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Zehor LEMKAMI KAHIA-TANI - Présentant son livre autobiographique : DE TLEMCEN , ALLEE DES SOURCES A KHEMIS , VALLEE DES BENI SNOUS



Zehor LEMKAMI KAHIA-TANI - Présentant son livre autobiographique : DE TLEMCEN , ALLEE DES SOURCES A KHEMIS , VALLEE DES BENI SNOUS


De Tlemcen, Allée des Sources, à Khemis,Vallée des Beni Snous(*) de Zehor Lemkami

Un parcours hors du commun



Par Djilali Sari, sociologue - Le Soir d'Algérie



Excellemment, l’intitulé liant intimement l’allée tlémcenienne, pléiade de notabilités fermement acquises aux idées novatrices, à la vallée éponyme de «l’une des gloires de la pensée musulmane et le représentant tardif de son âge d’or» (G. Marçais, 1950 : 69), précisément cheikh Sidi Senouci (1429-1490), natif de Tlemcen (El Boustane, 2003 : 236-247), mais de parents originaires de cette vallée isolée du territoire marocain par de hautes falaises. De fait, au-delà de ce rapport d’ordre éminemment socioculturel, l’intitulé exprime des rapports de cause à effet entre l’allée et la vallée.

D’emblée, le premier est annoncé dès l’avant-propos (p.15) pour fixer l’attention sur l’épopée de Dghine Bénali, le colonel Lotfi, révélé dès ses premiers coups d’éclat opérés à Tlemcen intra et extra-muros, dont le mitraillage spectaculaire du cercle des officiers, avec d’autres opérations étendues à la vallée des Beni Snous, la vallée baptisée des 1 000 martyrs auxquels s’est mêlé, le 12 janvier 1957, le frère de l’auteure, Mohamed El Kébir, admirateur du héros du Rif, Abdelkim El Khattabi…



A merveille, l’allée paradisiaque éprise d’idées novatrices

Paradoxalement, tout en ne dépassant guère deux cents mètres au sein du quartier d’El Kalaâ, l’allée des Sources mérite parfaitement son éponymie. Elle est parée de riches vergers alignant de discrètes maisons, appropriées de père en fils, en sus d’un petit nombre acquis durant la décennie 1930. D’autant que le voisinage de l’auteure se compose de vénérables familles.

C’est ainsi que même après un recul de plus de six décennies, leur identification est demeurée gravée dans la mémoire de la narratrice en restituant fidèlement la galerie de portraits impressionnants.

De rappeler l’accueil chaleureux réservé à des élites d’alors, de leaders du PPA-MTLD, le président de l’UDMA Ferhat Abbas, cheikh Bachir El Ibrahimi, connu par l’auteure dès son enfance par l’intermédiaire de son père, sympathisant de l’association qu’il a présidée, alors qu’elle s’est souvenue des écrits conservés par sa mère relatifs au héros précité, Abdelkim El Khattabi au (pp. 89-90).

C’est donc au sein de cette allée que l’auteure «a ouvert les yeux», au sens propre et figuré, en se mêlant depuis sa prime enfance à ses voisins : à sa droite, la famille Kaddour Meghili, descendance de l’imam du Touat Abdelkrim Meghili (1440-1503), à gauche, aussi bien Abdelhamid Benachenhou (M. Benachenhou, 2014 : 44-45) que la famille précitée, Dghine Benali, celle du colonel Lotfi, en sus d’autres voisins, les uns et les autres parfaitement identifiés, tous vivant en bonne entente avec leurs vis-à-vis.

Pour ce qui des voisins d’en face, c’est Hadj Abdelkader Gaouar, «homme de grande culture», ayant hébergé la famille Berrada, expulsée du Maroc. Son mitoyen est Djelloul Benkalfate (1903-1989), l’instituteur, directeur de l’Université populaire, au demeurant l’un des fondateurs de la société de musique arabo-andalouse, Gharnata.

