Algérie

Zohra et Bernard, le bombardier et le couffin !


Zohra et Bernard, le bombardier et le couffin !
Mars 1957. La bataille d'Alger fait encore rage. Une conférence de presse est animée par le général Massu et son légendaire prisonnier Larbi Ben M'hidi. Un journaliste français lui demande : «Ne trouves-tu pas lâche d'utiliser les sacs et les couffins de vos femmes pour transporter vos bombes. Ces bombes qui tuent des victimes innocentes.» Le chef militaire algérien de la Bataille d'Alger lui rétorque : «Et vous, ne vous semble-t-il pas bien plus lâche de larguer sur des villages, sans défense, vos bombes napalm qui tuent mille fois plus d'innocents ' (') Donnez-nous vos bombardiers, monsieur, et on vous donne nos couffins.» Ben M'hidi ne pouvait pas savoir alors qu'il venait de donner un contenu plus moderne au concept de guerre asymétrique. Marseille, fin mars 2012. Colloque sur la Guerre d'Algérie, cinquante après. La question à Ben M'hidi est de nouveau posée à Zohra Drif-Bitat, une de ses porteuses de couffins de bombes pendant la Bataille d'Alger. Quarante-sept ans après, la moudjahida, terroriste pour l'ennemi colonial, développe, avec un insupportable flegme pour ses contradicteurs du jour, la doctrine de la guerre asymétrique. Elle explique qu'il n'y a pas de mesure commune pour comparer les manières avec lesquelles les deux belligérants faisaient la guerre. Il y avait un décalage réciproque en termes d'objectifs, de visions du monde, de valeurs, de moyens et de limites à l'utilisation de la violence. Le caractère éthique du conflit ne pouvait donc pas être garanti. Sans justifier en soi l'horreur de son propre acte, Mme Bitat a renvoyé à ses critiques l'argument supplémentaire de l'antériorité et de la primauté coloniales en matière d'usage de la violence aveugle. Elle a rappelé à ce propos que les ultras de l'Algérie française posaient déjà des bombes à Alger. Comme ce fut le cas le 10 août 1956 avec l'abominable attentat de la rue de Thèbes, au c'ur de la Casbah. Comme Ben M'hidi, son chef de guerre, elle a usé de toute la force de dissuasion intellectuelle contenue dans l'équation militaire du bombardier et du couffin. Bien avant Ben M'hidi et Mme Zohra Drif-Bitat, les Grecs faisaient déjà la différence entre métis, la guerre basée sur des stratagèmes et arèté, l'affrontement centré sur la force physique disproportionnée. Et on sait depuis longtemps que les terroristes des uns sont les partisans des autres. Lénine, Trotski, Mao Tse Toung et Che Guevara utilisaient déjà des termes tels que «guerre irrégulière», «guerre partisane» et «guerre révolutionnaire». On ne refait pas l'Histoire et on ne revisite pas le concept, même en 2012. Ce ne fut pas le cas de Bernard Henry Levy, qui s'est escrimé à arracher à Mme Zohra Drif-Bitat des mots de remords, de regret ou de doute. Le philosophe, dont la morale asymétrique et asynchrone n'a pas toujours été de la même couleur que le blanc immaculé de ses chemises, a certes dit de justes vérités. Comme reconnaître que «le colonialisme est une honte qui salit ses responsables en même temps qu'il humilie ses victimes et qui n'eut pas d'aspects positifs». Ou encore de considérer
choquante l'idée de ces officiers français coupables de crimes et de torture, morts en paix, dans leur lit, réhabilités par le pouvoir et rétablis dans leurs grades, pensions et décorations. Mais, aussi insupportables soient-ils, les violences des uns et autres, leurs exactions respectives, les drames ainsi générés, ne sauraient avoir, de part et d'autre, un sens commun. Là aussi, asymétrie des douleurs, dissymétrie des mémoires. C'est la question même que posent les réponses de Mme Zohra Drif-Bitat aux adjurations et objurgations de ses interlocuteurs. Bernard Henry Levy se demande ensuite, à juste titre d'ailleurs, si «ce qui vaut pour les uns ne vaut-il pas pour les autres '» Question légitime mais qui possède l'intrinsèque vice de renvoyer, dos à dos, une France et une Algérie, encore incapables de regarder en face leur propre passé. A l'Algérie, BHL demande d'admettre ou de prendre acte, à défaut de faire son deuil, des règlements de comptes meurtriers contre les militants messalistes et les harkis, ou encore les assassinats de grands moudjahidine, présentés comme morts au champ d'honneur par l'historiographie officielle. A la France officielle, il demande de regarder en face «les crimes qu'elle a commis pendant ces sombres temps auxquels elle a tant tardé à donner le nom de guerre.» Mais, exiger de l'Algérie d'abandonner sa conception résistancialiste de l'Histoire, c'est-à-dire la vision unanimiste, mythifiée et héroïsée, vaut-il pour autant le déni permanent du passé criminel d'un Etat français incapable de construire un récit national républicain qui reconnaîtrait les crimes et la torture depuis 1830' Les exactions et les excès de violence antérieurs ou postérieurs à l'Indépendance, imputables aux Algériens, ne doivent pas servir d'excuse à la France pour faire passer son passé colonial sans solde de tous comptes mémoriels. Et sans restituer, par exemple, à l'Algérie, les archives qui doivent justement lui permettre de mieux regarder son propre passé. Lui remettre notamment les archives conservées à Aix-en-Provence, les 25 crânes de résistants conservés, par devers muséologique, à Paris. Et, de manière encore plus symbolique, lui restituer l'homme de Ternifine, près de Mascara, vieux de 500 000 ans, mis au jour en 1954. Ce pithécanthrope algérien est l'ancêtre des Berbères. Il est nous, il est à nous. Décidément, à la négation officielle des crimes, ne doit pas s'ajouter la séquestration des archives, des crânes, des ossements et des canons de la Régence d'Alger.
N. K.


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