Béchar - Précarité

Malvie, chômage et misère à Igli (Béchar)



A Béchar, ville garnison, la loi du silence imposée depuis longtemps commence a être enfreinte. Béni Ounif, Abadla et récemment Igli se sont révoltées. L’émeute est devenue leur ultime moyen d’expression. A Igli, des Chlouh ont cassé le mur de la peur. Ils parlent de malvie, de chômage et de misère...
dimanche 6 juin 2004.
Prise en étau entre Taghit et Béni-Abbès, deux destinations touristiques, Igli promue au rang de daïra est considérée comme une excroissance. Pour y arriver, c’est une route cahoteuse qu’il faut emprunter : l’entrepreneur chargé de refaire le tapis a été payé pour refaire 30 kilomètres, il en a fait six avant de plier bagages... Des anecdotes comme celles-là, les gens d’Igli en racontent sans jamais se lasser. Ces Berbères du Sud, trop longtemps marginalisés, se demandent aujourd’hui si le fait d’être Chlouh est un crime. Parce que revendiquer ne fait pas partie de leur culture, ils ont supporté le pire en silence. Aujourd’hui, la jeune génération est plus revendicatrice, intempestive et révoltée.

L’ANSEJ, un mirage...

Moulay, le garde champêtre de la commune, est de cette graine. Le jeune homme curieux et pragmatique saisit l’occasion de la présence de « gens d’Alger » pour poser une question qui le turlupine : le dispositif de l’ANSEJ est-ce une réalité ou une pure invention de la télévision ? Lorsqu’il apprendra qu’ailleurs des jeunes bénéficient d’aide pour monter leur propre entreprise, il ne peut plus contenir sa colère. Il déverse du fiel sur les responsables locaux, sur ces maires jetables qui se succèdent sans rien faire, sur les responsables centraux qui, en venant faire du tourisme à Béchar, font un détour et évitent de passer par Igli. « On est maudits parce qu’on est Chlouh », lance un jeune homme. Cette impression est partagée par un grand nombre d’Iglaoua. Le taux de chômage avoisine les 70% : il n’est pas rare que dans une famille de huit personnes, une seule perçoive un salaire. N’était la solidarité, plusieurs d’entre elles auraient été clochardisées. Réunis autour de la piscine communale vide, les jeunes parlent de ces journées interminables, de cette chaleur oppressante, de cette oisiveté qui n’a que trop duré. Leurs rêves ? Des coopératives de jeunes qui s’occuperaient du transport, des locaux commerciaux pour pouvoir faire du commerce. « Si on me donne un véhicule pour le transport en commun, je serai prêt à associer avec moi dix jeunes ». Pas gourmand du tout Moulay. Ses rêves sont simples et pas irréalisables. Ils lui permettraient de faire des économies, se marier, vivre enfin. Sans perspective, il ne pense pas à demain et lorsqu’on lui demande naïvement s’il a des activités sportives ou culturelles, il répond qu’avec « un estomac vide, c’est impossible de penser à cela »... Le mouvement associatif brimé

Boulenouar Ali est aussi amer que Moulay mais pour des raisons différentes. Ne voulant pas céder à l’ambiance défaitiste, il a entrepris de mettre sur pied une association dont le nom devait être Eco-Sahra. Son projet ne dépassera pas le stade du vœu. Parce qu’il a osé inscrire le dossier du foncier parmi les préoccupations de l’association, il ne recevra jamais l’agrément. Une année après le dépôt du dossier, c’est le silence radio du côté de la wilaya. D’autres associations ont eu plus de chance, mais elles ne s’intéressaient qu’à des activités culturelles. Le foncier, c’est décidément un sujet qui fâche.

Des entreprises locales à l’agonie...