Par ailleurs, l’on relève quelques Européens entretenant de cordiales relations avec leur vis-à-vis : Zehor a commencé à parler français grâce à une de leurs fillettes. «J’allais jouer chez elle comme elle venait jouer chez moi.» Décidément, dès sa prime enfance, Zehor s’est immergée au sein d’un voisinage modèle, de surcroît confortée par sa famille élargie, alors qu’à son veuvage, la grand-mère maternelle a géré avec compétence l’usine de torréfaction, en assurant décemment la subsistance à ses proches durant la Seconde Guerre mondiale, ses années de misère, de rationnement de denrées alimentaires, de typhus, de surmortalité maximale en 1942...



L’élève Zehor rejetant obstinément l’ostracisme

Si la narratrice a réussi brillamment son cursus scolaire, elle n’a pas moins été brusquement confrontée à l’injustifiable orientation ayant failli compromettre prématurément sa scolarisation. L’illégal renvoi de son école de la rue de Fez vers l’école de la Métchkana occupée par les militaires en 1943. Parfaitement consciente, elle n’a pu admettre pareille sanction en demeurant parquée avec des élèves livrés à eux-mêmes dans les locaux de l’inspection académique. Suite aux vaines tentatives faites par son père auprès de la directrice, Zehor a dû regagner l’école d’orientation, résolument, en se tenant debout, tous les jours, devant la porte de l’inspecteur «à mourir d’ennui». Apostrophée un jour par l’inspecteur, la réponse est sans ambiguïté : «Monsieur, je veux retourner à mon école de la rue de Fez» (p. 40). Aussitôt, l’inspecteur de lui donner raison : «Lundi tu te présenteras à la directrice de ton école.» Le rejet catégorique d’une décision entachée de discrimination raciale !



Allègrement, de détermination en détermination inébranlable

Rétablie de plein droit au sein de son école initiale, l’élève s’est appliquée ardemment, stimulée par de vibrants chants patriotiques entonnés par les jeunes Scouts, d’autres appris à la maison par son oncle Mohamed, non-voyant rentré de nombreux séjours en prison, auteur de La vie d’un aveugle, édité cinq fois, la dernière édition en 1952. Parmi ces chants, figure celui consacré au 8 Mai 1945, d’autant que des orphelins sont accueillis par des voisins, les Boukli…

Point de surprise donc si le cursus s’est poursuivi brillamment au lycée de jeunes filles jusqu’à l’année 1955-1956, année durant laquelle la lycéenne s’est engagée activement dans la résistance multiforme, accomplissant différentes missions, voire jusqu’à Sidi-Bel-Abbès et Oran. En parallèle, la famille s’est impliquée, à l’instar du martyr précité, Mohamed El Kébir (1930-1957), le cadet Fethi (né en 1933) qui a rejoint le maquis comme soignant, puis tireur du fusil-mitrailleur Bren.

Arrêté en 1956, soumis à d’atroces tortures, il a été condamné à mort. Commué aux travaux forcés, il a transité par plusieurs prisons dont l’horrible bagne de Lambèse. De même la sœur aînée Badia, dite Khouira, l’une des premières sages-femmes de la ville, s’est engagée, alors que son cabinet médical, sis au cœur de la ville, a accueilli nombre de cadres de l’ALN, tels Yahia dit Si Djaber, Si Mokhtar di Ougab El Lill, Tahar Si Ferradj, tombé au champ d’honneur avec le colonel Lotfi, le 28 mars 1960.

Quoi qu’il en soit, prévenue in extremis de la découverture de son réseau, et afin d’échapper aux supplices et préserver sa famille, Zehor a contacté son oncle Hocine, cheminot et célèbre footballeur de l’USFAT. Aussitôt il leur a été réservé un compartiment du train à destination d’Oujda.

L’arrêt de Maghnia a désarçonné Zehor dès l’intrusion de policiers venus vérifier son passeport. Prémonitoire, à temps, elle s’est mêlée aux militaires convoyeurs du train parvenant ainsi à les dissuader une première fois. A la deuxième, leur intervention est salutaire : «Laissez la jeune fille, elle vous a déjà dit qu’elle allait chez son père.» Le reste du trajet n’a pas moins été stressant… Heureusement l’accueil à Oujda a été réconfortant car déjà préparé par les parents résidant Casablanca de concert avec un responsable du FLN. Sans tarder, la famille est partie à El Jadida, petite vile située entre Casa et Safi.



