El Watan-magazine a testé pour vous une grande balade dans les entrailles des Aurès, traversant une longue portion de Oued Labiod avant d’escalader les falaises de Rhoufi. Accrochez-vous!
Cent kilomètres seulement séparent la ville de Batna de notre destination, les balcons du Rhoufi, à l’extrême sud de la wilaya, sur la vallée de Oued Labiod. Mais on en a pour deux heures de route. Nous sommes excités comme des gamins à l’idée de faire ce voyage. Dans ce petit cortège discret, la compagnie est des plus agréables : il y a des universitaires, architectes et archéologues, comme Yassine Ouegueni de l’Epau, NawelYounsi et Zoheir Balalou du ministère de la Culture, Alexis Castro de l’UAP, Malika Abdelaziz, ancienne journaliste d’Algérie-Actualité, et il y a aussi Azzedine Guerfi, président de l’association des Amis du Medghacen et maître de céans pour tout ce qui est prévu à l’arrivée comme célébrations du Mois du patrimoine et projets ambitieux pour le développement de la région.
La tchatche ne manque pas. Les discussions sont animées dans les véhicules personnels qui attaquent les lignes droites sur la RN31. La route est plate et régulière jusqu’à Tazoult la romaine ; on commence à serpenter et à gravir des pentes douces jusqu’à Makouda où l’intersection nous ordonne de choisir notre chemin.
Celui de gauche conduit vers Khenchela et ensuite Tébessa et les frontières avec la Tunisie. Nous prenons à droite suivant une plaque signalétique qui indique Arris. Deux villages et quelques dos-d’âne plus loin, une autre intersection nous interpelle: la route à gauche mène vers le village de Oued Taga, le village des métiers de l’or ; au milieu, la route qui continue vers Arris en longeant Oued Labiod, et à droite une autre route qui mène vers de nombreux et authentiques villages chaouis en longeant Oued Abdi.
Trois rivières naissent dans le versant nord des Aurès et suivent des lignes verticales pour aller finir leur chemin dans les vastes contrées de Biskra. Il s’agit de Oued El Kantara, Oued Labiod et Oued Abdi. Trois routes nationales accompagnent ces cours d’eau et relient le Nord au Sud en passant par la reine des Zibans, Biskra. Les plus touristiques sont les deux dernières, alimentées par les eaux du mont du Chelia. Nous poursuivons par Oued Labiod à travers la vallée verte de Oued Taga avant de commencer à grimper sur plusieurs kilomètres une impressionnante falaise coiffée par «Fomksantina», littéralement la «Bouche de Constantine», des sommets rocheux qui pourraient être des cousins du vieux Rocher constantinois.
La montée en lacets aboutit au pic de Acherchar, une halte s’impose. Nous sommes à 1550 m d’altitude, un toit qui domine la vallée de Oued Taga et remplit nos poumons d’un air pur. Ceux qui découvrent pour la première fois ces paysages de vallée gazonnées et de pinèdes n’en reviennent pas, les autres aussi. Dans les regards, on devine l’impatience de découvrir ce qui vient et la conviction que toutes les promesses seront tenues. Le cortège reprend la route qui dévale le plateau de Tzouket avant de monter encore jusqu’au pic de Aïn Tin à 1800 mètres d’altitude.
Ighzer Amellal
C’est aussi haut que ça les Aurès? Oui. Et Chelia est encore plus haut, mais ça sera pour une autre fois! La température est devenue plus agréable, plus printanière, mais la nature commence à changer pour devenir plus austère. On s’engage sur une descente. Des maisons en pierre perchés sur des éperons montagneux, une architecture datant de plusieurs siècles s’offrent au regard. Un autre sujet qui va nourrir les échanges pendant le reste du voyage. La féerie est altérée par des bémols en… béton. Les nouvelles constructions du programme d’habitat rural font tache noire en effet.
