«Les libertés
d'expression, d'association et de réunion sont garanties au citoyen». Constitution
de la R.A.D.P.
L'Histoire
pourtant refoulée avec constance revient à chaque fois en force, à chaque fois
qu'un évènement très banal lui en donne l'occasion, le prétexte, surtout si on
a tenté, si on tente toujours de la privatiser. Le chef d'une formation
politique, M. Saïd Sadi, a écrit un livre sur un héros légendaire de la Guerre
de libération nationale, en remettant en cause des tabous, des dogmes maintenus
en l'état par divers courants et sectes politiques selon une continuité et une
cohérence depuis 1962. Le leader du R.C.D. n'est pas historien et n'a jamais
prétendu l'être. Comme acteur politique, il est tout a fait dans son rôle pour
tout ce qui concerne le passé, le présent et l'avenir de la cité qui est la
sienne, au même titre qu'elle appartient à tous les Algériens. Et tous ceux qui
ont le talent, qui accèdent à des archives, à des témoignages ou qui ont la
passion de l'Histoire peuvent, doivent écrire et dire. Et ceux qui ont assumé
des responsabilités durant la Guerre de libération nationale, petites ou
grandes, peuvent, s'ils le veulent, écrire et dire. Evidemment, l'écriture de
l'Histoire, qui a des règles scientifiques, de rigueur et d'honnêteté intellectuelle,
appartient exclusivement aux seuls historiens. Ces derniers utilisent toutes
les matières possibles, à condition qu'elles soient accessibles, pour faire un
travail qu'ils sont seuls à savoir faire depuis toujours.
La participation active à la lutte contre le
colonialisme n'autorise ni à la mainmise sur l'Histoire de celle-ci, et encore
moins à une quelconque forme de monopole ou à des privilèges, à part les
pensions, retraites et autres attributs fixés par la loi. Les gardiens
autoproclamés des temples, dont certains sont des usurpateurs, ne sont ni
historiens et encore moins mandatés pour faire perdurer une légitimité
historique devenue obsolète par les pluralismes constitutionnels et l'arrivée
massive d'une jeunesse beaucoup plus avertie que le pensent les «régulateurs»
d'une transition attrape-nigauds. En écrivant, M. Sadi ne fait que labourer le
champ encore vierge des débats contradictoires. Mais qu'il n'oublie pas de
remercier ses détracteurs pour la publicité qui lui est faite, qui lubrifie sa
charrue et lui fait engranger des lecteurs et de l'audience. Boumediene, les
prophètes, Boussouf et tous ceux qui entrent dans l'Histoire ne sont que des
humains, trop humains. Lorsque nous serons tous morts, resteront les livres
pour le bonheur des historiens.
Un autre intellectuel laboure sans cesse les
champs arides du débat en produisant. Amine Zaoui, écrivain majeur et
troubadour itinérant, grand érudit, publie, donne des conférences et débat là
où c'est possible. Ce qui alourdit son dossier, c'est qu'il est bilingue
accompli. Ce qui doit faire rager beaucoup d'unijambistes et de stagiaires en
fetwas qui baragouinent et éructent avec moult grimaces et décibels des
jugements à l'emporte-pièce, qui sévissent dans les lieux du culte et les
médias lourds, qui croient être dans l'air du temps, celui de la démission et
la complaisance envers ceux qui labourent les champs du charlatanisme, de la
rokia qui a ses cabinets spécialisés, acceptés par des politiques, de
l'analphabétisme et des désarrois sociaux (1). Avec l'injection illégale
d'argent public. Amine Zaoui, avec patience, intelligence et savoir-faire,
occupe, dans son rôle de laboureur, la place trop souvent laissée vacante par
des clercs qui préfèrent «l'officiel», le bling bling, le bavardage pseudo
éclairé. En soulevant dans le quotidien «Liberté» la question des écrivains de
graphie latine que l'on veut, y compris à l'université, excommunier pour délit
d'altérité, Zaoui, tout en labourant, tire la sonnette d'alarme devant des
«douktours» qui instrumentalisent la langue arabe, sans produire aucun essai
pertinent, aucune Å“uvre majeure susceptible d'accéder à l'universel par la
traduction, dans cette même langue qu'ils font mine de défendre contre les
«traîtres» francophones, ces nouveaux harkis de l'Algérie de 2010. Tristes
tropiques qui voient de manière régulière se rallumer la guerre des langues par
ceux qui sucent la rente au moment où des langues dominent le monde par la
science, les technologies alors que l'Algérie est envahie par les produits «Taïwan»
venus de tous les coins de la planète. Zaoui, inlassable, laboure des camps
délaissés par nombre de ses pairs à l'ombre de «l'officiel» qui gratifie. Une
fois que nous serons tous morts, les générations futures qui n'auront connu ou
reconnu aucun officiel trouveront les écrits de Zaoui comme autant de pépites
pour les historiens qui s'en serviront pour écrire l'Histoire ancienne et
récente de l'Algérie.
