Béjaia - 08- La guerre de libération

50e anniversaire du congrès de la Soummam, Comme une vague déferlante



Depuis les débats, au Comité central (CC), sur le démantèlement de l’OS (Organisation spéciale), en décembre 1950, la lame de fond qui devait l’anéantir n’a pas cessé de se développer et les ressentiments de s’exacerber au sein du PPA/MTLD. Le mouvement national haletait, essoufflé au bout d’un parcours chaotique et tourmenté par la traque que lui livrait la police colonialiste et miné par ses propres contradictions internes. Un drame se dessinait. Les acteurs étaient Hadj Messali frontalement opposé au Comité central.
Le culte messianique grandissant du leader, guère âgé de plus de 53 ans, avait fini par agacer sérieusement un nombre sans cesse croissant de militants de premier plan qui estimaient la centralisation de la décision injustifiée, le système de cooptation népotique et le débat politique stérile. Le devenir du Parti s’assombrissait et l’implosion était imminente. Hocine Lahouel, membre du premier cercle du « zaïm », dans les années 1940 démissionnera de son poste de secrétaire général du MTLD, suite à des heurts sévères, successifs avec celui qui se considérait comme l’incarnation vivante du nationalisme (mars 1951). En 1950, l’OS, la branche paramilitaire du PPA/MTLD, laborieusement maillée, depuis décembre 1947, avait fait l’objet d’un détricotage spectaculaire par la police coloniale, suite à une lamentable bavure de militants contre un des leurs à Souk Ahras. Cette catastrophe politique révélait en fait la fragilité de cette structure et la vulnérabilité des réseaux clandestins du Parti. L’arrestation massive de plusieurs centaines de militants, politisés, parfaitement formés et aguerris, semblait compromettre les lendemains. Ces revers, ajoutés à la tuerie de mai 1945, avaient sapé le moral des plus rompus. Jamais sans doute, l’hypothèse de l’engagement armé pour l’indépendance, objectif que caressaient des générations de partisans depuis des décennies, ne semblait aussi éloignée. Pourtant, certains, enhardis par les morsures de l’injustice et la virulence de la misère, avaient pris le maquis dès le lendemain des massacres du 8 mai. Quelques-uns, qu’on affublait du titre de « bandits d’honneur », qui n’étaient pas forcément structurés dans un parti, avaient déjà donné le baroud dans les montagnes. Ombres furtives dans l’histoire, ils ne sont chantés que par les refrains populaires qui ont immortalisé les « menfi » (bannis). La constitution du Front algérien pour « la défense et le respect des libertés » (25 juillet 1951), rassemblant, comme au temps des Amis du manifeste et de la liberté (AML,’’14 mars 1943’’) toutes les tendances, avec les communistes en plus (MTLD, UDMA, Oulémas, PCA) aboutira à une cacophonie qui n’aura, en tous les cas, pas rapproché les points de vue et semblait éloigner les plus radicaux qu’on appelait « les lourds » de leur projet : le déclenchement. L’irrésolution du MTLD, partagé entre l’électoralisme immunogène des uns et l’audace, souvent la témérité, des autres, désireux d’en découdre avec le colonialisme pour en finir, quelle qu’en soit l’issue, – la victoire ou la mort – plongeait la vie politique dans une aboulie asphyxiante et néfaste pour le moral des militants et l’engagement des populations. Le 25 février, c’est Messali, conscient, de ce à quoi il exposait le parti, qui voulant réaffirmer et/ou de restaurer son autorité, prendra sur lui de crever l’abcès en contestant, en septembre 1953, après le 2e Congrès du MTLD (4 au 6 avril), la direction qui en avait été dégagée. Il était aussi conscient de l’audience qu’il avait auprès de la base, mais peut-être, n’avait-il pas suffisamment pris la mesure de la résolution de ses adversaires d’aller jusqu’au bout et consommer la rupture. Elle fut brutale et définitive. Une réaction en chaîne, sans précédent, ébranlera la galaxie nationaliste. Sid Ali Abdelhamid, membre du bureau politique du MTLD depuis 1947, se rappelait dans un entretien à El Watan (1) : « Il fallait agir d’urgence pour éviter l’éclatement définitif. C’est cela qui nous a amenés à réfléchir pour trouver une solution qui permettrait la reprise immédiate des activités. »

Naissance du CRUA