Il suffit pourtant de rien pour intégrer ces maisonnettes dans leur milieu, nos ancêtres l’ont bien reçu, s’exclament tous. Au croisement qui précède Arris (60 km de Batna), le chemin à gauche mène vers Ichemoul en passant par Dechret Ouled Moussa, là où Mostefa Ben Boulaïd avait donné les instructions et distribué les armes à la veille du 1er Novembre 1954. Chaque caillou a une histoire à raconter ici.
De l’épopée héroïque des bandits d’honneur, les Benzelmat et consorts, aux exploits des djounoud de l’ALN, en passant par tout le génie de l’homme qui a domestiqué ces étendues sauvages. Le cortège prend la tangente d’Arris, en longeant l’oued Labiod (Ighzer Amellal en chaoui) qui coule allègrement en bas sur notre gauche. On passe Tighanimine avant de franchir les fabuleuses gorges de Taghit pour entrer dans le territoire de T’kout la rebelle. Et encore une halte au pied d’un monument dressé à l’endroit où a eu lieu le premier attentat révolutionnaire, la nuit du 1er Novembre 1954.
Même gâché par le style art pompier, phallique et moche, l’endroit inspire le respect, halte très instructive pour les enfants pour celui qui veut faire le voyage en famille. Encore trente kilomètres à faire. Le soleil s’incline vers l’ouest, éclairant le mont de H’markheddou…. Au bord de l’oued, des oasis luxuriantes s’allongent en bas sur des dizaines de kilomètres. Ghassira, Chir, Inoughissen, des villages et dechras baignent à l’ombre des palmeraies verdoyantes. Il était une fois une parfaite harmonie entre l’œuvre de la nature et celle de l’homme. Aujourd’hui, le béton avance.
On trouve même des cités de type LSP et LPL. Absurde! «Le problème n’est pas dans la pierre, il est dans nos têtes», regrette l’universitaire Yassine Ouegueni. La question fera l’objet de débat le lendemain au cours de la journée d’étude sur le patrimoine culturel et développement du tourisme dans la vallée de Oued Labiod, organisée par l’association des Amis de Medghacen. L’architecture traditionnelle est aussi l’objet d’une exposition de dessins intitulée «L’architecture de l’Aurès, vue et vécue». Des croquis et des lithographies réalisés au siècle dernier par des artistes français, notamment Benjamin Serraillon.
Rares témoignages du patrimoine matériel et la vie de tous les jours dans ces contrées lointaines. «De chaque tableau, représentant une authentique tranche de la vie des Aurès, ressort un puissant et heureux contraste entre la légèreté de la présence humaine et l’imposante géologie du paysage naturel», commente encore Y. Ouegueni.
Loin de la ville
La rencontre aura lieu à l’auberge de jeunes de Rhoufi, et justement on y arrive. L’établissement en très bon état (inauguré en octobre 2015) est situé sur le bord de la falaise. L’accueil est digne de la légendaire générosité des Chaouis. Benfatah Boudersa, le jeune et dynamique directeur de l’auberge, veille au grain.
Les employés sont exemplaires. Nos visages sont irradiés par le bien-être. Pendant que les militants de l’association préparent l’exposition, des effluves de plats du terroir débordent de la cuisine, il y aura du couscous pour le dîner. Le bonheur est total. Menus traditionnels, l’air pur, le calme sidéral, que des ondes positives, la rupture est totale avec le stress et la qualité de vie médiocre des méga-cités d’où nous débarquons tous.
Nous passerons trois nuitées sous ces toits accueillants. Passons sur cette journée du jeudi 21 avril, consacrée à l’étude et les débats que nous avons déjà rapportés dans une édition précédente. Le jour suivant, le programme se résume à la visite des balcons du Rhoufi et celle du musée du Colonel Si L’haoues à M’chouneche, 30 km plus au sud, sur le territoire de la wilaya de Biskra. Le ciel est hésitant, mais les participants se préparent dans le hall avec beaucoup d’excitation. Ils ont du pain sur la planche, et beaucoup ne le savent pas encore.