Le drame de ces jeunes est vécu par une autre frange de la population : les ex-travailleurs des entreprises locales. Le rouleau compresseur de la restructuration sectorielle ne les a pas épargnés. De l’entreprise qui employait 260 personnes jusqu’en 1997 il ne subsiste plus rien. Son démantèlement a donné naissance à quatre SARL chargées chacune du bâtiment, de l’hydraulique, du concassage de gravier et de menuiserie générale. Sur ces quatre sociétés, seule ECI, Entreprise de construction d’Igli, et la menuiserie sont toujours en activité, les autres ont mis la clé sous le paillasson après avoir survécu deux années seulement. En difficulté, ECI a dû se séparer de 14 employés. Seules cinq personnes continuent à y exercer. Lorsque Larbi parle de son entreprise, il ne cache pas sa fierté : le pont de la commune, le lycée, la polyclinique, la poste, l’extension de l’aéroport de Béchar font partie des réalisations d’ECI. Pourquoi agonise-telle ? La promesse d’assurer le plan de charge de l’entreprise pour une durée de cinq ans n’a jamais été honorée. L’entreprise était endettée avant même de devenir autonome, son arrêt de mort avait été signé au même moment que son acte de naissance. Pour la somme de 15 millions de dinars, c’est du terrain et du bâti qu’a hérité ECI. Les employés, jugeant que la partie non occupée par les locaux était trop grande et inutilisable, avaient proposé aux Domaines de se désister d’une grande partie, ce qui aurait constitué une salvatrice entrée d’argent. Le niet opposé par les Domaines a mis fin aux maigres espoirs des employés. Leurs déboires ne se limitent pas à cette absence de soutien de la part des autorités. Larbi se rappelle d’un marché décroché et qui consistait à réaliser une plate-forme. Après plusieurs mois de travail, un procès-verbal sanctionnant les travaux attestait que l’ouvrage était conforme mais le maître d’ouvrage refusait toujours de payer. N’étaient les vives protestations des travailleurs et les lettres adressées aux services de la wilaya, le travail n’aurait jamais été rémunéré. La situation de l’entreprise de menuiserie n’est pas meilleure. Les six employés qui y travaillent toujours peinent pour assurer leurs salaires. Ils comptent sur les commandes des particuliers pour maintenir la SARL sous perfusion. Les commandes n’étant pas nombreuses, la cote-part de chacun des six est très maigre. Leur plus gros marché, ils s’en souviennent : il s’agissait de réaliser un comptoir au profit de l’APC. Les 13 millions engrangés avaient été aussitôt prélevés par les services des impôts.

Orolait menacée de disparition

Dans cette commune, les entreprises nationales sont également en difficulté, c’est le cas de l’Orolait implanté à l’entrée de la localité. Le seul marché qui lui permettait d’assurer sa survie, c’est celui de la troisième Région militaire. Depuis que des revendeurs font de la concurrence déloyale, Orolait craint pour son devenir. A l’occasion de la prochaine soumission qui interviendra en fin de mois, Orolait espère que les responsables des marchés prendront en considération le fait que l’entreprise ne doit son existence qu’à cette transaction. Dans un passé récent, Orolait arrivait à satisfaire les besoins de la 3e R. M. à 100%. Pourtant ses difficultés sont nombreuses : si le lait n’était pas un produit subventionné par l’Etat, il aurait fallu qu’elle le commercialise deux fois plus cher pour pouvoir ne plus être déficitaire. Le coût de revient du litre de lait est en effet très élevé en raison de l’éloignement de l’usine des points d’approvisionnement en matières premières et des revendeurs. Orolait est-elle condamnée à la disparition ? Non, répond M. Boulenouar qui considère que la solution existe. Pour peu que l’entreprise soit déchargée du volet transport et qu’elle soit équipée pour produire des produits dérivés (yaourts, fromage...), la santé financière de l’entreprise s’améliorerait.

