Le dos voûté sous le poids du gibier chassé, le groupe de chasseurs gravit lentement la pente raide menant vers la grotte. Un énorme quartier de rhinocéros sur les épaules, celui que tout le monde appelle «Amoqrane», le chef du clan, ouvre la marche, la large peau de bête qui le couvre jusqu’aux genoux dégoulinant de sang coagulé. Tout en haut de la montagne, à l’entrée de la grotte, le reste du clan, composé de femmes, d’enfants et de vieillards les attendent. Des cris de joie gutturaux saluent bruyamment le retour triomphal des chasseurs partis à l’aube. Aguellid N’waman, «Dieu de l’eau», source de toute vie, s’est montré généreux avec le clan en lui accordant de nombreuse prises. Ce soir tout le monde mangera à sa faim.
Un pas hors du temps
Cette scène imaginaire aurait très bien pu se passer il y a plusieurs milliers d’années sur le flanc sud de Gueldaman. Si nous ne savons pas encore grand-chose de ses lointains ancêtres dont nous ignorons presque tout du mode de vie, des moyens de subsistance et des croyances, la grotte, par contre, est toujours là. Conservant jalousement dans ses entrailles son trésor d’archives sédimentaires plusieurs fois millénaires et riches d’informations. Elle ne se donne à voir qu’aux plus hardis, capables de se hisser jusqu’à atteindre les crêtes dentelées du Gueldaman sous lesquelles elle cache son entrée. Nous sommes sur le territoire de la commune de Bouhamza, près du village de Bouhithem, à quelques encablures de la ville d’Akbou, plus exactement sur le versant sud de ce massif calcaire aride qui s’étire comme un dinosaure géant le long de la rive droite de la Soummam. Une montagne connue sous le nom de Gueldaman et dont l’origine ferait référence à «aguelid» et à «aman», qui serait une divinité liée à l’eau.
Une piste en zigzag fraîchement tracée par des bulldozers mène vers notre fameuse grotte préhistorique. Elle permet à une équipe d’archéologues du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), menée par Farid Kherbouche, d’accéder avec un véhicule tout-terrain tout près de l’entrée de la grotte. En bout de piste, c’est une autre histoire qui commence. Il faut gravir une côte raide à tomber à la renverse avant d’escalader une paroi rocheuse d’une vingtaine de mètres en s’aidant d’une corde attachée à un lentisque buissonnant.
Au bout de tant d’efforts, la récompense est là. Passé la magnifique entrée voûtée longue d’une dizaine de mètres, une grotte immense vous accueille avec une fraîcheur revigorante qui vous fait oublier les 42 °C de cette journée caniculaire de juillet. En y pénétrant, nous avons le sentiment étrange de faire un pas hors du temps pour accéder à un autre monde.
Découverte de deux autres grottes
La galerie principale de la grotte est immense. Des stalactites géantes descendent du toit à la rencontre de stalagmites imposantes. Des chemins mènent vers d’autres galeries que nous n’aurons pas pour cette fois-ci l’occasion d’explorer. Cela fait quelques jours que les chercheurs ont commencé à prendre possession des lieux, délimitant les espaces et balisant les allées.
Si la grotte de Gueldaman a été «retrouvée», c’est grâce à la passion qui anime Farid Kherbouche. Elle a déjà fait l’objet de fouilles dans les années 1920 par des chercheurs français qui ont publié une notice dans le Bulletin de la Société préhistorique française de 1926. A partir de ces lectures, Farid, enfant d’Akbou, a sillonné la région afin de localiser cette mystérieuse grotte.
La chose n’était pas aisée quand on connaît le relief accidenté du Gueldaman. A force de ténacité, Farid a fini par repérer le site. Les premières constations faites sur le terrain l’ont convaincu que la grotte conserve des zones entières encore inexploitées. Prêchant des convaincus, il a fallu ensuite persuader les responsables du CNRPAH de s’y investir. C’est ainsi que deux campagnes de fouilles fructueuses ont été menées en 2010 et 2011. Ces fouilles ont confirmé le fort potentiel archéologique du site et permis la découverte de deux autres grottes mitoyennes présentant des vestiges d’occupation humaine. Banco ! Ce n’est pas tous les jours que des archéologues algériens mettent la main sur un site d’une telle importance.
Importante documentation archéologique
Pour les chercheurs d’aujourd’hui, les fouilles réalisées dans les années 1920 sont un désastre, qu’il faut, avec une certaine philosophie, replacer dans l’esprit de l’époque. Des tranchées ont été creusées et les déblais laissés sur place. Cela a quelque peu déstabilisé le remplissage dans son unité. Le professeur Slimane Hachi, que nous avons rencontré sur place, nous précise qu’il fallait d’abord déterminer à quel locus creuser.
«Après avoir effectué le relevé topographique et la coupe stratigraphique, repéré les tranchées creusées en 1924/26, nous avons déterminé à quel endroit nous investir et procédé enfin à l’ouverture d’une vraie fouille», dit-il. Pour pouvoir fouiller les zones présentant des dépôts en place, il a fallu d’abord dégager les sédiments remaniés. Ces derniers ont été tamisés à sec sur place et débarrassés de toute la documentation archéologique résiduelle qu’ils contenaient. Celle-ci est ensuite transportée à l’école de Bouhithem où l’équipe archéologique a établi son QG. Les premières analyses se font sur place au laboratoire de campagne. Les objets sont généralement lavés et séchés, à l’exception de la céramique et des objets fragiles.
Les objets archéologiques provenant des carrés de fouilles sont coordonnés, photographiés et dessinés in situ. Ils subissent le même protocole. Les sédiments de la fouille sont systématiquement tamisés à l’eau et les restes végétaux sont prélevés par flottation. Le tamisage est très fin. Ainsi, il permet de recueillir les plus petits indices, comme les petites dents, les graines, les restes osseux de micromammifères, des charbons de bois, des petits éclats de taille, des esquilles osseuses, etc. Les analyses de laboratoires se font à Alger, au Cnrpah, et dans des laboratoires étrangers avec lesquels le Cnrpah est lié par des contrats de convention, comme l’université de Toulouse, qui a délégué le professeur Michel Barbaza sur le site, ou le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) à Paris. Une importante documentation archéologique a été recueillie.
Elle comprend plusieurs centaines de dents et restes osseux déterminables appartenant à diverses espèces animales, des tessons de céramique, de l’industrie lithique comprenant plusieurs outils, etc. Les chercheurs parlent déjà d’une importante et très riche industrie osseuse. Cela veut dire que ces ancêtres travaillaient l’os pour en faire des outils. Sur place, on a également retrouvé des éléments de parures en coquillages, des aiguilles en os, des pointes de flèche en silex, des burins à silex, du matériel de broyage ainsi que de l’outillage domestique. Chaque objet trouvé est marqué d’un numéro d’identification.
C’est ainsi que la grotte du Gueldaman restitue peu à peu ses secrets. Comme un immense puzzle qui se reconstitue tout doucement, chaque objet exhumé nous apprend un petit bout de l’histoire de ses lointains ancêtres.
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Posté Le : 13/09/2011
Posté par : infoalgerie
Source : city-dz.com