Lieu de méditation, de sports extrêmes ou de villégiature, le Rhoufi est une merveille du monde. Il suffit de brancher tous les sens pour s’en rendre compte. Nous formons un peloton désordonné et nous suivons nos guides qui nous engagent sur un chemin peu connu des touristes. Très vite, la marche devient difficile ; tant pis pour ceux qui ont négligé le choix des chaussures. Première halte : Une gallaâ du siècle dernier, aujourd’hui abandonnée, se dresse comme une forteresse post-troglodyte composée d’abris communautaires et du grenier collectif et ceinturées de figuiers de Barbarie.
Témoignage d’une évolution certaine de l’organisation sociale à l’ère coloniale. Les appareils à photo mitraillent, la lumière est idéale, et la température monte. Ceux qui s’inquiètent le font savoir, cependant, en arrivant à l’oued, car il faut traverser. Il faut le faire en sautillant sur des pierres déposées en passage de fortune. Les traînards se font charrier, mais à la fin tous passent sans dégâts, il n’y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter, en plus l’eau est claire. Une photo de famille s’impose.
Afflouss
Au fond du ravin, tout est calme et beauté. L’ambiance bon enfant suffit à dissuader les râleurs face au challenge qui les attend: escalader la falaise. En queue-leu-leu, le peloton s’engage prudemment sur des sentiers centenaires travaillés par le temps. On s’entraide, mais les écarts se creusent. Au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude, on se rapproche du bordj-hôtel, après avoir contourné l’éperon des Ouled Mimoun. D’en bas s’élève la rumeur joyeuse des visiteurs
Des chérubins barbotent gaiement dans les eaux de l’oued, des familles partagent des casse-croûtes, et beaucoup de jeunes surtout, venus en excursion, font de l’animation avec derbouka et chants. Le canyon qu’on dit ressembler à celui du Colorado est impressionnant, mais ici c’est couleur ocre, la terre est argileuse, à l’exception des taches vertes formées par la palmeraie et les jardins encore entretenus au bord de l’oued, à ce niveau, le canyon ressemble à l’intérieur d’une noix ; Afflouss, comme on dit en tamazight chaoui, c’est le nom de cette merveille avant qu’elle ne se fasse appeler Rhoufi, du nom d’un explorateur français qui l’a découvert et sorti de l’anonymat. Le site a été classé en 1928 et ensuite en 2005. On s’interroge sur ce qui a poussé des populations berbères à s’installer ici il y a quatre siècles.
La présence d’eau, c’est sûr, la sécurité aussi, peut-être. Juxtaposition de maisonnettes en pierre adossées au rocher, des ruelles irrégulières miment la roche et alimentent l’imagination de ce qu’a été cette cité semblable à quelque forteresse barbare. Sur notre sentier, un pied maladroit se heurte à quelque chose de solide, un crâne roule sur le côté, des os se découvrent. Ciel! C’est le squelette d’un homme.
Quel âge a-t-il? Les spéculations vont bon train, on se bouscule pour prendre des photos, les plus raisonnables se chargent d’informer la gendarmerie. On parvient enfin au bordj-hôtel, le Transatlantique inauguré en 1902. L’une des principales attractions du site. On dit que de nombreuses personnalités du show biz et de la politique ont séjourné ici avant sa fermeture en 1965. Faut-il le restaurer? Oui, revendique A. Guerfi. Une idée approuvée à l’unanimité.
D’ailleurs, pense-t-on, le grenier collectif aussi devrait être restauré, tout comme la zaouïa implantée en bas. Le flux des touristes ne cesse d’augmenter et il y a besoin de sécuriser les parcours pour tranquilliser les visiteurs et protéger aussi ces vestiges vulnérables. Il y a tant à faire ici. La fatigue est perceptible sur tous les visages, le bonheur aussi. C’est l’heure de rentrer à l’auberge pour se préparer à une autre sortie sur M’chouneche. Les discussions sont toujours animées, les appareils photo ne chôment pas.
Nouri Nesrouche
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Posté Le : 28/04/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: Oeuvre de Benjamin Serraillon. ; texte: Nouri Nesrouche
Source : elwatan.com du jeudi 28 avril 2016