Des femmes accouchent dans l’ambulance

L’autre point noir d’Igli, sa polyclinique. Cette pompeuse appellation est utilisée pour désigner un soussecteur de la santé, malade de ses innombrables problèmes. Ambulance souvent en panne, absence de spécialistes, de réactifs sont autant de difficultés soulevées par le personnel médical réduit. Celle qui se plaint le plus, c’est la jeune sage-femme. Seule à assurer la bonne marche du service, elle est secondée par une accoucheuse. Elles doivent travailler jour et nuit, assurer les permanences, veiller au bon déroulement des accouchements et assurer les soins post-nataux. Une charge de travail trop grande conjuguée à un flagrant manque de moyens. La couveuse installée dans un coin de la salle de travail est inutilisable et les bébés prématurés doivent être transférés à Beni-Abbès, une commune distante de plus de 80 kilomètres. Ce transfert de malades obéit à un raisonnement purement administratif : le sous-secteur d’Igli, dépendant du secteur de Beni-Abbès, le transfert doit se faire obligatoirement vers ce dernier en dépit de l’absence de spécialistes dans ce secteur. Une fois arrivé sur place, le malade est orienté vers Béchar. Pour y arriver, il faut repasser par Igli... Il n’est pas rare que l’ambulance tombe en panne et qu’une femme accouche en cours de route. Le Docteur Bouhdjar, médecin généraliste, explique que c’est l’évacuation des malades qui constitue le plus gros des problèmes : l’ambulance n’étant pas équipée en système d’oxygénation, chaque transfert de malade est un jeu de roulette russe. Le généraliste n’est pas le seul à avoir des doléances. La dentiste, qui se contente de faire des extractions, estime que les conditions de travail sont lamentables : elle ne peut soigner des dents faute de composite et se contente d’en arracher après avoir installé le patient sur un fauteuil dentaire cassé. Le milieu n’étant pas aseptisé, les risques d’infection sont décuplés. Le service de radiologie n’est pas mieux loti : le matériel est en panne. Pour le remettre en marche, il faudra faire appel aux techniciens de Beni- Abbès. Le premier diagnostic posé indiquait que le problème avait un rapport avec l’ampérage ; Sonelgaz a contredit cette expertise et il faudra attendre l’arbitrage d’autres techniciens. Au laboratoire d’analyses, c’est le manque de réactifs qui est dénoncé. La polyclinique qui n’a bénéficié de ce classement que par sa superficie jugée assez grande est le point de chute des malades d’Igli et des petites communes voisines mais son manque de personnel, son matériel défaillant l’empêchent de répondre à la forte demande.

Les langues étrangères, d’étranges matières...

Autre structure à ne plus pouvoir faire face, le collège d’Igli. Les six classes construites ne suffisent plus et les collégiens doivent suivre les cours dans les locaux du lycée. Professeurs et élèves font quotidiennement la navette entre les deux structures. Le contrôle des 140 internes est alors impossible. Si la commune est fière de son taux de réussite au baccalauréat, l’enseignement des langues étrangères pose problème : des collégiens passant l’examen de passage au lycée sont incapables de lire correctement une phrase en français. Pour le directeur du CEM, ce n’est pas une surprise, les enseignants de français eux-mêmes ne maîtrisent pas la langue...

Une commission de citoyens déterminée

La commission des citoyens d’Igli, qui a vu le jour le 12 février, soit deux jours après les émeutes qui ont secoué la commune, continue de travailler pour faire aboutir les revendications. Forts du soutien de la majorité des associations, ils comptent maintenir la pression pour la concrétisation de leurs revendications. Après un premier déplacement à Alger, ils comptent revenir à la charge afin qu’une commission d’enquête soit enfin dépêchée sur les lieux pour faire toute la lumière sur le problème du foncier. Après leurs nombreuses démarches, ils envisagent de faire un sit-in devant l’APN. Tout sera décidé au lendemain du jugement de Senba Mustapha, dernier maire à être traduit en justice.

Khalti Badra, la féministe

Du haut de ses 60 ans, Khalti Badra est une femme à convictions. Son combat, c’est la condition des femmes. C’est la seule femme à faire partie du comité des citoyens d’Igli. Lors de la réunion avec le wali au lendemain des émeutes, elle n’a pas hésité à lui transmettre les doléances de la gent féminine. L’inexistence de centres de formation, l’absence de toute possibilité d’emploi la révoltent. Ce qu’elle revendique : des machines à coudre et à tricoter pour les jeunes filles oisives. Originaire d’Oran, Khalti Badra est à Igli depuis 1960. En 34 ans, elle a eu le temps de s’apercevoir que la condition des femmes est déplorable. Sa présence au sein du comité est une reconnaissance à son engagement sans faille auprès des femmes...

Le chelha et le vieux ksar, patrimoine à préserver

Les habitants d’Igli sont des Berbères jaloux de leur langue. Le chelha est toujours parlé et transmis aux enfants. Larbi, autoproclamé spécialiste de la langue, est certain que le chelha est le berbère originel le mieux préservé. Ce qu’il déplore, c’est le désintérêt des jeunes pour la langue mère. Pourquoi pas une académie de la langue ? s’interroge Larbi qui se verrait bien y enseigner. L’autre fierté des Iglaoua, le vieux ksar aujourd’hui en ruine. Ce qui reste de l’ancienne ville est en état de délabrement avancé. Le seul espace encore utilisable, c’est la vieille mosquée. Le vœu le plus cher du Cheikh est que le ksar soit restauré. Des promesses avaient été faites mais n’ont jamais été honorées...






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