Il faut relire ou
lire Z de l'écrivain Vassilis Vassilikos. Publié en 1966, traduit en langue
française en 1967, adapté par la suite au cinéma par Costa Gavras (1969), ce
livre parlera à celles et ceux qu'interpelle la situation actuelle de la Grèce. Dans le
roman, il est question de l'assassinat, le 22 mai 1963 à Thessalonique, du
député pacifiste Grigoris Lambrakis par des nervis d'extrême-droite appointés
par la police locale. Renversé volontairement par un triporteur, Lambrakis,
médecin et ancien marathonien, décédera de ses blessures. Ses funérailles
seront suivies par une foule silencieuse de près de 500.000 personnes tandis
que les murs d'Athènes se couvraient de lettres Z peintes dans toutes les
couleurs. Z pour zei : il vit.
Ce n'est qu'une
simple coïncidence mais comment ne pas penser à Z en apprenant la mort du grand
réalisateur Théodoros Angelopoulos, renversé par un motard de police en janvier
dernier alors qu'il tournait son troisième film consacré à la crise ?
Dans le roman de
Vassilikos, l'occupation nazie de la Grèce est souvent mentionnée. Elle détermine le
passé de nombre de personnages, leurs engagements, leurs divisions et leurs
accointances. Au détour de quelques phrases, on réalise à quel point cette
occupation a été féroce et violente. Et l'on comprend alors la colère des Grecs
quand ils ont appris que la chancelière allemande Angela Merkel entendait
mettre leur pays sous tutelle, son idée étant de placer en permanence un
Commissaire européen à Athènes.
Le rôle de cet
envoyé très spécial aurait été de s'assurer que le gouvernement grec respecte
ses engagements en matière d'économies et de réformes structurelles,
c'est-à-dire, pour dire les choses telles qu'elles devraient être précisées,
qu'il obéisse sans ciller aux injonctions européennes en matière
d'appauvrissement de sa propre population.
Merkel voulait
donc imposer un Commissaire ou un proconsul pour s'assurer que les créanciers
puissent être servis avant la santé et l'éducation des enfants grecs. Ein
Kommissar pour veiller au grain et pour exercer un diktat comme au temps de la
présence nazie. Impossible alors de ne pas comprendre la colère d'un Manolis
Glazos, héros de la résistance grecque – il est celui qui a décroché le drapeau
nazi de l'Acropole en 1941. Impossible aussi de ne pas s'indigner quand on
apprend que cet homme de 89 ans a été violenté par la police grecque chargée de
réprimer les manifestations contre les plans d'austérité imposés par la Troïka (Commission
européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).
Depuis le début
de la crise en 2009, les Grecs ne cessent de subir l'humiliation de leurs pairs
européens. Ils ont beau s'immoler par le feu, faire la queue aux soupes
populaires, avoir perdu la moitié de leur pouvoir d'achat en un an (du jamais
vu en Occident depuis la Grande Dépression de 1929), avoir perdu leurs
logements, être accablés par les banques et se lever chaque matin la peur au
ventre, c'est toujours un index méprisant et menaçant qui est pointé sur eux.
Il faut se pincer après avoir entendu Jean-Claude Junker, président de
l'eurogroupe, exiger des Grecs qu'ils privatisent en affirmant qu'il existe des
éléments de corruption à toutes les échelles de leur administration. Il est
vrai que ce Luxembourgeois peut donner de telles leçons puisque son pays n'est
certainement pas cette blanchisseuse pour argent sale en provenance des quatre
coins de la planète y compris de Grèce... D'ailleurs, pourquoi l'Union
européenne ne lève-t-elle pas le secret bancaire de certains de ses membres
pour permettre à Athènes de récupérer une partie des 200 milliards d'euros
ayant échappé au fisc ? Que veulent donc les Européens ? Un coup d'Etat ? Le
retour des colonels, ces officiers de triste mémoire qui avaient pris le
pouvoir en 1967 et dont on sent bien la menace pointer à la lecture de Z ?
Dans le livre de
Vassilikos apparaît une autre réalité de la Grèce. On prend
immédiatement conscience du népotisme qui affecte ce pays. Il y est question du
couple infernal de pauvreté et de clientélisme. Il y est question de
passe-droits et de piston. A la lecture des noms d'hommes politiques de
l'époque, on réalise que ce sont leurs enfants ou neveux qui sont en poste
aujourd'hui et que la
Grèce, est finalement comparable au Liban ou à d'autres pays
arabes avec un despotisme népotique ruineux. C'est indéniable, le peuple grec
est victime de sa classe politique, de droite comme de gauche. Et le plus
terrible c'est que cette dernière refuse qu'on lui impose des sacrifices (les
députés grecs ne veulent guère baisser leurs salaires…) tandis que la
population, elle, descend aux enfers, le pistolet sur la tempe.
Dans Z, la guerre
civile qui a opposé les Grecs au lendemain de la fin de la Seconde Guerre
mondiale est toujours présente en arrière-fond. Nationalistes contre communistes, droite contre gauche. On peut penser que
cette ligne de fracture a disparu. Pourtant, on sent que désormais tout est
possible dans ce pays, y compris le pire. Jamais un peuple européen n'a été
aussi maltraité par le néolibéralisme. Même la presse allemande le reconnaît :
après la chute du mur de Berlin, les Allemands de l'Est ont subi moins
d'avanies que celles que les Talibans néolibéraux, pour reprendre une
expression de Daniel Cohn-Bendit, infligent aujourd'hui aux Grecs sous prétexte
qu'ils ont vécu au-dessus de leurs moyens. En réalité, ce qui se joue en Grèce
concerne le monde entier. Ce qu'endurent les Grecs aujourd'hui, d'autres
risquent tôt ou tard de le subir car la machine néolibérale ne rencontre que
peu de résistance. C'est pourquoi il faut être solidaire avec ce peuple car,
malgré tout, il existe, il se bat, il veut vivre. Il vit encore. Zei…
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Posté Le : 23/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com