Algérie

Zaoui Bouhaous, le dernier survivant de la bataille de Ghambou (Timimoun)



Zaoui Bouhaous est né présumé en 1943 (réellement en 1840 ou 41) à Aïn Hamou près de Tinelkouk (wilaya de Timimoun). Il fait partie d'une famille de moudjahidine, neuf de ses parents sont tombés au champ d'honneur dont 3 oncles paternels et 2 oncles maternels et 4 ont fait de la prison. Il a été le témoin oculaire de la plus grande bataille durant la guerre de libération, qui a eu lieu au Sud, la bataille de Ghambou ou bataille de Timimoun.Pour les générations d'aujourd'hui, le nom de Timimoun évoque l'oasis rouge en raison de l'argile rouge éclatant dont elle est bâtie, il évoque aussi la beauté de son paysage, les palmeraies qui colorent en vert ses environs, sa sebkha qui la sépare des hautes dunes du Grand erg occidental, les couchers de soleil flamboyants. Elles ne savent pas ou peu que cette région a aussi participé au combat libérateur du pays. Elle a notamment été le théâtre de la fameuse bataille de Ghambou. Deux grandes personnalités ont eu une influence majeure sur les habitants du Sud au cours de la guerre de libération, El-Hadj Mohammed Belkébir et El-Hadj Cheikh Belhachmi dit Mhamed, tous deux avaient étudié chez Si Moulay Mohammed Didi et par la suite ont déclaré le Djihad. Le premier a combattu avec la plume, le second avec le fusil.
Le Sud rejoint la révolution de Novembre:
Dès le début 1955, la décision a été prise par le FLN d'étendre la lutte au Sud. Les caravanes allaient régulièrement vers le Nord, c'est donc à travers elles que les premiers contacts ont été établis à Aïn Laraak près d'El Bayadh. Cheikh Belhachmi dit Si Mhamed a mis en place un système de collecte de la zakat (impôt religieux annuel représentant 2,5% des avoirs, ou le dixième des récoltes ou une part chez les éleveurs) pour financer l'effort de guerre.
En 1956, Si Mhamed est allé à Oued Namous dans la région de Naama avec un groupe de combattants armés. Il a rencontré Akbi Abdelghani qui était le chef de la zone 8 dans la région de Béchar-Figuig de la wilaya V. Impressionné par la personnalité de son interlocuteur, Akbi l'a invité à rencontrer le colonel Lotfi, chef de la wilaya V. C'est lors de cette rencontre que la stratégie d'organisation et d'action de l'ALN dans le Sud a été discutée.
Dès son retour, Si Mhamed commence à recruter des éléments en service dans l'armée française. Son choix s'est porté sur les méharistes qui étaient en nombre important et qui étaient chargés des rondes d'inspection, c'étaient aussi des gens du bled partageant les mêmes traditions et la même culture. Il s'est donc mis à les convaincre de la nécessité de rejoindre la cause sacrée nationale.
Il a pu ainsi recruter 23 personnes mais avait exigé d'elles un engagement sans faille qui devait se concrétiser par un passage avec armes et bagages ou être recherché par la police militaire coloniale, le Sud étant encore territoire militaire. Seuls sept méharistes avaient dans un premier temps ramené leurs armes avec eux.
Parallèlement, avec l'argent collecté, Si Mhamed a commencé à acheter des armes. Là où il apprenait qu'il y avait une arme, il cherchait à la récupérer. Les liens de sang ont favorisé l'approche des autres méharistes dont quatre groupes étaient en service dans le Gourara : Beni Abbes, Brézina, Adrar et un chargé des parcours de pâturage.
Pour mettre à la disposition des différentes sections des provisions alimentaires, Si Mhamed a constitué un groupe logistique composé de Si El Hachmi, son frère, Allal et Larbi Belguendouz.
Le 1er accrochage fait l'effet d'un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Le 20 octobre 1957, les Méharistes musulmans du Touat abattent leurs 8 officiers français et rejoignent avec deux fusils-mitrailleurs, un appareil radio C9 et une centaine de dromadaires les rangs de l'ALN. Au total, 70 méharistes ont été recrutés par Si Mhamed mais au moment de leur regroupement, il y a eu quelques défections pour des motifs divers, ce qui fait qu'il n'a pu compter que sur 64. Il a formé 4 sections de 15 chacune, il a ajouté dans chaque section des éléments de l'ALN puis les a réparties sur plusieurs régions : Béchar, Béni Abbes et un groupe dirigé par Si Mhamed dans l'Erg occidental qui est parti se positionner à Ghambou. Le 8 novembre 1957, une section croise un convoi de la Compagnie des pétroles algériens, à 40 kilomètres au nord de Timimoun, un accrochage s'ensuit, deux Français sont abattus et cinq légionnaires sont faits prisonniers en même temps qu'un groupe de soldats locaux. La section récupère un fusil-mitrailleur et une dizaine d'armes et plusieurs Land-Rover sont brûlés.
