Elle était presque inaccessible, polluée, délestée. En trois semaines seulement, en juin dernier, et grâce au travail des bénévoles, la rivière Imaârten, dans l’un des villages d’Aokas, est aujourd’hui «écolo».
Lorsque nous la visitons aujourd’hui, difficile de croire que cette magnifique rivière était, il y a, à peine quelques mois un lieu de décharge de poubelles, polluée, couverte de déchets. C’est simplement une œuvre d’art, d’attraction pour le village, mais également un site de plus en plus visité par des touristes venus de plusieurs villes du pays.
Il s’agit de la rivière Imaârten située dans la commune de commune Tizi N’berber, à Aokas, dans la wilaya de Béjaïa. Ce même endroit ne tardera d’ailleurs pas à créer encore une autre surprise. Il abritera une piscine sauvage.
Elle sera dédiée exclusivement aux enfants, mais des espaces de verdure seront réservés aux familles. La piscine sera entourée par des barrières démontables, une fois la saison terminée. Le tout est signé Mourad Messaoudène, originaire du même village. Mais il est surtout épaulé par son équipe, désormais baptisée, comme préfère-t-il les appeler «Les pharaons». Ils sont fonceurs et pleins de volonté. Infatigables.
Mais avant Mourad, Salah Mamache est passé par là. En 2017, il érige des passerelles par ses propres moyens avec l’aide précieuse des jeunes.
«C’est surtout grâce à lui que l’impossible est devenu possible et la rivière était enfin accessible.»
Le mérite de cette seconde réalisation revient surtout aujourd’hui à ces villageois qui se sont unis pour atteindre leur objectif. Mourad Messaoudène rend hommage à cette main-d’œuvre inlassable. Sans eux, rien ne pouvait être réalisé. Mais une réalisation réussie sans même l’aide des autorités locales.
Une aide déclinée par l’initiateur qui, selon lui, fallait intervenir avant le désastre. Bénévoles et donateurs étaient présents. Du sable, du ciment, de la peinture, du matériel ou encore de l’argent, chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Mourad n’y habite plus, mais il est natif de ce village. Il y va, par contre, souvent.
Un jour, en été, en plein confinement, en voulant se baigner dans cette rivière qu’il n’a pas visitée des mois durant, il est désagréablement surpris par l’hécatombe. Décision prise: lancer une campagne de nettoyage comme première étape. Pas très compliqué de mobiliser les villageois.
Tout a commencé par ramasser des canettes de boisson, des sachets en plastique, des pots de yaourt… Il fallait aussi penser durant cette étape à nettoyer pour rendre la rivière accessible.
«J’ai commencé par nettoyer d’abord et brûler les ordures.»
Puis l’équipe vient au renfort et passe «aux choses sérieuses».
On a, en effet, construit des escaliers pour rendre la rivière plus accessible.
«Une étape importante, car, l’endroit est inaccessible pour les personnes à mobilité réduite. C’est une personne qui m’a inspiré. Un septuagénaire qui n’a pas pu descendre pour profiter des eaux claires et limpides de la rivière. Je lui ai donc promis de rendre l’endroit accessible», nous explique Mourad, qui est journaliste de formation et de métier.
Il s’est particulièrement spécialisé dans le dossier des pays du Sahel à la Radio nationale. Mais sa passion est plutôt les arts anciens et la protection de l’environnement.
Les étapes s’enchaînent. L’ancien pont de la rivière est complètement refait, relooké. Et avec l’existence de ce pont, il fallait réfléchir aux moyens de sécuriser l’endroit, d’où l’idée de la clôture. Les choses difficiles commencent alors.
- L’art
Pas question de briques et de fer.
«Un souvenir d’enfance me revient à l’esprit. Etant jeune, dans notre maison traditionnelle avant de dormir j’ai toujours contemplé ces poutres. Avec le temps, mon père a récupéré les tuiles, et les poutres y sont restées exposées au soleil 13 ans durant.»
Rien n’est perdu. Certes, ce sont des objets lourds, mais le défi en valait la peine. Une seconde vie leur a été donnée.
Trois en un, sécuriser l’endroit, protéger l’environnement et préserver les valeurs ancestrales, dont la tiwizi et l’altruisme, explique Mourad, lui qui est un passionné de l’art traditionnel. Mamache Madjid vient aussi à l’aide pour offrir d’autres poutres.
«Il faut savoir que l’équipe bénévole a fait un travail pharaonique, à savoir transporter des poutres très lourdes sur leurs épaules, qui n’est pas du tout chose facile.»
Il ne s’agit pas en effet de simple objet: des poutres centenaires en chêne zéen, ramenées par des bénévoles du mont Issek Tiwizi, en fin 1897.
Sur la rivière, une baratte est aussi installée et elle date de l’indépendance. L’œuvre raconte la générosité et le parcours des vieilles de la région. Et c’est aussi fait dans le but de rendre visible un patrimoine matériel et immatériel. Le choix n’est pas fortuit. Le retour aux objets ancestraux, faits à base de matériel naturel, reflète la volonté d’évoquer l’esprit environnemental. D’ailleurs, les visiteurs ont sûrement remarqué qu’il n’y a pas trop de «tape-à-l’œil» mais plutôt l’impression du naturel…
Aucune matière ni couleur étrangère à la rivière n’y sont «Tout émane de la région», insiste Mourad, qui précise qu’il a soigneusement veillé au «respect total des spécificités de la région, surtout que le projet a été réalisé par conscience écologique.»
«Dans mon esprit imaginaire de montagnard, la rivière est une vieille centenaire illustrée par les poutres… grâce à tiwizi. Les jeunes lui ont aussi offert une parure en argent (clôture). La vieille est protectrice. Elle écarte tout danger et protège les enfants de chutes mortelles, les jeunes l’ont récompensée en lui offrant une boucle d’oreille (escalier en bois)… la vieille est généreuse. Elle a souvent quelque chose à nous servir: sa baratte. Sur le même rocher jaillit l’eau qui passe par une corne, si la vieille, par force majeure, n’a rien chez elle, elle assouvira votre soif.»
De l’imagination, de la nostalgie, de l’esprit poétique ou philosophique…un mélange que Mourad ne tardera certainement pas à mettre noir sur blanc, lui qui a des ambitions d’écriture.
Encore plus d’ambition. L’idée de créer un «festival national de baignade en rivière» commence à lui traverser l’esprit, «une façon d’ériger d’autres passerelles culturelles entre les différentes populations, mais surtout faire sortir la région de l’anonymat».
Nassima Oulebsir
noulebsir@elwatan.com
Posté Le : 20/11/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Nassima Oulebsir
Source : elwatan.com du jeudi 19 novembre 2020