Algérie

Zerhouni fait une «découvre»



Le président Bouteflika s'en est pris au nihilisme des émeutiers. Il a choisi le 5 Juillet, fête de la Jeunesse, pour exprimer son incompréhension face à un phénomène qui a pris une ampleur exceptionnelle.

Mettant de côté le discours très conventionnel préparé pour le 5 Juillet, le président Abdelaziz Bouteflika a choisi d'improviser pendant quelques minutes. Et, alors qu'il était attendu sur la question de l'amendement de la Constitution, le chef de l'Etat a pris tout son monde à contre-pied pour aborder des questions de société, celles relatives aux émeutes et aux harraga. Les mots ont alors semblé plus vrais, plus sincères, tranchant avec la nature du lieu, le ministère de la Défense et le côté solennel du discours.

Abdelaziz Bouteflika a paru profondément navré face à l'ampleur prise par le phénomène des émeutes et leur côté nihiliste. Comment peut-on brûler la ville après une défaite lors d'un match de football ?, s'est-il demandé, allusion à ce qui s'est passé à Oran. Comment peut-on être amené à détruire des établissements publics sous prétexte de protester contre les défaillances de l'Etat à satisfaire certaines revendications et à fournir des services qui relèvent précisément des établissements détruits par les casseurs, s'est-il encore interrogé ?

C'est en effet une logique aussi difficile à admettre qu'à comprendre, aux yeux du chef de l'Etat, qui paraissait profondément touché par cette colère destructrice qui habite la société algérienne. Les propos de M. Bouteflika étaient aussi dominés par un autre sentiment, l'incompréhension. Il donnait la nette impression d'être en face d'un phénomène dont il n'arrivait pas à saisir les ressorts et le fonctionnement. C'était valable aussi bien pour les émeutes que pour les harraga. Comment peut-on prendre le risque insensé de traverser la Méditerranée à bord d'une embarcation de fortune, de manière illégale, en prenant tous les risques, alors que des possibilités d'emploi sont disponibles dans son propre pays ? L'incompréhension est totale. Elle révèle, en fait, tout le problème de l'Algérie de 2008, avec cette impossibilité de se parler, entre gouvernants et gouvernés. Les deux groupes n'ont visiblement ni les mêmes normes, ni les mêmes repères. Ils n'arrivent pas à trouver les mêmes mots pour décrire une même situation. Là où des Algériens, ceux du pouvoir, trouvent matière à adresser des reproches et à fustiger des comportements malsains, d'autres, dans l'Algérie de la marge, trouvent un moyen d'exprimer une colère, un désespoir, et parfois une forme de suicide.

Il ne s'agit même plus de savoir qui a tort et qui a raison. La situation a dépassé ce stade. Il s'agit plutôt de voir jusqu'où ira cette fracture, jusqu'à quand elle se prolongera et quels dégâts elle va faire. Dans le même temps, il faudra voir s'il est possible de rétablir le contact entre deux mondes qui n'ont apparemment plus rien de commun, qui ne partagent plus ni valeurs, ni ambitions, ni projets.

Car on est face à deux autismes, totalement hermétiques à toute idée externe. Sociologues et psychologues expliqueront un jour pourquoi l'Algérien utilise le moindre prétexte pour brûler le siège de l'APC, barrer la route en brûlant des pneus, ou casser tout ce qui ressemble à un équipement public. En attendant, cela n'enlève pas à certains actes leur caractère nihiliste, exclusivement destructeur. Quels que soient les torts du wali corrompu, du maire véreux ou du haut responsable arrogant, rien ne peut excuser ni expliquer le saccage d'une école ou la destruction d'un bus.

De l'autre côté, les comportements au sein du pouvoir atteignent les sommets dans l'incompréhension. M. Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur, fait ainsi une véritable découverte lors des émeutes de Chlef. Il s'est montré étonné face à l'apathie de ce qu'il appelle la société civile. Il ne comprend pas comment autant d'associations se montrent incapables de se mobiliser pour éviter des destructions comme celles de Chlef et Oran. Il a même donné des chiffres: 180 comités de quartier et 1.800 associations activent dans la seule ville de Chlef ! Un chiffre vraiment impressionnant, et M. Zerhouni s'estime en droit de demander des comptes à tout ce monde qui vit largement des subventions de l'Etat. La déclaration de M. Zerhouni suscite toutefois le même étonnement de l'autre côté de la barrière: le ministre de l'Intérieur ignore-t-il que ces associations dont il parle sont la création de ses propres services ? Peut-il ne pas savoir que cette société civile a été créée de toutes pièces, et qu'elle constitue, dans son écrasante majorité, une simple clientèle de la bureaucratie locale et des services de sécurité ?

Quand M. Zerhouni et ses collègues du gouvernement se déplacent à l'intérieur du pays et rencontrent des associations, en réalité ils se parlent à eux-mêmes. Ils dialoguent avec des entités que leurs réseaux ont créées, financées, et qu'ils leurs présentent pour faire beau. Quant à l'autre Algérie, celle des harraga, de la marge, celle qui ne rencontre ni wali ni ministre, elle est ailleurs. Les hauts responsables ne peuvent pas la rencontrer parce qu'ils ont mis en place un système qui les en empêche. Cela fait tellement longtemps qu'ils n'ont pas rencontré cette Algérie qu'ils ne peuvent ni la comprendre, ni trouver les mots pour lui parler. De là peut-être leur étonnement, sincère, face à ce qui se passe dans un pays qu'ils ne connaissent plus et qui ne les connaît plus.






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