqal, tafeqluct, afeniq… et d’autres objets que l’on a réunis dans un modeste musée à l’autre bout du village.
A deux pas de la mosquée, une placette longue de 60 m est créée en forme d’un belvédère qui offre une vue panoramique sur les villages de la commune: Tizi Bugni, au loin, Tizi El Korn, en face, At Idir, à droite, Taourirt Ighil tout à gauche. «Nous avons des frontières avec presque tous les villages de la commune», indique Salah Belkacemi. At Maamar, At Said, At Sidi Said, Iksilen… ne sont pas très loin.
Sous la placette se trouve le «centre» de tri, qui accueille séparément plastique, fer, cartons et déchets organiques ménagers servant pour le compost. Avec le concours très précieux des femmes, le tri est bien réel à Aguemoune. Pour dégager l’espace, on n’a pas hésité à déplacer quelques tombes d’un vieux cimetière.
Sur le même site, on envisage de construire une salle de sports pour combler l’affreuse absence d’infrastructures sportives. Il y a déjà dans la somme décrochée dans le concours, 500 millions de centimes, de quoi donner une forme à cette salle. «Faites-le et l’APW se chargera de l’équiper», s’engage sur place le P/APW. À Aguemoune, on a appris à ne pas se résigner à attendre les subsides incertains des autorités. On se prend en charge.
- Quand on aime son village…
«Vous n’avez encore rien vu», nous répète Dda Omar, pour entretenir le suspense. «Le concours ne nous a pas dicté un nouveau comportement. Ici, nous avons toujours été propres et organisés. Ce n’est pas nous qui sommes allés vers le concours, c’est lui qui est venu vers nous» tient-il à préciser.
Mais ce n’est pas pour autant que notre septuagénaire n’est pas ravi de cette consécration. «À vrai dire, je ne m’attendais pas à cela. Je me suis demandé à un moment est-ce qu’on y arrivera!», nous confie-t-il, ignorant à quelle concurrence devraient-ils se confronter.
«Mais quand on aime son village, tout est possible !», ajoute Dda Omar.
Fusil de chasse en bandoulière, costume-cravate, cet ancien émigré apporte à l’ambiance festive sa mesure de sagesse. Depuis toujours, et comme partout en Kabylie, le village se nourrit de la bénédiction de ses vieux et de ses vieilles dont la parole n’est jamais vaine.
A Aguemoune, elle pèse dans les affaires publiques et compte dans le travail de fourmis qui a permis de se distinguer des 122 autres village qui ont pris part au concours organisé par l’APW. Cela tombe bien, Aguemoune voudrait dire fourmilière en kabyle, croient savoir certains habitants. Sans devoir plonger dans la toponymie kabyle et son étymologie, il est utile de noter qu’ils sont nombreux les villages kabyles à s’appeler ainsi:
Aguemoune Nat Aissa, Aguemoune Nat Khiar, Aguemoune Nat Slimane (le village du père de Zinedine Zidane)…. Autant de fourmilières? En tous cas, la tradition de tiwizi (Touiza), ou chmel, le volontariat, qui va au-delà des travaux d’utilité publique en incluant l’aide aux nécessiteux, est ancrée en Kabylie et elle n’est pas étrangère à l’esprit des fourmilières.
Dans l’organisation sociale kabyle, un adrum est un ensemble de familles regroupées par filiations.
A Aguemoune Nat Amar, où vivent plus de 4.000 âmes, il en existe trois: At Khaled, At Harun et At Smaïl. C’est un héritage des temps lointains. «Notre village a existé depuis plus de 570 ans. Nos ancêtres se sont installés ici après avoir fui une maladie qui les décimait dans leur village d’origine, qui avait pris le nom de cette épidémie», croit savoir Salah.
Mais depuis 2010, un autre mode d’organisation est adopté en reposant sur les quartiers, supplantant le mode ancestral, sans remettre en cause son existence: Ighil Ugemmun, Lhara n wadda, Lhara ufella, Tizi…. «On a eu des difficultés à gérer iderma», nous explique Salah. Le passage d’adrum au quartier est un découpage territorial pensé pour faciliter l’organisation de la communauté en passant à une cellule moins dense, bien que le quartier peut bien être la concentration d’une partie d’un adrum. Faut-il dire que cette réorganisation est une transposition à une échelle réduite de ce que fait l’Etat dans le redécoupage administratif des collectivités locales.