Lahouel et moi-même avons eu l’idée avec Boudiaf de créer le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action, le CRUA. Son programme était contenu dans son intitulé L’Unité puis l’Action. La première réunion à laquelle Lahouel avait convié Boudiaf, s’est tenue au 11, rue Marengo, à Alger. C’était en mars 1954. Nous avions mis à plat tous les problèmes qui se posaient, puis, nous avions suspendu la réunion pour la reprendre à la médersa Er Rashed le 23 mars. Pour cette nouvelle rencontre, nous nous étions adjoint Mohamed Dekhli et Ramdane Bouchebouba. Le CRUA a été fondé le 23 mars 1954 à la médersa Er Rashed. Il ne s’agissait pas, au départ, de passer immédiatement à l’action. Dans notre esprit, il était d’abord nécessaire d’unifier nos forces et ce n’est que par la suite que nous devions envisager une insurrection. Malheureusement, nous ne nous sommes pas entendus. Lahouel et moi-même, autrement dit « les centralistes », bien que nous ayons agi à l’insu du Comité central, d’un côté et de l’autre, Boudiaf, Ben Boulaïd, Bouchebouba et Dekhli. Ces deux derniers se retireront après. « Suite de cette mésentente, eux ont continué avec d’autres militants et ils ont accéléré le processus du déclenchement, alors que, de notre côté, nous nous efforcions de réunifier les rangs » (…) 8 mai : Victoire des Vietnamiens contre les Français à Diên Biên Phû. 22 juin : 22 militants, anciens de l’OS, se réunissent à El Madania (Alger), sous l’égide du CRUA, chez Lyès Derriche, une initiative de Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat, Boudiaf et Didouche Mourad. A l’ordre du jour : La crise qui secoue le parti et la situation que vit l’Algérie sous la férule colonialiste. Après un débat houleux où les partisans de l’action immédiate affrontaient ceux qui étaient pour une préparation plus minutieuse de l’insurrection, les premiers l’emportent. Le déclenchement est décidé. Boudiaf est désigné comme coordinateur national après un vote. « Le groupe des 22 » se donne une direction de 5 membres : Mostefa Ben Boulaïd pour les Aurès-Némemchas, Larbi Ben M’Hidi pour l’Oranie, Rabah Bitat pour l’Algérois, et Didouche Mourad pour le Nord-Constantinois. En septembre 1954, ils seront rejoints par Krim Belkacem qui dirigera la Kabylie. Le « Comité des six » est ainsi créé. A ces derniers, il convient d’ajouter Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider qui se trouvent au Caire et qui formeront la Délégation extérieure 13-15 juillet : Les messalistes réunis en congrès du MTLD à Hornu en Belgique élisent leur leader comme « Président à vie ». 31 juillet : La Tunisie accède à l’autonomie interne. 13 au 16 août : Les centralistes se réunissent en Congrès à Belcourt. Ils dénoncent « l’Assemblée fractionnelle » de Belgique. Ils ne reconnaissent plus l’autorité de Messali et excluent Moulay Merbah et Ahmed Mezerna. 23 octobre : Les 6 dirigeants du CRUA tiennent à Alger leur ultime réunion. Ils apportent les dernières retouches à la proclamation du 1er Novembre qui sera ronéotée à Ighil Imoula. Ils se séparent en se fixant rendez-vous pour janvier 1955. Lundi 1er novembre 1954, minuit : La proclamation du 1er novembre est distribuée à travers tout le territoire algérien. Des commandos entrent en action. Ils signent leurs opérations d’un sigle qui allait devenir mythique auprès de tous les peuples épris de liberté : FLN/ALN. La guerre de Libération nationale commence en Algérie. 4 novembre : Mort au champ d’honneur à Cassaigne (aujourd’hui Sid Ali, région de Mostaganem), à l’âge de 26 ans, de Ramdane Benabdelmalek (membre des 22). Né à Constantine en 1928, il avait tout juste 14 ans lorsqu’il adhérait au PPA clandestin en 1942, avant de devenir membre de l’OS en 1948. Arrêté en 1952, il s’évade, il devient responsable MTLD de la région de Nemours (Ghazaouet). Membre des 22, il devient adjoint de Ben M’hidi avec le déclenchement. Trahi, après l’attaque d’une ferme à Bosquet (Hadjadj), le sabotage d’un transformateur électrique à Ouillis qui porte désormais son nom, et un raid sur la gendarmerie de Cassaigne, il sera un des tout premiers combattants à tomber les armes à la main après le 1er novembre. 5 novembre : Les autorités françaises dissolvent le MTLD. Ses dossiers sont confisqués et ses militants arrêtés. Dans une lettre ouverte à Mitterrand, publiée par Alger Républicain, Benyoucef Ben Khedda, secrétaire général du Comité central du MTLD, écrit : « Les causes du drame doivent être recherchées dans la condition faite au peuple. La politique d’assimilation a fait faillite, il faut s’orientr vers une politique d’apaisement : cesser la répression. Accorder une large amnistie et surtout que tous jouissent des libertés démocratiques. » 8 novembre : Arrestation de Benyoucef Ben Khedda. 