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La vie, la morosité et les fantômes Point Net



«Ville morose le jour, ville fantôme la nuit», particulièrement inspiré, ce titre de notre correspondant de Batna, dans un article sur l' «ambiance» qui règne dans sa ville en ces jours de Ramadhan caniculaire. On pourrait, bien sûr, remplacer Batna par n'importe quelle autre ville du pays, tout au long de cet écrit qui s'étale pourtant sur une moitié de page et personne ne s'en rendra compte.
C'est que les villes moroses le jour et fantômes la nuit, ce n'est plus une réalité qu'on déplore, c'est déjà quelque chose de «normal». ça fait longtemps que le désert a pris ses quartiers dans nos espaces de loisirs, de culture et de détente, avant que l'insécurité ne fasse le reste. Un «reste» réduit pourtant à la portion congrue d'aller prendre un café, longer un front de mer ou simplement errer dans la rue, à lécher les vitrines quand les rideaux métalliques ne s'y opposent pas.
Le plus dur, ce n'est pas tant le fait que les espaces de vie rétrécissent jusqu'à leur disparition. Non seulement personne ne semble s'en offusquer outre mesure, mais on met un tel zèle à faire les louanges du «vivre cloîtré», qu'on se demande si, «à Dieu ne plaise», il y aura encore des gens pour occuper ces espaces de vie en cas de retour ! Certes l'indigence infrastructurelle, la piètre qualité de la production et la programmation chaotique en la matière,
dues à l'absence manifeste de volonté politique d'aérer la vie des Algériens sont les raisons essentielles de la morosité générale. Mais il y a pire maintenant : on fait comme s'il en a toujours été ainsi et qu'il ne peut en être autrement ! Dans un pays qui n'a pas les moyens d'offrir à ses citoyens des espaces de loisirs et de culture, les gens investissent ce qu'ils ont sous la main avec les moyens de chacun, dans le nôtre tout le monde investit dans «l'effort» pour en dissuader tout le monde !
Il y a très peu de salles de cinéma ou les quelques salles qui fonctionnent encore sont d'un autre siècle ' Il faut rester à la maison et surtout dire au téméraire voisin qui pense y aller, que c'est un vrai dingue. Dans Beyrouth sous les bombardements, les gens guettaient les moments de répit pour aller à la plage, dans Alger la paisible, on fait attention à ce que le petit barbu de la cité ne sache pas qu'on est tenté par un concert d'Aït Menguellet. Dans l'Iran des mollahs, des femmes se déguisent pour aller aux stades de foot, dans l'Algérie républicaine et démocratique, les vendeurs de maillots de bain font banqueroute.
Ailleurs, on résiste, ici on se plie et on en redemande, même quand personne ne le demande. Chaque jour beaucoup plus, jusqu'à «aimer ça».
On ne sort même plus en soirées de ramadhan et quand il faut le faire pour une «raison de force majeure», la nouvelle mode est de le faire après la prière des Tarawih. On ne fait pas la prière mais on se croit obligé d'attendre qu'on en finisse. A la peur a succédé la paranoïa, à la paranoïa l'autoflagellation. La société se couche au coucher du soleil. Ville morose le jour, ville fantôme la nuit, a écrit le collègue de Batna. Il y a des «s» qui se perdent. Batna ressemble à Jijel sans la mer. Oran à Annaba avec.
Il y a encore un théâtre et une pièce tous les 34 du mois ' Il ne faut surtout pas y aller. Le théâtre est mort et des hommes de théâtre ont été assassinés. Le théâtre est surtout un vice à éviter, de jour et de nuit. Il faut le fuir à la vitesse d'un sprinter pour que ça se sache comme une info diffusée au JT de 20 h. Il n'y a pas de concerts, il n'y a pas de films, il n'y a pas de théâtre, il n'y a pas de parcs et il n'y a pas de discothèques, il n'y a pas de' sécurité, on le sait. Mais il y a le reste.
On a peur d'aller à quelque chose qui n'existe pas. Et ça n'aide pas à le créer, ce quelque chose. Il faut d'abord se réapproprier toutes les Batna d'Algérie pour en chasser la morosité. En commençant par vaincre les fantômes qui les hantent. Et les fantômes disparaissent à un moment très précis : quand ils se rendent compte qu'ils ne font plus peur à personne.
Slimane Laouari





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