Un tour au marché. Se laisser allécher les babines devant les étals de « halaouiyate » astucieusement présentées. Longer avec une excessive nonchalance les rues marchandes, faire un tour pour les férus de senteurs iodées du côté de la jetée à Sidi Abdelkader, ou à la pêcherie pour se délecter les yeux du spectacle offert par les chalutiers au moment où ces vieux rafiots franchissent la passe, pénètrent dans la rade, accostent dans le môle encombré déjà de vieux métiers, et délestent leur ventre de casiers de sardines, chinchards, petits rougets et crustacés dont les plus coriaces manifestent encore quelques signes de vie.
Voilà un peu l’occupation que les Bougiotes collent à leur esprit pour griller les derniers instants qui les séparent du f’tour. Le topo qui meuble les journées ou plutôt les après-midi à Béjaïa cède la place en soirée avec en premier le « presse serré » ; celui-là est sacré, au café du quartier. Puis, pour la grande majorité, si ce ne sont pas les taraouih, faire les cent pas, histoire de digérer. Ces sorties sont aussi l’occasion de se retrouver, de revoir une tête enfouie jusque-là on ne sait où. On tient alors de longs conciliabules, en témoignent, de Amriou au Rond-Point de la poste, sur la principale promenade animée de Béjaïa, ces joyeux attroupements où le speech est plaisamment alimenté par le plus hâbleur du groupe. Amriou et Rond-Point de la poste, ces deux limites du déambulement distantes de près de 4 km, sont aussi les deux seuls endroits où l’autorité de la ville a daigné mettre un peu du sien en organisant des spectacles. Le premier lieu, emplacement de la Maison de la culture, est à chaque veillée ravivé de soirées musicales. Sur la scène, montée sur le parvis même de l’établissement, se produit jusqu’à une heure avancée de la nuit longue, une brochette de chanteurs locaux et de stars connues dans le monde du chaâbi, du kabyle, du raï, du rap, au grand bonheur des nombreux spectateurs (on s’amène de toutes les contrées environnantes) qui rempliront à l’extrême limite, jusqu’aux bords des trottoirs, l’esplanade. Chacun y trouvera son goût sans débourser un sou. Il y a lieu toutefois de signaler que dans cette immense place, on n’a pas pensé réserver un endroit pour les familles. Aussi, celles-ci ne se hasarderont pas à se mêler à la masse juvénile par crainte d’éventuels excès. Elles ne feront donc que passer. Elles se consoleront tout au moins par un tour à l’éternelle et typique braderie de la grande surface du lac. A l’autre borne, au Théâtre régional (TRB), un programme de galas et de représentations théâtrales pour ceux qui préfèrent plutôt les spectacles en salle, bien dans un douillet fauteuil. Mais, mis à part ces deux lieux, le comité des fêtes de la ville n’a pas trouvé idée de donner un peu de réjouissance à ces quartiers sans âme : les grands faubourgs des Bâtiments, de Sidi Ahmed, Ihaddaden, Tarza Ouzemour… Des lieux mythiques qui représentaient, autrefois dans un passé récent, de grands pôles d’admiration (le cas de la place du 1er Novembre), sont devenus de pathétiques déserts. Certains artistes locaux même se plaignent d’avoir été ignorés par le Comité des fêtes de la ville (CFVB) ; ils auraient pu être engagés pour suppléer à l’animation là où elle faisait défaut. Une bonne note pour saluer en ce sens l’initiative de deux jeunes gens de Sidi Soufi, Mouloud Bouchekoura et Rachid Aizel, qui, sans grands moyens ni aucune aide, ont fait revivre la place de la mosquée en organisant des soirées chaâbi avec, à l’affiche, des noms connus sur la scène locale et des cheikhs invités d’Alger et de Blida. Scène agréablement parée à la manière des antiques « mandouli ». Comme on dit ici (on dit alli à Alger ou hafla ailleurs). Tables basses surmontées de « l’aouani » (plateaux de cuivre et ornées de bouquets de fleurs. Effluves de thé à la menthe embaument l’air. Touchiyates, qacidates et emballement léger enchantent les nombreux spectateurs présents. Chaude ambiance (on ne force point sur les décibels pour ne pas déranger la quiétude des riverains ) qui rappelle, pour les nostalgiques, les soirées fastes du chaâbi organisées dans les cafés des vieux quartiers de la ville, mais aussi qui rappellent les parties de « djib el khatem », ces longues parties où deux équipes disposées des deux côtés d’une lignée de 3 ou 4 tables à la terrasse d’un café se font le plaisir, dans une atmosphère de réel suspense, de confondre la main adverse qui cache la pièce, objet du jeu. Il y avait les tournois de dominos et de belote avec pour mise, un amoncellement de tablettes de chocolat Et il y avait aussi les kermesses, la revue de la prestigieuse fanfare de la ville... On aura remarqué durant ce Ramadhan un flux de « noctambules en mal de distractions, descendre des villages environnants (Oued Ghir, Toudja, Tala Hamza...) et même des grandes agglomérations de la vallée de la Soummam (El Kseur, Sidi Aïch, Timezrit, Chemini... ). Le phénomène est visible à observer le cortège de fourgons et de voitures empruntant, après le f’tour, la RN 12 en direction du chef-lieu de wilaya. Preuve donc qu’il n’y a pas que les quartiers de la périphérie de Béjaïa qui ont soif d’animation.
Posté Le : 22/10/2006
Posté par : hichem
Ecrit par : R. Oussada
Source : www.elwatan.com