Le premier roman de Jaoudat Guessouma paru aux éditions Chihab, décrit la destinée tragique des trois protagonistes annoncés par les hululements funestes de la chouette. Tel un prélude à cette sombre destinée, le roman s’ouvre sur la description de la nuit qui tombe sur la ville.
«La cité se referme lentement sur elle-même comme un vieux grimoire poussiéreux, comme des pages de velours noir, noir comme la mort, noir comme la poussière de tout ce tumulte du jour, du temps qui passe, des voitures, et du grouillement intense de cette masse informe de gens qui passent, pressés par la vie comme des citrons livides.» Lounès ou Loua pour les intimes est le personnage central du roman.
II est décrit comme étant «taciturne, silencieux par option, misanthrope par vocation». C’est surtout un jeune homme qui tente d’échapper à la grisaille et au poids du quotidien. Ceci en se réfugiant dans un univers onirique empli d’espoir.
Autour de lui, il y a les deux femmes Zorna et Silima. La première est une fille fantasque à la mélancolie chronique. Elle n’aime que son poste de radio et ses pseudo caricatures de princes charmants à l’orientale. Zorna, gâtée jusqu’au pourrissement, s’enferme dans le cocon de sa chambre aux couleurs pralines «dans une sorte d’atavisme féminin qui l’empêchait de se livrer aux gens qu’elle aimait» Mais en vérité, Lounès et Zorna sont, tout simplement, deux personnages emprisonnés, dans l’impuissance d’échapper à leur vie si médiocre, si monotone et si routinière.
L’auteur écrit : «Ainsi allait la vie pour ces deux antihéros du silence, inodore, sans saveur, monocorde.» Il poursuit son amer constat en ces termes : «Leur être se morcelait brutalement sous les coups dur du destin, du temps, le dernier mot revenait de droit à cette force diffuse qui ne leur laisse aucune chance, leur génération avait fait les frais d’une guerre qui avait omis de livrer son nom.» En opposition à ces antihéros, émerge Silima, une jeune femme pétillante aux formes généreuses.
Pendant que Loua adule dans son esprit Zorna, la voisine pleine d’attention qu’est Silima se languit d’amour pour Loua. Hélas, enlaidie par un bec de lièvre qui lui donnait un «essai raté de sourire» Loua n’éprouve pour elle que de la tendresse d’un frère.
Pourtant Silima avait «le cœur blanc qui lui valait la compassion et l’amitié chaleureuse des belles». Elle déborde d’une incroyable joie de vivre : «Elle aimait danser, chanter comme une déesse, prenant la derbouka en entonnant toutes les chansons comme une professionnelle avertie.
Elle contaminait tout le monde par sa bonne humeur» Le triangle formé par les trois personnages est ainsi tracé. Puis au fil du récit, des réminiscences refont surface dans l’esprit de Loua et nous fixent dans les entrailles de la ville où d’autres personnages sont décrits par l’auteur.
Tel un kaléidoscope, les portraits se défilent sous la plume vive de l’auteur. A travers la description des personnages et de la ville, le lecteur retrouve la touche de l’artiste avec une palette foisonnant d’images, de couleurs et de parfums.
Le résultat produit un effet visuel surprenant. Après la description de cette journée à la rencontre de l’univers de Loua, les couleurs sombres de la nuit reprennent le dessus. Ainsi, «le temps avait effacé la journée, le ciel était blanc, zébré de traits noirs, les égouts éclatent en jolis éclairs fangeux, bouillonnants, délicats feux d’artifices de merde».
C’est dans cette ambiance que Loua allait tenter de déclarer sa flamme à sa dulcinée qui habite les beaux quartiers. A l’autre bout de la ville, le rideau venait de tomber sur une funeste tragédie. Dans la pièce de l’homme tant adoré «Silima semble dormir, elle est blanche comme une belle statue de marbre».
L’héroïne a osé prendre sa vie en main dans un ultime geste de révolte. Dès lors, «Silima dort du sommeil du juste, elle a choisi, une seule fois dans sa vie, elle a choisi. (…..) Elle semble narguer la vie qui l’a rendue souvent triste, et semble rire de cette mort qui semble la rendre si gaie, curieuse incartade du destin, surnaturelle note d’humour ironique».
Le roman se conclut au bord de la falaise ou Loua «s’envole, s’envole dans un grand rire explosif». Lors de la présentation de son livre, l’auteur a souligné que «Zorna ! est une proposition esthétique qui répond au besoin de dire des choses.
Il a été construit dans une optique qui se veut populaire». Rappelons qu’en plus d’être un artiste peintre accompli, Jaoudet Gassouma est aussi journaliste, titulaire d’un magister en communication et d’une maîtrise en arts plastiques.
Dans la posteface, on peut lire que «Derrière une gaieté intempestive et juvénile, l’auteur se joue des mots, car derrière leurs sonorités ludiques se cachent la douleur et les cris des réclusions des libertés, traduites ici par une syntaxe qui prend revanche sur les points».
Dès lors, ce qui compte dans ce roman c’est la représentation fortement palpable des personnages et de leurs rêves inassouvis. Ce sont ces milliers d’habitants d’une ville enchanteresse dont le constat est plein d’amertume. Finalement, Zorna! ponctué d’un point d’exclamationarésonne comme un cri, un hurlement de désespoir parfumé au jasmin.
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Posté Le : 10/04/2004
Posté par : nassima-v
Ecrit par : S. B.
Source : www.dzlit.free.fr