Albert Camus, en 1957, l'année de son prix Nobel./ Photo archive AFP
A quelques semaines du 60e anniversaire de la disparition d'Albert Camus, la possibilité que l'accident dans lequel il est mort en rentrant à Paris aurait été provoqué par le KGB est brandie par un écrivain italien, Giovanni Catelli. Il est têtu, mais les faits le sont aussi et sa thèse y résiste mal.
Dans la maison provençale de Lourmarin, le refuge qu'Albert Camus s'était offert après le prix Nobel, les vacances de Noël 1959 s'achevaient. Les jumeaux Catherine et Jean avaient classe le lundi, tout le monde devait remonter à Paris en train. Mais l'écrivain, sur l'insistance de son ami Michel Gallimard, accepta de rester en Lubéron jusqu'au dimanche et de remonter en voiture avec lui. L'éditeur en apprendrait peut-être un peu plus sur «Le premier homme», le nouveau roman sur lequel Camus travaillait… A 46 ans, le romancier et dramaturge à succès de «L'étranger» de «La peste», «la chute» et de pièces de théâtre, s'est attelé à une trilogie explorant son enfance de pied-noir algérien.
Mais sur la route du retour, le lundi 4 janvier 1960 dans l'après-midi, à une centaine de kilomètres de Paris, la Facel Vega de Michel Gallimard fait plusieurs zigzags en ligne droite et termine sa course contre un arbre. A l'arrière, la femme et la fille de l'éditeur sont éjectées, indemnes. A l'avant, Camus n'a pas survécu au choc, et Gallimard est gravement blessé. Il mourra quelques jours plus tard. La vitesse, l'éclatement d'un pneu seraient en cause. Un accident ? Pas pour Giovanni Catelli, auteur italien qui voit l'ombre du KGB planer sur le drame.
«Camus avait dénoncé la répression de l'insurrection de Budapest
Le pneu, pour Catelli, c'est la marque des soviétiques, qui l'auraient fait taillader, «par des espions tchèques», pour qu'il explose à grande vitesse. Catelli, qui participait ce week-end à la foire du livre de Francfort, affirme depuis près de dix ans qu'Albert Camus a été victime d'un assassinat politique. Parue dans «Le Corriere della Serra» en Italie, publiée en livre et traduite cette année en français aux éditions Balland («La mort de Camus»), sa thèse repose sur les propos posthumes du poète tchèque Jan Zabrana (1931-1984) qui mentionne, en quelques lignes de son journal avoir entendu un proche dévoiler le complot. Qui est ce proche ? «Deux personnes qui pourraient l'être sont déjà mortes dit le «chercheur de vérité», je cherche un 3e qui vit au Canada».
Mais pourquoi le KGB, l'ancêtre du FSB russe, aurait-il voulu éliminer un écrivain français ?
«Camus avait dénoncé la répression soviétique de l'insurrection de Budapest en 1956, il avait aussi soutenu l'écrivain très mal vu du régime Boris Pasternak pour le prix Nobel, et un autre élément, c'est qu'il fallait faire taire les voix discordantes avant la visite de Nikita Khrouchtchev en France», énumère le chercheur. Les services secrets d'URSS auraient donc semé la mort pour saluer le dégel de relations diplomatiques. La thèse suscite le scepticisme, «mais Me Jacques Vergès en était aussi persuadé», prétend Giovanni Catelli.
«Oh, cette histoire, elle n'a jamais été prise au sérieux !» s'impatiente Maurice Petit, animateur littéraire à l'origine de rencontres consacrées à Camus en 2013 à Montauban, «Sa mort a choqué tout le monde, c'est vrai que Camus est un homme en vue et qu'il a aidé des réfugiés hongrois, mais en pleine guerre froide, le KGB avait d'autres chats à fouetter».
Quelques soviétiques ont peut-être débouché une vodka pour fêter cette disparition, de là à en faire des assassins…
L'auteur disparu était une gloire nationale, un écrivain étudié, un homme controversé pour ses positions sur l'Algérie, à rebours de ce qu'on n'appelait pas encore le politiquement correct. Il était aussi le père aimant de deux enfants de 14 ans qu'il surnommait la peste (Catherine) et le choléra (Jean). Enterré par les villageois au cimetière de Lourmarin, il y est toujours, échappant à la perspective du Panthéon, en dépit du souhait formulé il y a dix ans par Nicolas Sarkozy.
Retrouvé dans la carcasse de la voiture, le manuscrit inachevé du «Premier homme» a finalement été édité en 2000 par Catherine Camus. Depuis le «refuge», elle fait vivre l'œuvre de son père, publiant même en 2017 la correspondance amoureuse qu'il avait eu avec la comédienne Maria Casares, son interprète en scène dans «Le Malentendu». Albert Camus connaissait semble-t-il son assassin : «La seule divinité raisonnable, je veux dire le hasard».
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Posté Le : 21/10/2019
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Pierre Mathieu
Source : ladepeche.fr