Cette montée en puissance de la guérilla crée un émoi particulier dans la sphère politique à Paris et dans l'état-major colonial. La situation est considérée comme très grave, le pétrole venait d'être découvert à Hassi Messaoud et la Compagnie des pétroles d'Algérie s'est installée à Timimoun. L'apparition d'un foyer d'insurrection au Sud contrariait grandement les intérêts coloniaux. Aussitôt se déclenche un branle-bas de combat sans précédent dans les annales du Sud. La France fait appel à son élite militaire et c'est le colonel Bigeard, tristement célèbre par ses assassinats à Alger, qui est appelé à la rescousse à la tête du 3e régiment de parachutistes.
La bataille de Ghambou :
Le 13 novembre, une force coloniale impressionnante se met en place : six compagnies de 150 éléments chacune de bérets rouges ; un PC avant (30 personnels), un PC arrière (60), un commando Air (100), une compagnie portée de Légion étrangère (200 éléments), une compagnie méhariste (100 fusils) et les garnisons de Timimoun (40), Kerzaz (50), de Beni Abbes (80), soit au total 1.590 soldats. Zaoui estime que cette force était plus importante encore, entre deux et trois mille hommes. Elle était dotée de moyens considérables : cinquante GMC, quatorze Dodge 6 x 6 (fournies par la Compagnie pétrolière), vingt-neuf jeeps, deux Piper, six Hélico S-58, trois Dassault, deux Dakota et moyens de transmission. Bigeard exige des moyens supplémentaires qui sont immédiatement satisfaits : trois JU-52, au lieu de deux, deux patrouilles de T-6, moyens d'appui-feu, trois Nord 2.501, trois Piper au lieu de deux. Le 19 novembre, les avions de reconnaissance localisent la force ALN près de Hassi Ghambou à 80 kilomètres au nord-est de Timimoun (à vol d'oiseau).
Le 20 novembre, l'armée française fait mouvement vers Ghambou. Tout en maintenant la surveillance aérienne, les véhicules militaires se dirigent vers le lieu, les troupes qui n'étaient pas très loin marchaient à pieds. Dans la soirée, alors que Si El-Hachmi, Allal, Larbi et notre héros étaient au PC ALN, deux sentinelles placées plus loin, Aïchaoui Kaddour et Litim Cheikh (qui tombera au champ d'honneur durant la bataille) sont venues les informer que le gros des troupes françaises se trouvait à Zaouiet Ed-Dabagh. Les six décident alors de rejoindre Ghambou où stationnait l'ALN. Notre héros et Allal étaient chargés des dromadaires qui portaient les provisions ont tout abandonné sur place pour rejoindre le reste de la troupe rapidement à pieds. D'autres guetteurs qui étaient placés dans d'autres endroits comme à Fatis se sont aussi dirigés vers Ghambou.
Aïchaoui Kaddour était gros, il marchait difficilement dans les dunes, Si Mhamed a demandé à Zaoui Bouhaous de l'accompagner alors que les quatre ont pressé le pas pour rejoindre le groupe le plus vite possible. Les éléments de l'ALN avaient pris position dans l'oued, éparpillés au milieu des dunes. Le temps était clair. Lorsque Zaoui et Aïchaoui sont arrivés en vue du groupe ALN, l'armée française avait déjà pris position entre eux et ils ne pouvaient le rejoindre par contre du haut d'une dune, ils pouvaient suivre de loin la bataille qui allait s'engager. Les tirs ont alors commencé alors que le ciel était encombré d'hélicoptères et d'avions. Tard dans la journée, des parachutistes ont été largués derrière le groupe ALN pour le prendre de revers. 1.590 soldats français dont un régiment d'élite étaient confrontés à 57 moudjahidine de l'ALN. La bataille a fait rage toute la journée. Les militaires français dont certains se battaient pour la première fois dans le sable ne savaient pas s'y prendre et constituaient d'excellentes cibles pour les habitants du Sud plus aguerris pour ce genre de combat. Dans le feu de la bataille, de nombreux militaires français ont été tués par leurs collègues par erreur.