Résolument, la poursuite d’une résistance optimale

Rapidement, une maison à étages dénichée par le père devait satisfaire les exigences de la nouvelle donne, avant tout soutenir la cause nationale grâce à l’aménagement d’un cabinet médical pour Badia, alors que Zehor parvient à décrocher un poste d’enseignante pour subvenir aux besoins de la famille, davantage assurer l’aide aux djounoud de l’ALN, notamment ceux soignés dans le cabinet médical. En parallèle, l’enseignante est absorbée par différentes tâches en faveur du FLN. Telle sa mobilisation à la kermesse grandiose organisée, en 1957, par les Algériens d’El Jadida avec le concours des artistes repliés au Maroc, à l’instar de Sid Ali Fernandel, tandis que l’orchestre du cheikh Larbi Bensari a subjugué l’assistance. D’autant que parmi les honorables invités figurent les Khatib, la symbiose des Algéro-Marocains impulsée, en 1845, par la rencontre du plénipotentiaire El Guebbas venu à Alger en mission, avec Omar El Khatib El Mahmoudi, illustre lettré bilingue natif de Mascara (p.130) ayant fait souche au pays d’accueil. Autant donc de chaleureuses retrouvailles que de rentrées financières «colossales». Concernant l’après-Safi, de 1958 jusqu’au début de juillet 1960, une longue période, certes palpitante et trépidante, mais de plus en plus stressante à partir de janvier 1960, précisément suite à… son mariage avec Mohamed Lemkami, officier de l’ALN, chargé de missions longues et dangereuses dont celle menée à Genève.



Le couple modèle voué à l’édification de l’Algérie souveraine

Tant attendue au cours de l’anxieuse étape finale, l’ère nouvelle est entreprise avec foi et forte conviction : «Nous voulions cette Algérie belle, saine et qui relève tous les défis. Il fallait être à son poste, réaliser et se dépasser.»

Avec ardeur, l’auteure a rejoint la Bibliothèque nationale, puis celle de l’Institut d’études politiques, se formant et formant nombre de jeunes jusqu’à sa mise en retraite anticipée pour mieux se consacrer à sa famille. S’agissant de son époux, premier bachelier des Beni Snous, il a exercé au sein de trois ministères, notamment la Santé, de 1971 à 1977, en gérant avec compétence la Pharmacie centrale algérienne, à l’avènement de la médecine gratuite à partir de1974, en privilégiant la formation avec l’ambition de produire 70% des besoins en médicaments. Mais tout a été remis en cause suite à son élection à l’APN, en 1987, expressément par les habitants de la vallée des Beni Snous.

Or, après deux mandats, il a été écarté pour de prétendus idées jugées «trop à gauche», alors que sa mise à la retraite d’office est intervenue après avoir représenté l’Algérie en Albanie, de 1988 à 1992…

En définitive, l’écriture de deux Mémoires édifiants, confluence puis fusion de deux parcours héroïques voués tant à l’affranchissement de l’Algérie du joug colonial qu’à sa réédification exaltante.

D. S.



* Zehor Lemkami - Kahia Tani (2016) : De Tlemcen, allée des Sources à Khémis, Vallée des Beni Snous, Alger, éd. Dahlab, 243 p.



Références bibliographiques succinctes

Benachenhou M. (2014) : Les clairons de la destinée, Alger, éd. Casbah, 158.

Ibn Maryam Echarif El Melity El Meyouni At Tilimçani (2003) : El Boustane, trad. Fprovenzali, Tlemcen, éd. Ibn Khaldoun, 592 p.

Lemkami M.(2004) : Les hommes de l’ombre, Alger, éd. Anep, 531 p. Alger, éd. Dahlab, 243 p.

Marçais G. (1950) : Tlemcen, ville d’art et d’histoire, Paris, éd. Leurot, Taleb Bendiab, Tabet Aoual, A. (2006) : La bataille de Tlemcen, Actes des journées des 2 fév. et 18 mai 2006, Tlemcen, éd. Ecolymet, 2006, 420 p.



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