9 novembre : Devant l’Assemblée nationale, Mendès France, président du conseil déclare : « On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable… Entre elle (l’Algérie) et la métropole, il n’y a pas de sécession concevable. Cela doit être clair une fois pour toutes et pour toujours, aussi bien en Algérie et dans la métropole qu’à l’étranger… …Plusieurs députés ont fait le rapprochement entre la politique française en Algérie et en Tunisie. J’affirme qu’aucune comparaison n’est plus fausse, plus dangereuse. Ici c’est la France ! » C’est l’union sacrée, Mendès France est applaudi par tous les députés de la gauche à l’extrême droite. Le vote de confiance est accordé à son gouvernement. Il est appuyé notamment par la vingtaine de voix contrôlées par le lobby pied-noir mené par René Mayer, conforté par la profession de foi : « Ici, c’est la France. »

Propagande colonialiste

15 novembre : Des tracts sont largués sur les Aurès. Ils appellent « la population algérienne » à se démarquer des « agitateurs parmi lesquels des étrangers ». « Musulmans ! Vous ne les suivrez pas et vous rallierez immédiatement les zones de sécurité avec vos familles et vos biens. L’emplacement de ces zones de sécurité vous sera indiqué par les troupes françaises stationnées dans votre région et par les autorités administratives de douars. » Ces « emplacements » deviendront les sinistres « camps de regroupement ». S’adressant aux « hommes » qui se sont « engagés sans réfléchir », la propagande colonialiste leur enjoint de se rendre car « bientôt, un malheur terrifiant s’abattra sur la tête des rebelles… » 18 novembre : Badji Mokhtar (membre des 22) tombe au champ d’honneur, à Maoudjez Essaffa (Souk Ahras), à l’âge de 35 ans. Né à Annaba, ancien lycéen à Souk Ahras, membre des Scouts musulmans algériens (SMA) avant d’adhérer au PPA en 1943, il a milité dans l’OS. Arrêté lors du coup de filet de 1950, il a été condamné à cinq années de prison. Libéré après trois ans d’incarcération à Orléansville (Chlef), il rejoint Souk Ahras pour poursuivre l’action patriotique. Membre du CRUA, arrêté de nouveau le 30 octobre 1954, il parvient à s’échapper. Le 1er novembre, il participe aux opérations de sabotage sous le commandement de Didouche Mourad. Son engagement est tel, témoignent ses compagnons, qu’il utilisera l’argent de son héritage pour l’acquisition d’armes et de munitions. 21 novembre : Apparition des premiers « camps de regroupement », en fait, d’immenses stalags ou plutôt des « camps de concentration » dans lesquels seront massés 2 600 000 Algériens. Ces « regroupements » massifs de populations rurales constituées de femmes, de vieillards et d’enfants faméliques étaient destinés isoler l’ALN du peuple (« retirer l’eau au poisson »). Ces « villageois » d’un type nouveau seront soumis à un traitement inhumain dans près de deux mille villages et ce jusqu’à l’indépendance. Il faut également compter les milliers de réfugiés qui ont fui vers le Maroc et la Tunisie. 26 novembre : Ferhat Abbas déclare devant l’Assemblée algérienne : « …A aucune époque de l’histoire de l’Algérie, le fellah n’a été plus bafoué, plus méprisé… » Laquière, le président de l’Assemblée, l’empêche de monter à la Tribune. Ahmed Francis (député UDMA) s’exclame : « Vous parlez de paix française, espérons qu’il ne s’agit pas de la paix des cimetières. » Bachir Brahimi, depuis deux ans au Caire, demande au recteur d’El Azhar « de proclamer la guerre sainte contre la France, en raison de son agression contre l’Algérie musulmane ». 3 décembre : Proclamation par Messali Hadj, de la création du Mouvement national algérien (MNA) 7 décembre : François Mauriac dénonce « un racisme particulièrement immonde, le racisme policier ». 22 décembre : Arrestation des dirigeants du MTLD. 1955 : La délégation du FLN s’installe au Caire, au 32, rue Abdelhaq Sarouet, au 3e étage. Elle partage les locaux avec d’autres mouvements. Pour Gamal Abdel Nasser le FLN algérien n’est qu’une section du Comité de libération de l’Afrique du nord (CLAN). Les délégués algériens voisinent avec Allal El Fassi responsable de l’Istiqlal (Maroc) et du Tunisien Salah Ben Youcef.