L'aviation française procède à un épandage d'armes chimiques :
Voyant que les pertes du côté français ne faisaient que grossir, la décision est prise d'utiliser des bombes chimiques sur les moudjahidine. La France avait déjà maîtrisé l'emploi des gaz sarin et VX à B2-Namous. Un B 26 décolle de cette dernière base pour venir larguer des bombes chimiques au-dessus du groupe ALN. Un écran de fumée blanche couvre très rapidement les dunes, Zaoui est formel, la France venait d'utiliser des armes chimiques pour neutraliser les moudjahidine. Par chance, le vent soufflait vers l'Est, il a été épargné lui et ses camarades.
Les pertes françaises étaient, en effet, considérables. Selon Zaoui, l'armée a perdu au cours de la bataille de Ghambou, 492 hommes dont 12 officiers de parachutistes. Du côté algérien, Si Mhamed et ses compagnons du PC ont été gazés. Seuls les éléments de l'ALN en retrait ont survécu, cinq qui étaient chargés de garder les dromadaires : Beddiaf Kaddour, Zaoui Slimane, Abdelkader Barara, Djakani Amar, Benhamadi Allal Benaldelkader, ainsi que les personnes qui étaient à l'ouest au niveau du merkez : Dine Slimane, Hakoum Cheikh, Cheikh Boubaker Merzoug, Bahous Benhamadi et Mhamed Belkaïd. Zaoui et Aïchaoui qui avaient suivi la bataille de loin ont été rejoints par les frères Hakoumi Kouider et Slimane ainsi que Zémala qui avait été blessé par un éclat d'une bombe. Au total, 32 moudjahidine sont tombés au champ d'honneur, ce jour-là, certains complètement obnubilés par les gaz ont été facilement arrêtés par les parachutistes français, ils ont été fusillés dans la nuit. Bigeard avait donné l'ordre de ne laisser aucun survivant. Les rescapés se sont éparpillés rapidement : dix sont partis vers Oued Namous, Zémala est parti vers El-Ménéa, Si Kouider et Si Salem Benslimane se sont enfoncés dans l'Erg occidental et Zaoui avec Aïchaoui se sont dirigés vers Souiliyet.
Pour éviter toute nouvelle surprise, l'armée française a procédé à la destruction de tous les puits d'eau situés dans l'Erg occidental qui a été déclaré zone interdite. Pour en faire un exemple, elle a aussi procédé à la démolition des habitations de tous les moudjahidine qui ont participé à la bataille de Ghambou, comme elle a brûlé leurs palmiers et leurs jardins. La surveillance des agglomérations a été renforcée et une action psychologique mise en place dans les villes du Sahara. Un centre de détention a été ouvert à Hassi Saka pour placer les personnes soupçonnées d'aider l'organisation FLN.
La répression menée par la DST a fini par neutraliser toute activité du FLN dans la région jusqu'en 1959 où une nouvelle organisation a été mise en place. Zaoui est devenu le secrétaire des merkez. Les collaborateurs de l'ordre colonial ont été combattus. Elle a permis de s'opposer efficacement aux tentatives de partition du pays. Des actions armées ont été menées comme la bataille de Ghar El Gasaâ en août 1959 et plusieurs accrochages dans l'Erg occidental notamment le 28 février 1960, le 5 mars et le 11 mars 1960.
Lors d'un accrochage avec l'armée ennemie, le 5 octobre 1961, sur 21 moudjahid, 11 sont tombés au champ d'honneur, 9 ont été blessés et arrêtés dont Zaoui qui avait une blessure au bras et à la main gauche alors que 2 ont pu s'échapper. Il est resté en prison jusqu'à l'indépendance.
Zaoui Bouhaous du haut de ses 82 ans reste aujourd'hui le témoin vivant de la grande bataille de Ghambou et des crimes commis par la soldatesque coloniale qui n'a pas hésité à recourir à l'utilisation des armes chimiques tout en essayant de supprimer tous les témoins gênants.
Références :
Interview de Zaoui Bouhaous à Timimoun le 21 décembre 2023 - https://theatrum-belli.com/kepis-noirs-et-berets-rouges-sahara-1957/ - https://www.lemonde.fr/archives/article/1957/10/22/les-rebelles-et-les-meharistes-musulmans-qui-assassinerent-jeudi-pres-de-timimoun-huit- militaires-francais-ont-ete-rejoints-et-mitrailles-par-l-aviation_2340358_1819218.html
Khiati M., Utilisation des armes chimiques et biologiques durant la guerre de libération, 2024 sous presse


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