Algérie

Zahia D.



Ha ! Ha ! Je devine les mines gourmandes, les mains qui tremblent, les bouches qui salivent sans oublier les moustaches qui frémissent. Stop ! Pieds dans l'eau froide ! On se calme tout de suite. Il n'y aura aucune ligne salace dans la présente chronique ni même aucun passage graveleux. Le Quotidien d'Oran, monsieur, ce n'est tout de même pas Paris Match, Be ou Voici : c'est du sérieux ! Mais que cela ne nous empêche pas d'aborder, de loin, la question des mésaventures de trois joueurs de l'Equipe française de football (Benzema, Ribery et Govou) mis en cause pour avoir eu des relations tarifiées avec ladite Zahia D., mineure au moment des faits, et «d'origine algérienne et non marocaine », comme se plaisent à le préciser nombre de journaux français.

 La première réflexion qui me vient au sujet de cette affaire ne concerne ni les joueurs ni même le traitement partial des médias puisque d'autres joueurs des Bleus, et non des moindres, seraient eux aussi concernés par les révélations de la péripatéticienne mais, chose curieuse, leurs noms sont systématiquement absents des comptes-rendus qui fuitent dans la presse. J'aimerais donc vous parler d'abord des Champs-Elysées. Quel rapport, allez-vous me dire ? Il est simple. La boîte de nuit où agissait la blonde Zahia se trouve à proximité de ce que certains continuent – et l'on se demande bien pourquoi – d'appeler la plus belle avenue du monde.

 Il suffit de sortir de la station Franklin Roosevelt et de remonter le trottoir de droite, en direction de l'Etoile et son arc-de-triomphe pour comprendre à quel point l'endroit s'est dégradé. Je ne vous parle pas des hordes de touristes, notamment en provenance d'Europe de l'Est, dont on se demande, à observer leur accoutrement, s'ils ont dormi dans leur car. Ce qui est insupportable, c'est d'abord cette odeur de graillon, échappée des fast-foods ( !), qui y règne en permanence. Le sol est graisseux et maculé de taches sombres. Ce n'est plus le luxe et le rutilant d'antan : les Champs sont devenus un boulevard périphérique, une «khourda », une allée low-cost peuplée de vendeurs à la sauvette, de pickpockets roumains ou albanais et de diseuses de bonne aventure.

 En rejoignant l'autre trottoir, on change un peu d'univers. C'est là où l'on trouve de grandes boutiques de luxe et le Fouquet's, cette modeste cantine très prisée par l'actuel monarque français et sa cour d'obligés et d'obligeants. Mais, là aussi, la sociologie des lieux est en train de changer. Sur ce versant des Champs, on croise, tous les dix mètres, des consÅ“urs maghrébines de Zahia qui cherchent, avec force sourires, à happer le client – le plus souvent du Golfe – en feignant de descendre tranquillement l'avenue. Une précaution qui leur permet de ne pas se faire embarquer pour racolage. Déchéance des lieux, prestige écorné d'un quartier peu à peu abandonné par les plus fortunés. Pauvres Champs-Élysées, chanterait Joe Dassin…

 Revenons maintenant à Zahia. Il y a quelque chose de saisissant et d'accablant dans sa soudaine médiatisation. Evitons les jugements moraux mais posons-nous simplement la question suivante : quel intérêt ont certains médias à faire de cette gagneuse un exemple à suivre ? Je m'explique. Nous vivons une période où nombreux et nombreuses sont ceux qui pensent que la médiatisation, ou plus encore l'appartenance au monde des «pipole», est une réussite à obtenir coûte que coûte. Les manifestations d'hystérie qui accompagnent les apparitions publiques de crétins et crétines échappés de n'importe quelle émission de téléréalité le montrent bien. Des dizaines de milliers d'adolescents ou de jeunes adultes ne rêvent que d'être placés sous les spots de la célébrité, fût-elle fugitive.

 Et voilà que surgit Zahia. Une (fausse ?) blonde qui vend ses charmes, qui explique à qui veut l'entendre qu'elle fait ce qu'elle veut ; qu'elle n'a pas de proxénète (affirmation qui fait sourire tous les confrères qui couvrent les affaires de mÅ“urs), et qu'elle vit sa vie en assumant pleinement son métier qui est, nous rappelle-t-on souvent, le plus vieux du monde. Et dans ce déballage aussi indécent qu'artificiel, personne ne pense à expliquer ce que signifie vraiment la prostitution pour des femmes qui sont les otages et les victimes de mafias puissantes et extrêmement organisées. A l'inverse, une partie de la presse française vend l'histoire enchanteresse d'une jeune fille libérée qui loue son corps et qui réussit tellement bien qu'elle finit par faire la couverture de Paris Match en se présentant comme ayant été le cadeau d'anniversaire de Ribery.

 Quand on sait que des hommes politiques, des journalistes renommés, des acteurs ou, plus généralement, des artistes sont prêts à tuer père et mère pour faire la une de Match, on comprendra pourquoi Zahia va faire figure d'exemple à suivre pour nombre de gamines qui ne jurent que par la Star Academy et l'île de la tentation. Et je vous parie que l'on ne va pas attendre longtemps avant d'apprendre qu'elle va faire ses débuts dans la télévision ou la radio. Ce ne sera que la suite logique de sa médiatisation pour une sordide histoire d'amours payantes avec des footballeurs. Et dans quelques mois, on lui demandera même son avis sur la crise de l'euro, la présidentielle de 2012 ou, tiens, la loi sur la burqa! Elle fera partie du paysage des pipole et son parcours paraîtra alors banal et même enviable.




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