L'Histoire commune, partagée pour toujours
par l'Algérie et la France, n'en finit pas de balbutier, d'être manipulée des
deux côtés de la mer par des sectes hautement intéressées aux plans symbolique,
politique et surtout par des rentes qui financent, dans les deux pays, des
fondations, des associations, des «familles» dans lesquelles on retrouve peu de
vrais et légitimes combattants, très peu qui ont risqué leur vie, leurs biens,
leur liberté, qui portent sur le corps les stigmates des tortures et des
atrocités commises par la soldatesque française. De l'eau coulera sous les
ponts avant que les politiques des deux côtés et les législatifs se décident à
ouvrir toutes les archives aux historiens, quelle que soit leur nationalité,
pour mettre, sur la durée, au net, la période coloniale, la Guerre de
libération nationale et la période ouverte dès l'indépendance politique. M.
Harbi, un autre laboureur, reconnu par ses pairs dans le monde entier, a mille
fois raison de renvoyer dos à dos Alger et Paris qui bloquent des archives en
faisant la part belle aux acteurs politiques, au détriment des historiens et de
la vérité. L'espace où la France marque des points concerne les radios et T.V
(privées et publiques) très nombreuses, qui organisent régulièrement des débats
contradictoires avec la participation d'Algériens et de Français, sur
l'Histoire commune.
L'Histoire est revenue, encore une fois,
frapper à la porte grâce à un film de fiction. Les hors-la-loi de Bouchareb,
financé à 20% par l'Algérie, a provoqué de l'émoi chez quelques centaines de
pieds-noirs racistes, au sein de la piétaille du Front national encore dirigé
par un ex-officier français tortionnaire, et chez quelques élus du parti de M.
Sarkozy. Les réactions et la très faible mobilisation contre le film ont
conforté le choix des responsables du festival de Cannes, restés sourds aux
appels d'une minorité proche de l'exécutif et du législatif U.M.P qui
espéraient une non sélection de l'Å“uvre. Les nationalismes chauvins sont montés
au créneau des deux côtés. En France, une simple fiction est devenue une
insulte à la France, qu'il convient de corriger en «rectifiant l'Histoire».
Alors que Bouchareb ne s'est jamais considéré comme historien. C'est un artiste
qui délivre un regard personnel et subjectif comme le font les créateurs depuis
l'aube de l'humanité. En Algérie, dans la foulée de la loi qui criminalise le
colonialisme (mais que devient-elle?), on a nationalisé un film qui serait
représentatif de l'Algérie au plan de l'Histoire et de la vérité. Il y aura des
Algériens qui aimeront le film. Heureusement. D'autres Algériens ne l'aimeront
pas. Heureusement, car les citoyens ne sont pas des clones. Cependant, les
artistes, à leur façon, labourent en provoquant le débat en dehors de la
critique et des publics. Alors laissons tous les laboureurs labourer en
produisant dix, vingt, cinquante films par an sur hier et aujourd'hui et
donnons du grain (les archives) à moudre aux historiens. Ce sont les seules
réponses qui resteront lorsque nous serons tous morts. Officiels et laboureurs.
(1) Voir le
dossier de la tribune du 22.05.2010.
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Posté Le : 27/05/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com