- Sonatrach envisage sérieusement d’implanter un nouveau pôle pétrochimique à Guerbès, qui abrite l’une des zones humides des plus importantes du pays. Serait-il possible qu’une telle cohabitation soit sans danger sur le devenir de cette zone?
Nous ne savons que très peu de choses sur ce projet et il est fort possible qu’on n’en sache pas plus, car c’est dans la pratique courante des décideurs de prendre sans une large concertation des décisions qui engagent le devenir de toute une région. Seuls quelques élus et initiés sont dans la confidence parce qu’ils sont incontournables. Il faudra guetter les annonces pour les enquêtes publiques de commodo-incommodo, s’il en est, et celle de l’étude d’impact sur l’environnement pour disposer de quelques bribes d’information.
Pour répondre à votre question sur la possibilité d’une cohabitation d’une zone naturelle de l’importance des Guerbès-Senhadja et d’un complexe pétrolier, ma réponse est oui. Le savoir-faire d’aujourd’hui, avec les progrès accomplis dans la technologie et la connaissance des fonctionnements des écosystèmes naturels procurent des solutions satisfaisantes lorsqu’on est confrontés à des défis de cette nature. Par contre, ce qu’il faut craindre, notamment dans les pays comme le nôtre où trop souvent l’accessoire l’emporte sur l’essentiel, c’est que les conditions draconiennes et parfois complexes qu’exige ce type de voisinage ne soient réunies que pour le jour de l’inauguration.
En fait, ce sont les études, la réalisation, la conduite de ces projets et leur gestion qui suscitent des inquiétudes plus que les infrastructures proprement dites. La manière de faire est souvent plus désastreuse pour l’environnement que l’activité en elle-même.
- Selon des sources proches de Sonatrach, le projet devrait être implanté en dehors du périmètre de la zone humide Guerbès-Sanhadja. Serait-ce là une garantie suffisante contre d’éventuelles répercussions sur la zone humide?
Le public doit savoir que la région de Guerbès-Sanhadja est d’une beauté saisissante pour les yeux et pour l’esprit. Par d’heureux hasards, elle a échappé en grande partie à la défiguration qui ruine les fabuleux paysages de notre pays. Elle fait face depuis quelques années à une exploitation irraisonnée et ravageuse de ses massifs forestiers, de son eau et particulièrement du sable de ses dunes. Le public doit aussi savoir que ce site naturel doit son existence à la rencontre fortuite d’un massif dunaire côtier encastré entre deux massifs forestiers qui couvrent les flancs de l’Edough à l’est et les monts de Filfila à l’ouest, de la juxtaposition d’une trentaine de plans d’eau bordés d’une végétation aquatique exceptionnelle et des caprices de l’oued El Kébir qui se déploie en entrelacs pour arroser ce grand jardin. Cette interdépendance des milieux en a fait une zone humide d’importance internationale et un réservoir de la biodiversité méditerranéenne. Cette configuration unique a permis la survivance d’espèces végétales extrêmement rares. On en dénombre 23 sur un total de 283 recensées dans cette région – la flore algérienne en compte 1800. On y compte également des espèces d’oiseaux migrateurs en déclin dans d’autres régions du monde.
- Quelles seraient les incidences de l’implantation d’une plateforme pétrolière sur un système naturel aussi imbriqué et diversifié?
Si l’on s’en tient à une activité classique du genre, les menaces proviendraient des rejets en mer qui infuseraient avec les eaux marines qui s’infiltrent par le goulet de l’oued ou par les eaux souterraines. La pollution par les gaz torchés modifierait considérablement la composition de l’atmosphère et sa température au-dessus du site naturel une longue partie de l’année à la faveur des vents d’ouest dominants. Les polluants arriveraient à rejoindre les eaux de la nappe contenue dans les dunes. A tout cela, il faut ajouter tous les inconvénients liés à l’activité en elle-même, notamment la circulation des véhicules.
- Quelles seraient, selon vous, les conséquences directes et indirectes d’un tel projet?
La zone humide Guerbès-Senhadja, l’une des plus grandes du pays, est classée depuis février 2001 sur la liste d’importance internationale Ramsar. Ce n’est malheureusement pas une garantie pour sa protection, mais cela engage les pouvoirs publics à assurer sa protection et l’utilisation rationnelle de ses ressources. C’est la première zone humide du pays à disposer d’un plan de gestion qui définit les actions pouvant y être envisagées.
Il est fort probable que, comme pour l’autoroute Est-Ouest qui a transpercé le Parc national d’El Kala alors qu’elle pouvait le contourner, ce nouveau projet soit présenté comme la panacée à tous les remèdes socioéconomiques de la région et foule aux pieds toutes les autres options antérieures. Ce qu’il faut craindre d’un projet de l’ampleur de celui annoncé, soit 700 ha au nord-ouest de la zone humide, c’est de ne pas tenir compte de la richesse biologique, esthétique mais aussi économique de la zone naturelle où il s’implante. Les conséquences seraient de perdre à tout jamais cet inestimable patrimoine.
Khider Ouahab
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Posté Le : 16/03/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: vitaminedz.com ; texte: Entretien par Khider Ouahab
Source : El Watan.com du samedi 16 mars 2013