 Des Européens de Tunisie agressent Ben Bella au poignard, dans un hôtel à Tripoli (Libye). 11 janvier : Dans l’Express, François Mauriac dénonce la pratique de la torture en Algérie. 18 janvier : - Mort au champ d’honneur à Condé-Smendou, de Didouche Mourad, membre du comité des "six". Zighout Youcef lui succède.
 Après cinq ans de prison, pour « atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de la France », Abane Ramdane est libéré. L’ancien responsable du PPA/MTLD pour la wilaya Sétif-Bougie s’empresse, dès son retour à Azouza, son village natal, de contacter Krim Belkacem et Amar Ouamrane, qui sont les plus anciens maquisards de la région. Mabrouk Belhocine relate ainsi son arrivée dans les rangs du FLN (2) : Ancien responsable, « intellectuel », bachelier depuis le début des années 1940, quelle tâche lui confier ? Pardi celle de scribe, selon la tradition. On propose donc à Abane de s’installer à Alger auprès de Bitat responsable de l’Algérois et de s’occuper de la propagande. En un mot et comme on dit vulgairement « jouer de la flûte ». Abane accepte et se dit in petto « musique pour musique, pourquoi pas chef d’orchestre ? » L’arrestation de Bitat, le 23 mars, va lui en donner l’occasion. A la guerre comme à la guerre. Un chef tombe, il faut le remplacer (…) (…) Abane ne perd pas son temps. Après l’arrestation de Bitat, il faut parer au découragement des militants. Une semaine après, le 1er avril 1955, il publie un tract, le premier texte diffusé au nom du FLN depuis la proclamation du 1er novembre. 19 janvier : Opération « Véronique » pour ratisser le djebel Khaddou (Aurès). 5000 soldats, l’aviation, les blindés et l’artillerie sont engagés dans les combats. 1er février : Jacques Soustelle est nommé gouverneur général. Il reçoit pour consignes de procéder à des réformes (application du statut de 1947) et faire preuve de « fermeté ». 5 février : Sous la pression du puissant colonat d’Algérie : Blachette, Borgeaud, Schiaffino, René Mayer notamment, le gouvernement Mendès France est renversé. 13 février : Alors qu’il voulait rejoindre la délégation extérieure pour réclamer des armes, le colonel de la zone 1 Mostefa Ben Boulaïd (membre du comité des "six"), est arrêté à Ben Gardan à la frontière sud tuniso-libyenne. Il est conduit sous bonne garde vers Tunis avant son transfèrement à la prison de Constantine. Ben Boulaïd est interrogé dans une villa de la banlieue de Tunis, réquisitionnée par la DST, par le commandant Vincent Monteil. Ce dernier fera son rapport à Jacques Soustelle une fois de retour à Alger. Selon Vincent Monteil, les discussions qu’il a eues avec Ben Boulaïd révèlent que la situation politique est grave et elle le deviendra de plus en plus si on ne prend pas d’urgence des décisions « susceptibles de sauver le présent et de préparer l’avenir ». Il faut, ajoute Monteil, établir un dialogue direct non seulement avec toutes les personnalités représentatives de l’opinion musulmane, mais avec divers nationalistes détenus, dont Ben Boulaïd et d’autres, pour que Français et Algériens examinent ensemble comment faire entrer dans les faits, très vite, la première mesure qui s’impose : l’application intégrale du statut de l’Algérie de 1947.