- Éclosion florale
Dans cette organisation d’Aguemoune, un mouvement associatif y a pris place efficacement. Huit associations activent, chacune dans son domaine (sociale, culturelle, écologique, touristique, sportive et religieuse), dans l’équilibre et sous la conduite d’un «rssem», le règlement intérieur de tout le village, el qanoun n taddart, qui réglemente la vie communautaire avec son code de conduite et ses sanctions. «Vous aurez beau cherché à qui coller une amende, vous ne trouverez personne. Tout le monde respecte le règlement», soutient Aissa Salah, qui enseigne à l’école primaire Mohamedi Larbi du village, construite en 1967, face à l’école coloniale, abandonnée.
L’annexe de cette école, qui se trouve en haut du village, culmine à 900 m d’altitude, là où le froid et la gelée font alliance. «Pour se restaurer, les élèves doivent descendre vers la cantine de l’école du village et remonter ensuite. En temps de pluie, il m’arrive d’attendre qu’ils sèchent devant le poêle pour pouvoir commencer le cours. Pourtant, nous n’avons pas de problème de foncier, il y en a même pour construire des usines entières», assure Aissa Salah. Le P/APW a fait la promesse d’accompagner Aguemoune dans sa revendication d’avoir un groupe scolaire tout comme celle d’œuvrer à l’intégrer dans l’inventaire supplémentaire du patrimoine culturel de la wilaya.
Le village a sa mosquée depuis 1973. Elle a remplacé la petite pièce qui a longtemps été le siège de Ljamaâ ufella (la mosquée d’en haut), faisant face à la placette du vieux village où tajmaat, l’assemblée, autre espace exclusivement masculin, se réunit pour disserter sur les affaires d’Aguemoune ou prendre des décisions tranchées. Vendredi dernier, l’imam et deux sages s’y sont attablés pour recueillir les dons en pièces de monnaie et billets de banque éparpillés sur la table basse, en contrepartie d’une prière ou d’une salve de formules de bénédiction.
Derrière eux, trône une banderole de l’association féminine Timunent n tulas (indépendance des filles) qui souhaite la bienvenue aux visiteurs. Avec Tafat (lumière), elles sont deux associations exclusivement féminines à activer dans le village et à investir l’espace public. Elles y mettent toute leur énergie et leur savoir-faire. Les femmes d’Aguemoune ont mis leur empreinte dans l’embellissement, en fleurissant les voies étroites qui s’enfoncent dans le vieux village qui garde son architecture traditionnelle mais qu’amochissent les constructions non finies des alentours.
Elles ont planté, entretenu, bichonné, dessiné…. «Toutes ces fleurs que vous voyez là, ce n’est pas exclusivement pour le concours, elles étaient là bien avant», a tenu à préciser Omar, qui nous sert aimablement de guide. Le concours a, par contre, exigé de poser des pavés et de les vernir en partie. Les lieux sont beaux, un plaisir pour les yeux. C’est eux qui ont fait chavirer le cœur des jurés du concours.
- Comme des aquarelles
C’est alors que nous comprenons pourquoi Dda Omar insistait à nous prévenir que nous n’avons «encore rien vu». Les femmes ont pesé de tout leur sens d’esthétique. Femmes, jeunes filles et fillettes, belles et souriantes, ont continué à égayer Aguemoune comme des aquarelles. Elles ont toutes porté des robes kabyles vendredi, fleurissant doublement le village.
Pour accueillir le président de l’APW et sa délégation, venus en écharpes vertes pour être en symbiose avec la verdure du village, elles ont fait de chaque coin des venelles une éclosion florale et un festival haut en couleurs: musique, exposition, poèmes, chants. L’ambiance a installé les signes du festival Raconte-arts qui se doit d’y poser ses valises. Elle donne aussi un avant-goût du festival culturel Djamal Allam dont l’institution a été annoncée par le P/APW, Mehenni Haddadou.
«C’est un message fort à tous ceux qui veulent salir nos villages», a lancé Haddadou qui a aussi annoncé le lancement de la deuxième édition du concours qui consacrera le prochain village le plus propre de la wilaya.
D’ici là, Aguemoune restera la nouvelle destination touristique pour des milliers de curiosités qui ne regretteront pas de prendre la route des At Amar.
Photo: Belle empreinte verte des femmes d’Aguemoune (PHOTO : EL WATAN)
Kamel Medjedoub
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Posté Le : 28/10/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Kamel Medjedoub
Source : elwatan.com du mardi 27 octobre 2020