Béjaia

Rencontres cinématographiques de Béjaïa Des films et quelques tracas



Publié le 28.09.2024 dans le Quotidien l’Expression
Coup de théâtre jeudi soir! Bachir Derrais retire son film, soit la veille de sa projection, arguant que la ville qui a abrité le congrès de la Soummam «mérite mieux qu'une version altérée».

Si la 19 eme édition des RCB de Bejaia s'est ouverte dans une belle ambiance festive avec le miniconcert improvisé animé par Amazigh Kateb et kamélia Jordana,- suivi du très bon film Six pieds sur terre de Karim bensaleh- on ne peut occulter les contraintes d'ordre administratif auxquelles les RCB ont dû faire face cette année pour pouvoir programmer tel ou tel film. Un véritable casse- tête chinois, en raison notamment de la non-obtention de visa cultuel pour quelques films, liés, pourtant, à l'histoire de l'Algérie ou pour des motifs beaucoup plus bureaucratiques avec le refus de certains réalisateurs algériens d'envoyer leur film en avant-première aux RCB, au risque de le cramer, assurent-ils, au niveau des grands festivals internationaux. C'est le cas de le dire, avec Merzak Allouache qui a préféré envoyer son film Ce n'est rien inconnu au bataillon sur une histoire d'un handicapé et une dame alcoolique plutôt que son tout nouveau long métrage Premier rang qui a participé récemment au festival de Toronto. La projection du RCB a permis, néanmoins, de se faire retrouver Slim et Merzak Allouache à la cinémathèque de Bejaia. Les deux amis se sont rencontrés sur les bancs de la première école de cinéma de l'Algérie indépendante, l'INC en 1964. L'occasion était aussi de rendre hommage à Slim, le concepteur de l'affiche des RCB 2024 et de projeter le film d'Ahmed Benkamla dédié à Slim, réalisé à la fin des années 1980..
Festivals et avant-première
Aussi, lors d'un point de presse animé en matinée au café-ciné à Bordj Moussa de Béjaïa, cette question liée aux agendas des festivals, plus que d'actualité aujourd'hui, a refait surface. À la proposition de Merzak Allouache de changer les dates des RCB pour bien se positionner lors des grands festivals, Hakim Abdelfettah co-programmateur des RCB, répondra, en estimant qu' «au contraire c'est aux réalisateurs et, notamment producteurs algériens de faire un geste fort.». Et de faire remarquer: «Je lance un appel aux réalisateurs algériens pour défendre une avant- première de leur film, d'abord, dans leur pays, avant d'aller au Mena. Si vous voulez défendre les RCB faites ce geste fort et envoyez nous vos films en avant- première». Et Merzak Allouache de répondre arguant ne pas être d'accord avec ça: «Le problème réside dans le fait qu'on ne peut pas refuser les aides qu'on a, pour aller jusqu'au bout et faire un travail professionnel. Montrer son film en Algérie en avant- première c'est une chose, mais le montrer dans un festival algérien en avant-première c'est une autre chose. Le ministère de la Culture a voulu que je présente en avant-première mon dernier film, avant le festival de Toronto, j'ai ramené le matériel, ils ne l'ont pas fait, ce n'est pas mon problème. Le festival de l'Arabie Saoudite, comme tous les festivals de catégorie A, n'interdit pas de montrer ton film dans ton pays, mais pas dans un festival. Ils veulent garder la priorité c'est tout. Je ne vois pas en quoi c'est gênant que Béjaïa retarde d'un mois le festival. Les JCC ont vu que beaucoup de films allaient passer sous leurs yeux, ils ont dû retarder leur festival de quelques jours.» Si la programmation se veut bonne comme à chaque fois déjouant ainsi les règles de la censure, cette année les RCB ont du subir de nouveaux coups durs.

Ben M'hidi déprogrammé par son réalisateur
On citera la déprogrammation, à la dernière minute, de Larbi Ben Mhidi la veille de sa projection par Bachir Derrais, le réalisateur lui -même qui estimera que la ville où s'est tenu le congrès de la Soummam ne mérite pas la projection d'une «version altérée». Coup de théâtre! D'autant que beaucoup attendaient avec impatience ce film, qui, vraisemblablement porte le saut de la poisse! Fort heureusement, ceci est loin de décourager les RCB qui, en 19 ans ont dû essuyer des vertes et des pas mures, tout en sachant rebondir avec dignité. Aussi, à la place du film de Bachir Derrais, il a été décidé pour la soirée du vendredi 27 septembre de prolonger le débat sur la situation de Ghaza en projetant différents films liés à cette thématique et ainsi prolonger la réflexion suscité par la partie « Some strings», qui est déjà un hommage consacré à la Palestine meurtrie. «Audace, liberté, identité et transmission intergénérationnelle» sont entre autres, autant de thématiques entretenues par les cinq courts métrages projetés au courant de l'après-midi de jeudi. «Les courts-métrages Prince de la ville d'Amina Krami et Kevin Koch, Aïcha de Coralie Lavergne, Après le soleil de Rayan M'cirdi et La voix des autres de Fatima Kaci explorent chacun à leur manière les thèmes liés à l'identité et des racines.» affirme t-on.