 Soustelle déclare à l’Assemblée algérienne : « La France ne quittera pas plus l’Algérie que la Provence ou la Bretagne, un choix a été fait par la France, ce choix s’appelle l’intégration. » 22 mars : Arrestation de Rabah Bitat, membre du comité des "six". Mars-Avril : Le bilan fait par le cabinet Soustelle de la situation sociale en Algérie révèle que plusieurs millions d’habitants musulmans vivent avec 1500 francs anciens, 1500 centimes par mois, soit 1/10e du salaire moyen français. Un adulte sur sept vit en France, car il y trouve un emploi. Moins de 26 000 colons possèdent 2,6 millions d’hectares des meilleures terres, soit en moyenne 1000 hectares par colon. 4 millions d’hectares de terres médiocres sont réparties entre 800 000 fellahs, soit, en moyenne, 5 ha par fellah. Enfin, au niveau d’Alger, 40% des enfants tuberculeux viennent d’Alger et 275 000 enfants sont scolarisés, soit 1/10e des enfants en âge de l’être (3). 1er avril : Vote de l’Etat d’urgence pour six mois dans certaines régions du territoire algérien : Aurès et Kabylie, 1 million et demi d’Algériens sont concernés. Tentatives de négociations entre le FLN et le MNA à Alger, au Caire et au maquis. 18-24 avril : Conférence afro-asiatique de Bandoeng, les conférenciers expriment leur solidarité avec l’Algérie combattante. 23 avril : -Etablissement en Algérie de la censure préalable.
 Création des Sections administratives spécialisées (S.A.S). C’est le lancement de la politique de « la carotte et du bâton ». Le plan Soustelle reprend la vieille litanie de « l’assimilation ». Le Comité central du MTLD s’auto-dissout : Benyoucef Ben Khedda et Saâd Dahlab rejoignent le FLN et mettent à sa disposition les fonds du Parti, (quelque 16 millions de francs). 14 mai : Le général Cherrière dans un message au général Allard lui « délègue le pouvoir de décider, selon les circonstances, de l’emploi de mitrailleuses, de fusées et de bombes contre les bandes dans la nouvelle zone de rébellion. La responsabilité collective sera vigoureusement appliquée. Il n’y aura pas d’instructions écrites données par le gouvernement ». 16 mai : Un conseil interministériel multiplie l’effort de guerre et les moyens de répression. Il décide entre autres de l’accroissement des effectifs de l’armée de terre (d’au moins 100 000 hommes) et de ceux de la gendarmerie et de la police. Le conseil décide, en outre, du recrutement de supplétifs (harkis et goumiers) et « de l’écrasement dans l’œuf de toute tentative de dissidence, dans les régions non encore touchées ». Juin : Les membres du Comité central du PPA/MTLD décident de rejoindre le FLN. A ce propos, Abdelhamid Mehri, interrogé par El Watan, déclarait (4) : Les neutralistes ont pris la décision de passer à l’action depuis 1952 à l’insu de la direction. Leur décision n’était pas le fruit de la crise du Parti. Simplement, ils se sont positionnés pour essayer de réunir la base autour de leur projet. Ceci est la première constatation. Secundo, les deux tendances, que ce soient les messalistes ou le CC, n’étaient pas a priori contre l’action armée. Au sein du CC, organe de direction, il y avait une majorité de ses membres favorables à l’action armée. Cette position a d’ailleurs été couchée sur papier dans une résolution adoptée au mois d’octobre 1954 et remise par M’hamed Yazid et Hocine Lahouel. Elle exprimait clairement et nettement l’adhésion des membres du Comité central. Mais, restait à savoir au cas où nous déclencherions si les Tunisiens et les Marocains avaient la possibilité de poursuivre ? Les Egyptiens allaient-ils nous épauler fermement ? Parmi les centralistes, certains étaient réservés mais cela demeurait des individualités. La majorité, quant à elle, était pour l’action armée. Je crois que Messali Hadj aussi s’orientait vers la solution armée mais sous son commandement et son autoritarisme a éparpillé tous les éléments. Il y a eu des tentatives de trouver un terrain d’entente avec lui, de la part des éléments de l’OS. Elle a malheureusement échoué à cause de son entêtement. En résumé, le PPA, avec toutes ses tendances, était majoritairement favorable à l’action armée. Encore une fois, qu’il y ait eu des réserves individuelles, c’est connu, mais la position officielle que ce soit au Congrès de 53 ou en octobre 54, était d’adhérer. L’adhésion a été individuelle, c’était une exigence du FLN qui désirait échapper à un étiquetage dans un clan ou un autre du Parti. Si le CC avait adhéré en bloc, cela classerait définitivement le FLN contre Messali et vice-versa.
 Création des maquis MNA armés par la France sous le commandement de Bellounis. Ils seront anéantis et Bellounis exécuté par ses commanditaires. 20 juin : Arrestation de P. Caballero, secrétaire général du Parti communiste algérien (PCA) 21 juin : Le gouverneur général Soustelle écrit à Bourgès-Maunoury une lettre confidentielle dans laquelle il fait état d’un incident de la circulation à Alger, au cours duquel la police a intercepté une Peugeot 203 dans laquelle se trouvaient Krim Belkacem et Abane Ramdane. Les deux passagers ont réussi à se fondre dans la foule. Mais, un cartable avait été abandonné dans le véhicule. Il contenait entre autres documents, une lettre de Ferhat Abbas adressée au Front. Il y proposait de faire démissionner tous ses élus, si l’existence de l’UDMA gênait le Front, et de se conformer à toute décision que le front lui suggérera.

L’UGEMA n’était pas une idée du FLN

Soustelle avise personnellement le ministre de l’Intérieur lui demandant de garder le document secret. S’il était divulgué, il lui faudrait arrêter Abbas, alors que le gouverneur général espère pouvoir redissocier l’UDMA du Front. Après une rencontre avec Edgar Faure, président du conseil, Ferhat Abbas dissout son parti l’UDMA et rejoint le FLN. Juillet : Massu débarque en Algérie en provenance de Tunisie où il avait reçu la reddition des « fellaghas tunisiens ». 5 juillet : Naissance de l’UGEMA. La création d’une organisation estudiantine qui regrouperait tous les étudiants maghrébins est antérieure au 1er novembre 1954, l’idée avait germé lors d’une réunion du PPA-MTLD. Deux possibilités s’offraient aux étudiants : soit une organisation commune aux trois pays du Maghreb, soit une fédération qui regrouperait trois organisations nationales. Cette dernière solution avait emporté l’adhésion d’autant que les Tunisiens avaient déjà fondé leur organisation : l’UGET (Union générale des étudiants tunisiens). D’où la résolution de créer l’UGEMA Lamine Khène, un des initiateurs et principaux et acteurs affirmait dans un interview à El Watan (5) : « On dit souvent que c’est le FLN qui a fondé l’UGEMA. C’est faux. L’idée est antérieure à la création même du FLN. Nous nous étions réunis au Parti, avant le 1er novembre, pour décider de la chose en ce qui nous concernait. A cette époque, nous avions des problèmes, pas à Alger, mais à Paris parce qu’il y avait plusieurs associations estudiantines musulmanes, l’AEMAN et l’AEMNA (Association des étudiants musulmans nord-africains). Il faut sans doute préciser que le mot ‘’musulman’’ avait une connotation identitaire et non religieuse. Il y avait ainsi d’autres camarades proches du Parti communiste, qui ne voulaient pas du ‘’M’’, parce que justement ils lui donnaient un sens strictement religieux. Ils pensaient peut-être que l’identité algérienne devait inclure aussi d’autres que des musulmans et qu’il n’y avait pas que les musulmans qui étaient Algériens. On peut dire qu’il y a eu ‘’une guerre du M’’. Mais cela se déroulait à Paris et dans les autres universités de France. » Bélaïd Abdeslam qui se trouvait à Paris m’avait écrit pour me dire : « Nous sommes au point où il faut décider. » Bélaïd ne faisait pas partie de l’association à Paris, pas plus que je n’en faisais partie à Alger. Mais cela se passait au niveau du Parti et nous activions en tant que militants. Nous poussions les choses, pas pour le compte mais dans le cadre, du Parti. Bélaïd Abdeslam avait été président de l’AEMAN et j’ai fait partie du bureau à deux reprises. Nous avons lancé la campagne et nous nous sommes réunis à Paris. C’était en juillet 1955, nous avons créé l’UGEMA. D’autres aussi ont essayé de réunir un Congrès constitutif. Ils ont constaté qu’il n’y avait personne avec eux. Ils se sont dispersés… L’initiative de la création de l’UGEMA n’émanait pas du FLN. C’était un processus qui avait sa source dans les Congrès nord-africains qui s’étaient déroulés au début des années 50 et même en 1949. » 28 et 29 juillet : Pour la première fois lors du débat à l’Assemblée nationale française sur la prorogation de l’Etat d’urgence, les tortures sont évoquées ainsi que les représailles collectives et les exécutions sommaires. 