Exil, racine et identité
« Dans Prince de la ville, le jeune Hamid est confronté à son père algérien, longtemps absent, qui remet en question ses idées de foyer et de famille. Aïcha nous plonge dans la vie d'Elsa, une jeune fille de 12 ans, dont la rencontre avec son grand-père algérien bouleverse sa relation avec sa mère. Après le soleil, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2024, est un road movie familial qui retrace le voyage d'une famille algérienne des banlieues parisiennes à Marseille. Enfin, La voix des autres suit Rim, une traductrice tunisienne en France, qui traduit les récits tragiques des demandeurs d'asile, tout en étant confrontée à ses propres fantômes. Ensemble, ces films évoquent les liens intergénérationnels, esquissant un portrait collectif de la quête de soi, là où les origines ne cessent de résonner.» soutient -on.
En effet ces cinq films, plutôt intimistes, racontent des réalités plutôt françaises liées à l'immigration, celle de ces personnes aux origines diverses qui tentent soit de retrouver leurs origines perdues ou de s'en sortir par l'immigration comme c'est le cas dans l'excellent film tragique de Fatima Kaci. Un film très documenté qui oscille entre documentaire et fiction, dévoilant ainsi les dessus des demandes d'asile politique. « Le film n'est pas explicatif. On suit le parcours du personnage d'Amira, cette interprète. On va essayer de comprendre le système des demandeurs d'asile, moins le parcours de ces gens. Parce que c'est un huis clos. Tout se passe au bureau. L'idée était de raconter la manière dont on trit des vies, des personnes, en fonction d'où ils viennent, en fonction de certains critères etc et comment à ces gens-là, on demande de raconter leur histoire. Tout est fait pour qu'ils ne racontent pas leur histoire telle qu'ils ont vécue, mais selon un récit formaté. C'est un film plutôt sur un système. Le personnage de l'interprète est très important par ce que c'est une femme à qui ont demande de traduire ces gens-là, parce qu'elle vient de ces endroits- là, et en même temps, cette femme est confrontée à une morale, une éthique car elle sait que leur parole ne sera jamais vraiment entendue. C'est ce tiraillement -là que vit Amira». Pour la comédienne Rim Chebli qui incarne Amira «ce film au-delà du personnage de l'interprète est juste témoin de la froide objectivité de l'administration.». Mention spéciale pour cette comédienne en tout cas qui récite son discours au scalpel et incarne son personnage haut la main. Une femme qui est d'autant plus maman dans ce récit qui évoque l'humanité malmenée, alors qu'elle-même a tenté de s'en sortir en s'exilant en France. Un film qui donne la voix ainsi à ces damnés de la terre, ces oubliés dans la marge, qui au détour d'une guerre qu'ils n'ont pas demandée vont se retrouver à quémander un asile politique au détriment de leur vérité pas souvent écoutée. Un film très émouvant. Autre film bouleversant, qui oscille cette fois, entre candeur et tragédie est 118 Télémly de Bilal Behoura qui, après la mort de son père, retourne en Algérie à la quête de son passé. Celle-ci est intiment liée à l'histoire du métal en Algérie, entre ses belles années de gloire et sa décadence. Un genre de musique qui, paradoxalement, a connu son apogée durant les sombres années de terrorisme. Ainsi un groupe d'amis amoureux de Métalica et du film Terminator se retrouvent pour écouter, jouer et se prêter des K7 de métal. Ils passaient leur temps ainsi à tuer le temps adossés qu'ils étaient aux murs du 118 télémly, en rêvant de fonder un jour leur propre groupe d'où le titre du documentaire. Faire du métal était une façon transgressive pour exprimer leur ras(le- bol et affirmer leur existence, bien qu'ils n'avaient pas réellement conscience de cela à l'époque. Un film attendrissant et dramatique, d'autant qu'il évoque aussi l'exil en France du réalisateur et sa mère, journaliste de son état, qui ont dû fuir l'Algérie à cette époque. Aussi, le réalisateur revient ainsi sur les pas de son passé, en rapport avec la musique métal, qui traduisait le malaise d'une génération en révolte contre cette violence qui prenait de l'ampleur en Algérie. Pour ce faire, Bilal Beghoura interviewera les deux figures emblématiques du métal en Algérie entre passé et présent en la personne de Redouane du groupe Litham et Ramzy Curse. Ou comment faire l'état des lieux d'une Algérie sanglante partant d'une passion qu'est la musique death et heavy métal!
O. HIND



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