30 juillet : A l’appel du FLN, des milliers d’Algériens manifestent à Paris (la Chapelle et la Goutte d’or) Août : Soustelle tente de mettre sur pied une troisième force. 20 août : Grande offensive de l’ALN dans le Nord-Constantinois. 71 victimes européennes. Répression sanglante : 1273 tués selon les sources officielles coloniales. Le FLN qui établira une liste en vue d’apporter aide et assistance aux familles des victimes en dénombrera le chiffre hallucinant de 12.000. Interrogé sur cette date charnière de l’histoire de la guerre de libération nationale, le défunt colonel de la Wilaya II Salah Boubnider, connu sous le nom de guerre « Saout El Arab », témoignait dans El Watan (6) : « Quelque temps avant cette date nous avions reçu un émissaire des Aurès qui nous informait que toute la Zone 1 (le terme wilaya a été adopté avec le Congrès de la Soummam. Ndlr.) subissait une terrible pression de l’armée française. (..) Des moyens humains et matériels considérables ont été acheminés avec tout ce que cela compte en officiers fraîchement débarqués d’Indochine, de canons, de chars, etc. Durant six jours pleins, des convois impressionnants ont pris la direction des Aurès. Après une semaine, Chihani, intérimaire de Ben Boulaïd, a envoyé une lettre à Zighout dans laquelle il lui demandait de faire quelque chose pour desserrer l’étau qui étranglait tout le massif des Aurès et absorber une partie de ce déluge de feu. Zighout nous a informés de la requête de Chihani. En tant que responsables nous avons étudié et discuté des mesures à prendre durant quatre jours. Nous avons, à cette occasion, abordé toutes les éventualités. Zighout cherchait l’opportunité politique d’une action militaire. Nous avions entendu que les Marocains allaient organiser des opérations à Oued Zem pour commémorer l’exil du roi Mohammed V. Décision a été retenue de faire concorder l’insurrection généralisée du Nord-Constantinois avec cet événement chez nos frères du Maroc. (…) La portée du 20 août a dépassé nos prévisions. L’armée française qui était dans les Aurès a fini par se retirer en nombre. J’étais sur une crête et j’observais, sur la route venant de Aïn Melila, durant quatre jours, des convois qui descendaient à destination de Annaba, de Constantine où les colons exigeaient des renforts. La répression, comme celle de 1945, sera terrible. Des morts par milliers… » Vous attendiez-vous à de telles pertes parmi les populations civiles ? Avions-nous demandé à Saout el Arab ? « Nous nous attendions à plus. Dites-vous qu’en face nous avions le colonialisme qui nous considérait comme des sous-hommes, des ‘’non humains’’. Des moins que rien. Tuer 10 000 ou 100 000 hommes, ne représente rien pour le système colonial. Bien sûr qu’on déplore qu’il y ait eu autant de victimes. Mais d’un autre côté nous avions un objectif. C’était, sans doute, le prix à payer pour voir juillet 1962 et l’écroulement du colonialisme. » Au lendemain du 20 août 1955, un journal américain titrait : « Les Algériens attaquent avec des pierres et des bâtons, la France répond avec des chars et des canons. » Frantz Fanon écrira dans Les damnés de la terre : « Dans les luttes armées, il y a ce qu’on pourrait appeler le point de non-retour. C’est presque toujours la répression énorme englobant tous les secteurs du peuple colonisé qui le réalise. Ce point fut atteint en Algérie en 1955 avec les 12 000 victimes de Philippeville (…) Alors il devient clair pour tout le monde et même pour les colons que "ça ne pouvait plus recommencer comme avant.” »

 Notes :

 1 El Watan 19/01/2006
 2 Mabrouk Belhocine. Le Courrier Alger le Caire. Casbah Editions. Alger 2000. p. 42
 3 Cité par Chems Eddine Chitour in Algérie le passé revisité. Casbah Editions. Alger 1998.
 4 El Watan septembre 2004
 5 El Watan Spécial 50e anniversaire de la guerre de libération. 31 octobre 2004




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